DESIGN

Eoos

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 25 novembre 2008 - 657 mots

La cuisine désintégrée

Dans l’histoire de la cuisine moderne, il est une date clé  : 1926. Cette année-là, en effet, l’architecte autrichienne Margarete Schütte-Lihotzky invente la célèbre cuisine dite «  de Francfort  », sorte de «  cuisine-laboratoire  » à l’hygiène et à l’efficacité maximales (lire le JdA n°239, 9  juin 2006) qui dessine les nouveaux standards de l’habitat social. Celle-ci est en quelque sorte l’ancêtre de la «  cuisine intégrée  », laquelle gagnera amplement du terrain au cours des années 1950. Dans les années 1970, en revanche, refait surface l’idée d’une cuisine en «  atelier ouvert  ». En 1982, le graphiste Otl Aicher (1922-1991), cofondateur de la fameuse École de design d’Ulm – Hochschule für Gestaltung – et auteur, entre autres, du logo de la compagnie aérienne allemande Lufthansa et de l’identité visuelle des J.O. de Munich en 1972 est alors consultant pour le fabricant de cuisines allemand Bulthaup. Il publie un livre intitulé Die Küche zum Kochen. Das Ende einer Architekturdoktrin [La cuisine pour cuisiner. La fin d’une doctrine architecturale], qui prône une nouvelle philosophie de la cuisine. Cette dernière se doit alors d’être un système constamment versatile, meubles et ustensiles pouvant être ajoutés ou retirés selon un processus permanent de changement calqué sur les évolutions de la vie quotidienne. L’idée fait son chemin chez Bulthaup qui, en 1988, dévoile son «  Kitchen Workbench  », un «  îlot culinaire central  » entièrement en acier inoxydable. Pour la première fois, un élément est complètement détaché des murs d’alentour. Un exploit  !
Vingt ans après, la firme allemande récidive avec ce nouveau concept baptisé b2 et mis au point par l’agence autrichienne Eoos, fondée en 1995 par les designers Martin Bergmann, Gernot Bohmann et Harald Gründl, tous trois diplômés de l’Académie des arts appliqués de Vienne. Cahier des charges  : un espace «  ouvert et mobile  » qui couvrirait toutes les fonctions essentielles d’une cuisine. Pour faire avancer sa propre réflexion, le trio observe et analyse, des mois durant – la commande date de 2004 – les habitudes de vie et d’alimentation dans le monde entier ainsi que les divers rituels afférents. Résultat  : le projet b2, lequel se définit comme un «  atelier de cuisine  » ou, moins pompeusement, comme une «  cuisine-atelier  ». En clair  : une cuisine non plus «  intégrée  » mais tout bonnement «  désintégrée  », en trois entités distinctes. Outre un meuble logeant les quelques appareils indispensables au confort moderne   – four, lave-vaisselle, réfrigérateur…  –, on trouve également deux éléments phares  : une «  table de travail  » comprenant notamment l’évier et la plaque de cuisson  et un «  Kitchen Tool Cabinet  », autrement dit une «  armoire à ustensiles  ».
L’utilisateur, lui, évolue véritablement «  comme dans un atelier  ». D’un côté, il y a «  l’établi  » (ou table de travail), constitué de modules en matériaux divers – inox, bois, grès gris selon leur utilisation –, que l’on assemble ou disjoint au gré de ses envies ou des évolutions du foyer. De l’autre, il y a cette «  armoire à ustensiles  » qui regroupe non seulement les divers instruments et contenants pour faire la cuisine, mais aussi les épices ou les vivres. La compression subtile de cet espace de rangement rend inutiles les volumes coulissants et autres tiroirs chers à la cuisine traditionnelle. Autre avantage  : au contraire des cuisines intégrées où tous les objets s’accumulent dans les étagères, particulièrement ceux dont on n’a pas besoin, on peut, ici, retirer un ustensile sans avoir à déplacer une multitude d’objets. Bref, le trio Eoos a complètement «  clarifié  » la cuisine. Les ustensiles non nécessaires ou ceux dont on a rarement besoin ont été évincés. Se débarrasser du superflu a parfois du bon.


À titre indicatif, le prix d’une cuisine b2 comprenant un plan de travail (évier   cuisson), une armoire à ustensiles et un meuble à appareils (four   lave-vaisselle   réfrigérateur) est de 20  000 à 25  000 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°292 du 28 novembre 2008, avec le titre suivant : Eoos

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