Design

De l’esprit des choses

Le Journal des Arts

Le 10 novembre 2008 - 1143 mots

Le Musée du quai Branly se penche sur les racines du design japonais à travers un parcours subtil qui se poursuit à la Maison de la culture du Japon.

PARIS - « Être commode et d’un maniement aisé, être authentique et se révéler fiable à l’usage, nous apporter réconfort et tranquillité au fil d’une vie commune, nous devenir de plus en plus proche au fur et à mesure d’une utilisation qui se prolonge », telles sont les vertus des objets mingei selon les termes mêmes de Soetsu Yanagi (1889-1961), fondateur de ce mouvement qui débuta au Japon en 1925 (lire le JdA no 280, 25 avril 2008, p. 19).
À travers une sélection savamment dosée d’objets du quotidien, le Musée du quai Branly, à Paris, se fait le porte-parole de cet esprit mingei, depuis la genèse du mouvement, au cours des années 1920, jusqu’à ses ramifications dans le design actuel. Le parcours est un subtil mélange entre présentation didactique et théorisation d’une vision du monde indissociablement liée aux notions de « beauté » et d’« honnêteté ». Le mingei, qui signifie littéralement « artisanat populaire », a été conçu, comme l’écrit Soetsu en 1933, en réaction à la « roublardise, la perversité, le luxe » d’un pays en pleine industrialisation. Façonné par la main de l’homme, l’objet mingei est modeste mais de qualité, bon marché mais solide, contrairement à des productions industrielles de mauvaise qualité, « infidèles » à leur usage initial. Soetsu Yanagi a tiré ces enseignements des nombreux objets qu’il collectionnait. Conservé aujourd’hui au Nihon Mingeikan à Tokyo, un panel significatif de ce fonds est présenté en guise d’introduction à l’exposition, parmi lequel ce pot en porcelaine bleu et blanc de Corée datant du XVIIIe siècle – l’artisanat coréen demeure une référence essentielle pour le créateur –, et une multitude d’objets réalisés par des artisans inconnus. Brisant la règle originelle de l’anonymat qu’avait fixée Soetsu, les créateurs dont il s’était entouré ont fait le succès du mouvement, participant à la revue Kogei et organisant nombre d’expositions. Ils sont ici tous réunis : Shoji Hamada, peut-être le meilleur interprète, selon Germain Viatte, commissaire de l’exposition, de l’esprit mingei par « sa capacité de ranimer les traditions de liberté du geste dans le décor », mais aussi Kanjiro Kawai, Shikô Munakata et Keisuke Serizawa. Sans oublier Kenkichi Tomimoto, dont les porcelaines blanches inspirées de l’artisanat coréen témoignent au mieux de cette manière d’élever l’objet quotidien au rang de production sacrée. « Les pauvres fidèles dont la foi est profonde seront, au Paradis, appelés grands. Je ne doute pas un instant que le mingei reçoive le même honneur », clamait ainsi Soetsu Yanagi dans son ouvrage fondateur en 1933. C’est son fils, Sori Yanagi (né en 1915), qui a su tirer parti du monde moderne et de l’industrie, donnant un nouveau souffle au mingei, avec ses œuvres comme le fameux tabouret Butterfly (1954). Pour Germain Viatte, « sa philosophie annonce celle de designers contemporains comme Naoto Fukasawa et Jasper Morrison, attachés à la notion de “Super Normal” pour désigner des objets dont l’efficacité et l’évidence se sont tout simplement imposées ». Sori Yanagi a été largement influencé par Charlotte Perriand dont il a été l’élève et l’assistant. Arrivée au Japon en 1940, la créatrice a organisé à Tokyo et Osaka l’exposition « Dento – Sozo – Sentaku » (Tradition – Création – Sélection), à partir de ses propres œuvres et de celles des artistes mingei. Autre créateur occidental à s’être nourri de la production japonaise autant qu’il l’a influencée : l’architecte allemand Bruno Taut. Installé au Japon dès 1933, il y enseigna le design et réalisa près de 600 objets en s’inspirant des savoir-faire locaux dans le domaine des laques et du bambou. Auteur des célèbres lampes Akari, Isamu Noguchi, fils du poète Yonejiro Noguchi et élevé par sa mère américaine aux États-Unis, retourne au Japon au début des années 1950 où il connaît un immense succès. Pour l’historien Ryu Niimi, Isamu Noguchi est la véritable « incarnation de ce “nouveau globalisme” qui a su faire aboutir le primitivisme moderne de l’avant- et de l’après-guerre ». Épousant parfaitement les théories du mingei, le parcours du Quai Branly révèle ces objets du quotidien à la lumière des aspirations poétiques de leurs concepteurs.

