Décès

Krugier s’éteint

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 25 novembre 2008 - 522 mots

Le marchand genevois est décédé à son domicile à l’âge de 80 ans

GENÈVE. Galeriste au destin hors du commun, Jan Krugier s’est éteint à son domicile genevois à l’âge de 80 ans le 15 novembre. Issu d’une famille juive polonaise décimée par la guerre et la déportation, le jeune Jan réchappe à l’horreur des camps en 1945 et finit son adolescence en Suisse, recueilli par la zurichoise Margaretha Bleuler. Héritée de son père collectionneur, sa passion pour l’art le pousse à étudier à l’École des arts et métiers de Zurich. Il tente sa chance à Paris, y fréquente le tout-Montparnasse, et y fonde même sa propre académie. Son ami Alberto Giacometti le convainc pourtant d’abandonner les pinceaux pour les affaires. C’est donc un marchand à l’œil d’artiste qui se lance dans le métier de conseiller avant d’ouvrir sa propre galerie en 1962, à Genève. En 1967, l’exposition «  Bonjour Monsieur Courbet  » marie les œuvres de Courbet à celles de Vallotton, Soutine ou encore Balthus, établissant ainsi un nouveau style d’accrochage thématique dont Krugier fera sa spécialité. Lorsque Marina Picasso le choisit comme représentant exclusif de sa collection, les portes du marché international s’ouvrent de manière définitive, débouchant sur l’inauguration d’une galerie new-yorkaise en 1987 longtemps dirigée par sa fille Tzila.

Une acuité géniale
Krugier fut parfois considéré comme un marchand de noms célèbres (Picasso, Giacometti, Lam, Morandi, Klee, Torres-Garcia, Barceló…) plutôt que comme un découvreur de talents. Mais, François Ditesheim, associé à Krugier pendant près de vingt ans, témoigne du contraire  : «  Jan a dû lutter pour imposer Morandi. À l’époque, personne n’en voulait.  » Admiratif devant son immense engagement et son respect des artistes et des œuvres, le galeriste neufchâtelois salue la force de conviction de Krugier et sa capacité à exalter les talents  : «  L’holocauste a nourri sa sensibilité, si bien qu’il était attentif à la marginalité  ». À l’heure où «  tout le monde mise sur les mêmes artistes  », François Ditesheim récuse la notion de décalage que l’on pouvait reprocher à Krugier dans un marché de l’art contemporain toujours plus agressif  : «  il s’agit de choix  ». Et le marchand parisien Luc Bellier de renchérir  : «  Krugier était toujours en contact avec les artistes, il se fiait à son œil. […] Il avait une acuité géniale pour les affaires et contrairement à tous les money makers d’aujourd’hui, il ne regardait pas un tableau comme un billet de banque.  » Tous deux soulignent la précision du regard de Krugier, un œil redoutable qui s’est transformé en «  label Krugier  ». «  Pour lui, la notion d’art moderne ou contemporain n’avait aucun sens. Un tableau était soit bon soit mauvais, l’art était intemporel  », ajoute son épouse Marie-Anne Poniatowski, pour qui cet œil était un «  don, comme on a l’oreille absolue  ». Ce regard érudit survit aujourd’hui à travers la sublime collection du couple, plus de cinq cents dessins couvrant six siècles que l’on a notamment pu voir à Berlin et Madrid. Privées de leur fondateur, il est encore trop tôt pour prévenir l’avenir de ses deux galeries de Genève et New  York.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°292 du 28 novembre 2008, avec le titre suivant : Krugier s’éteint

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