Collections

Freud et Rodin : dialogue imaginaire

Passions privées

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 25 novembre 2008 - 710 mots

Sigmund Freud et Auguste Rodin étaient tous deux fervents amateurs d’art antique. Le Musée Rodin décrypte les pulsions des deux collectionneurs

PARIS. Plaisir purement intellectuel pour les uns, jeu franchement artificiel pour les autres, la confrontation entre les collections d’art antique d’Auguste Rodin et de Sigmund Freud au Musée Rodin, à Paris, est d’autant plus inattendue que ces deux géants du tournant du XXe  siècle ne se sont jamais rencontrés. Face-à-face orchestré par Bénédicte Garnier, documentaliste chargée des collections d’antiques au musée, «  La Passion à l’œuvre. Rodin et Freud collectionneurs  » tire sa richesse des révélations qu’offrent ces ensembles à propos de leurs anciens propriétaires.
Pour Rodin, tout est affaire de fragment. Dès son installation à Meudon, dans la Villa des Brillants en 1893, l’artiste accumule des pièces antiques dénichées chez les antiquaires et les commissaires-priseurs parisiens. Cette période représentait à ses yeux l’apothéose de l’histoire de l’art, le moment où la nature avait été saisie dans toute sa splendeur. Toutes qualités et origines confondues, ces objets ne nécessitent pas l’adoubement d’experts en égyptologie, en art grec ou romain, car seuls leurs mérites esthétiques comptent. Et le fragment est plus recherché que la pièce intacte. Car d’un objet «  exhumé de la terre, ayant perdu au cours de ses tribulations ses attributs identifiants, iconographiques, parfois même stylistiques, et son origine géographique précise  », Rodin tire satisfaction du plissé d’une étoffe, de l’ourlet d’une bouche ou de la délicatesse d’un cou-de-pied. Le directeur du musée Rodin, Dominique Viéville, rappelle ainsi que Rodin fut le premier artiste à élever le fragment au rang d’œuvre d’art à part entière. Tout aussi intéressant, le sculpteur avait l’habitude de redécouper ces fragments, voire de recouvrir d’un linge les parties «  défectueuses  », cachant le laid pour mieux admirer le beau. Freud aurait-il diagnostiqué un penchant pour le fétichisme  ? Si les deux hommes ne se sont pas connus, on ne peut que fantasmer sur les étincelles qu’une telle rencontre aurait créées. Exception qui peut-être confirme la règle, le rendez-vous tant attendu entre Joris-Karl Huysmans et Gustave Moreau n’est lui pas resté dans les annales.

Fervent archéologue
«  J’ai lu en réalité plus d’ouvrages sur l’archéologie que sur la psychologie  », prétendait Sigmund Freud à Stefan Zweig. Le psychanalyste aimait à comparer son travail de fouilles de l’inconscient à celui d’un archéologue. Présenté face à une sélection d’œuvres chères à Rodin, le gratin de la collection freudienne, prêté par le Freud Museum à Londres, multiplie les préciosités dûment authentifiées et soigneusement sélectionnées. Chaque pièce est lourde d’histoires, de significations, de symboles. Pullulant dans tous les recoins du cabinet, ces objets extraits de la terre et du temps lançaient aux patients du psychanalyste une «  invitation explicite  » à faire resurgir les fantômes du passé. Quoi de plus logique au fond qu’un intérêt marqué pour le fragment chez Rodin le sculpteur, habité par l’articulation du corps humain, sa forme, ses volumes, et une prédilection pour les symboles chez Freud l’interprète, fasciné par le psychisme, la force de l’esprit  ? Si cet accès de collectionnite aiguë chez les deux hommes est symptomatique d’une époque où l’Occident se servait ad libitum sur les chantiers de fouilles du Moyen-Orient, d’Asie et d’Amérique latine, l’intégration de cet art dans leurs travaux respectifs offre un nouveau point de comparaison. Sont ainsi présentées pour la première fois au public une sélection de figurines en plâtre que Rodin s’amusait d’un geste simple à incorporer dans de la céramique antique. Tandis que le sculpteur s’approprie l’objet antique, Freud rédige Le Délire et les rêves dans la Gradiva de W. Jensen inspiré par la Gradiva en marbre (ici prêtée par le Musée national du Capodimonte à Naples).
À la grande déception sans doute des psychanalystes attirés par le sujet, le parcours de l’exposition reste fort didactique. En revanche, le catalogue propose des analyses plus poussées. La diversité des auteurs (archéologue, psychiatre, historienne de Freud, psychanalyste…) éclaire sur les motivations de ces deux collectionneurs que tous séparaient, ou presque.

LA PASSION À L’ŒUVRE. RODIN ET FREUD COLLECTIONNEURS, jusqu’au 22 février 2009, Musée Rodin, 79, rue de Varenne, 75007 Paris, Tél. 01 44 18 61 10, www.musee-rodin.fr, tlj sauf lundi 9h30-16h45. Catalogue coédité par le musée et Nicolas Chaudun, 240 p., 275 ill. couleurs, 39 euros, ISBN 978-2-35039-064-2.

RODIN ET FREUD

Commissaire : Bénédicte Garnier, documentaliste au service des collections du Musée Rodin
Nombre d’œuvres : plus de 280 pièces (67 de la collection de Freud)
Scénographie : Jérôme Habersetzer

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°292 du 28 novembre 2008, avec le titre suivant : Freud et Rodin : dialogue imaginaire

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