L’aspect « mignon »
La visite se poursuit à quelques centaines de mètres du musée, quai Branly, à la Maison de la culture du Japon. L’institution met à l’honneur le design japonais d’aujourd’hui en commençant par évoquer ses racines et l’importance du mingei. On y retrouve des créations devenues familières – le service à thé en porcelaine blanche ou le tabouret Butterfly de Sori Yanagi, le luminaire Akari – aux côtés de créateurs contemporains tels Naoto Fukasawa (déjà présent au Musée du quai Branly), Shunji Yamanaka, Tokujin Yoshioka ou Kazuteru Murasawa. L’exposition a été baptisée « Wa », terme qui désigne à la fois l’harmonie – cet « accord idéal qui doit régner entre les humains et les choses », comme l’explique l’un des commissaires, Masafumi Fukagawa – et, par extension, « les choses japonaises ». Particulièrement réussie, à la fois élégante et sobre, la scénographie ne rassemble au premier abord qu’un catalogue des productions nippones phares. Mais, derrière les grandes thématiques affichées (les articles de bain, de bureaux, les luminaires…), transparaît une autre vision, plus subtile, empreinte de cette philosophie japonaise déjà évoquée au Quai Branly. Les objets sont ainsi parallèlement classés selon les six concepts essentiels du design : l’importance de l’artisanat, la finition parfaite, l’aspect « mignon », les sensations tactiles, la beauté des formes dépouillées, la prévenance. Une trame invisible pour esquisser les contours de cette création japonaise qui n’a de cesse de clamer la beauté du quotidien

L’ESPRIT MINGEI AU JAPON. DE L’ARTISANAT POPULAIRE AU DESIGN
jusqu’au 11 janvier 2009, Musée du quai Branly, 37, quai Branly, 75007 Paris, tél. 01 56 61 70 00, www.branly.fr, tlj sauf lundi (excepté vacances scolaires), 11h-19h et jusqu’à 21h jeudi, vendredi, samedi. Catalogue, coédition Actes Sud, 144 p., 25 euros.

WA : L’HARMONIE AU QUOTIDIEN. DESIGN JAPONAIS D’AUJOURD’HUI
jusqu’au 31 janvier, Maison de la culture du Japon, 101 bis, quai Branly, 75015 Paris, tél. 01 44 37 95 00/01, www.mcjp.asso.fr, tlj sauf dimanche, lundi et jours fériés, 12h-19h, jusqu’à 20h le jeudi, fermé du 21 décembre au 5 janvier. Catalogue, éd. Japan Foundation, 166 p., 15 euros.

L’ESPRIT MINGEI
- Commissaires : Germain Viatte, conservateur général honoraire du patrimoine, et Akemi Shiraha, conseillère et coordinatrice auprès de musées japonais
- Scénographe : Jean de Gastines
- Nombre de pièces : 130

WA
- Commissaires : Hiroshi Kashiwagi, professeur à l’université des beaux-arts de Musashino ; Masafumi Fukagawa, conservateur au Kawasaki City Museum ; Shû Hagiwara, designer ; Noriko Kawakami, journaliste, directrice associé au 21_21 Design Sight à Tokyo
- Scénographes : Hiroshi Yoneya, Ken Kimizuka, Yumi Masuko
- Nombre de pièces : 160

Une saison zen

À l’occasion du 150e anniversaire des relations franco-japonaises, les musées parisiens consacrent pléthore d’expositions à l’art du pays du Soleil-Levant. À commencer par le Petit Palais – Musée des beaux-arts de la Ville de Paris, qui restitue l’ambiance zen de trois des plus célèbres temples de Kyoto, le pavillon d’Or, le pavillon d’Argent et le Shôkokuji, à travers un ensemble de 80 œuvres du XIIe au XVIIIe siècle, peintures, calligraphies ou objets d’art présentés pour la première fois en France. La manifestation est accompagnée de conférences, méditations, cérémonies du thé et de l’encens, atelier d’Ikebana et de peintures, contes et projections de films (jusqu’au 14 décembre, www.petitpalais.paris.fr, tél. 01 53 43 40 00).

Le Musée Cernuschi – Musée des arts asiatiques de la Ville de Paris présente une sélection de peintures de l’Ukiyo-e, ou « images du monde flottant » (mouvement surtout connu pour ses estampes) se déployant sur des rouleaux et paravents sur le thème des courtisanes. Signées Kitagawa Utamaro, Hokusai ou Ando Hiroshige, les œuvres proviennent du Musée Idemitsu à Tokyo (du 18 novembre au 4 janvier, www.cernuschi.paris.fr, tél. 01 53 96 21 50).

La Bibliothèque nationale de France dévoile, quant à elle, les fleurons de sa riche collection d’estampes japonaises de l’Ukiyo-e, soit 150 des 6 000 gravures et livres illustrés qu’elle conserve, signés des plus grands maîtres de ces images apparues à la fin du XVIIe siècle (du 18 novembre au 15 février, www.bnf.fr, tél. 01 53 79 59 59).

De son côté, le Musée Guimet – Musée national des arts asiatiques expose les trésors du sanctuaire shintô de Kompira. Foyer de création actif tout au long de son histoire, ce centre de dévotion ouvert dès l’époque de Heian (794-1185) devient particulièrement populaire et très fréquenté à partir du XVIIe siècle. Ces peintures murales de grandes dimensions (cloisons coulissantes et paravents) sortent pour la première fois du Japon (jusqu’au 8 décembre, www.guimet.fr, tél. 01 56 52 53 00).

Le design nippon est mis en exergue, outre au Musée du quai Branly et à la Maison de la culture du Japon, au Musée des Arts décoratifs de Paris, qui a choisi de rendre hommage à la notion de kansei, ou « sensibilité culturelle et émotionnelle », à travers une centaine d’objets de créateurs japonais contemporains (du 12 au 21 décembre, www.lesartsdecoratifs.fr, tél. 01 44 55 57 50).

Petit rappel : le Japon est actuellement à l’honneur au salon Paris Photo, à Paris (jusqu’au 16 novembre, lire le JdA no 290, 31 octobre 2008, p. 15 à 24)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°291 du 14 novembre 2008, avec le titre suivant : De l’esprit des choses

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque