Hôtel Salé

Les grands travaux du Musée Picasso

L’infini Picasso

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 10 novembre 2008 - 1153 mots

Du Japon au Brésil, la collection du Musée Picasso effectue un tour du monde qui doit rapporter 15 millions d’euros pour financer la rénovation et l’extension de l’institution parisienne. Avant l’engagement des travaux, Daniel Buren y présente une installation in situ.

Paris - Après deux étapes espagnoles, au Musée Reina-Sofía à Madrid et au Musée Picasso de Barcelone, suivies d’un passage à Abou Dhabi (Émirats arabes unis), la collection du Musée national Picasso fait actuellement escale à Tokyo où se sont déjà pressés 600 000 visiteurs pour découvrir les quelque 230 œuvres issues du musée parisien. Celles-ci iront ensuite rejoindre le Brésil à l’occasion de l’Année de la France ; le Musée de Taïpeh (Taïwan) ; l’Atheneum Art Museum à Helsinki (Finlande) ; puis, en 2010, la Kunsthalle de Hambourg (Allemagne), le Musée Pouchkine à Moscou et le Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg (Russie) ; suivis en 2011 du Seattle Art Museum aux États-Unis et enfin de la Art Gallery of New South Wales à Sydney. Ce vaste périple doit s’achever à la fin 2011 et rapporter à l’institution française la bagatelle de 15 millions d’euros. Cette somme est destinée à financer aux deux tiers le montant des travaux de rénovation du musée devenus indispensables et estimés à 23 millions d’euros. Les deux opérations (l’exposition internationale et les travaux de l’hôtel Salé, qui abrite le musée depuis 1985) devaient démarrer simultanément. Mais le chantier a pris du retard tandis que l’étape madrilène a été ajoutée en raison de son caractère exceptionnel : 430 œuvres du Musée Picasso présentées sur 4 000 mètres carrés, foulés par près de 10 000 visiteurs quotidiens dès la première semaine d’ouverture. Classé monument historique, l’hôtel Salé, édifice du XVIIe siècle, voit le coût de sa restauration augmenter en proportion. Le maître d’œuvre qui sera prochainement sélectionné pour repenser entièrement la muséographie devra mettre fin à un parcours labyrinthique au profit d’une circulation fluide agrémentée de nombreuses ouvertures. Et surtout, le bâtiment sera enfin mis aux normes européennes en matière de climatisation et d’accueil du public. Les parties administratives devraient déménager pour céder la place aux œuvres, ce qui a suscité la grogne d’une partie des personnels.

Un bâtiment moderne donnant sur le jardin doit également être construit sur l’emplacement déjà prévu par l’architecte Roland Simounet il y a vingt-deux ans et toujours vacant. Cela permettra de créer 900 à 1 000 mètres carrés de surface supplémentaire, dévolus aux activités pédagogiques et à l’installation d’un auditorium. Il faudra ensuite reloger les bureaux administratifs, véritable gageure dans ce quartier particulièrement réputé et saturé. La fermeture du musée (pour deux ans environ) sera l’occasion de lancer un grand chantier de numérisation et récolement des œuvres. « Le but est de relancer la recherche sur Picasso et l’art moderne en général, explique Anne Baldassari, directrice du musée. Il y a de quoi occuper plusieurs générations d’étudiants. Picasso n’est pas qu’un artiste ; il a travaillé avec les plus grands poètes, cinéastes, créateurs de ballets… La recherche sur Picasso est un territoire ouvert, sans limites. Je m’étonne d’ailleurs de ne recevoir ici que des chercheurs américains ou anglais. » Le musée est ainsi en train de créer deux fondations, l’une aux États-Unis, l’autre en France, destinées à financer des bourses pour les étudiants, et de nouvelles acquisitions ; elles permettront aussi de lancer la réalisation du catalogue raisonné de la collection Picasso.

Autre bouleversement de taille, pour lequel Anne Baldassari s’est battue depuis son arrivée à la tête du musée fin 2005, le Musée Picasso va devenir établissement public à caractère administratif (EPA), statut lui garantissant une autonomie administrative et financière. « Jusqu’à présent, la Réunion des musées nationaux récupère chaque année environ deux millions d’euros en billetterie au Musée Picasso et lui en reverse au final 4 % ! Le passage en EPA est indispensable à notre survie », note Anne Baldassari. L’État participe pour sa part à hauteur de 700 000 à 800 000 euros par an, une somme correspondant au coût de fonctionnement du musée. Quant aux expositions temporaires, elles ont toutes été financées grâce au mécénat étranger. Les 500 000 visiteurs annuels – un chiffre qui devrait grimper à 800 000 après la rénovation des  bâtiments –, représentent déjà une bonne assise budgétaire. L’objectif est aussi, à moyen terme, de pouvoir étoffer les équipes, notamment le personnel scientifique, qui occupe aujourd’hui moins de dix postes sur les 120 personnes qu’emploie le musée. Pour Anne Baldassari, l’établissement a longtemps été « le self-service des musées du monde entier », et l’heure est à la rationalisation face à l’ampleur des besoins. Lorsqu’on lui reproche le caractère mercantile de l’opération internationale et les dangers de la « location d’œuvres », Anne Baldassari répond du tac au tac : « Tout est extrêmement contrôlé. Les œuvres trop fragiles font partie d’une liste rouge et il est impossible de les emprunter quel que soit le projet. Je suis peinée par tant de critiques. On pourrait nous faire confiance en matière de conservation et aussi de promotion culturelle. » Et d’ajouter : « C’était pour nous l’occasion de bâtir un réseau international. Nous apprenons beaucoup lors de ces déplacements et nous montons des projets culturels et pédagogiques qui trouveront ensuite ici à Paris, sur le site du Musée Picasso, de nouvelles applications qui bénéficieront à nos publics. » À Abou Dhabi, la manifestation, qui a accueilli 65 000 visiteurs (soit plus que l’exposition précédente, consacrée à l’art islamique), « a ouvert la porte à une véritable révolution culturelle. Lorsque des partenaires ont le courage de s’engager à nos côtés, il faut les respecter. La culture est un terrain d’intense compétition internationale aujourd’hui. Les musées sont les promoteurs culturels et économiques de premier plan et nous devons répondre présent », conclue-t-elle. La vaste exposition parisienne du Grand Palais consacrée à Picasso et ses maîtres (lire le JdA no 289, 17 oct. 2008, p. 10) a été conçue dans cet esprit. Elle a coûté 4,6 millions d’euros (dont 790 000 euros en primes d’assurance) et devrait en rapporter davantage, grâce aux entrées – la RMN attend plus de 500 000 visiteurs  –, aux produits dérivés et à la location d’espaces.
Avant la fermeture du musée parisien, probablement à l’automne prochain, Daniel Buren y a installé sa Coupure, immense lame qui traverse l’hôtel Salé et s’étend jusque dans la cour d’honneur et le jardin. L’œuvre offre une lecture du monument fondée sur un jeu de miroirs et sur les reflets colorés que projettent les filtres installés sur ses fenêtres

MUSÉE NATIONAL PICASSO

5, rue de Thorigny, 75003 Paris, tél. 01 42 71 25 21, tlj sauf mardi 9h30-17h30.

- Superficie : 2 000 m2
- Nombre de visiteurs annuels : 500 000
- 400 œuvres exposées : (sur les 5 000 œuvres de la collection)
- Personnel du musée : 120 personnes
- Budget public annuel : 700 000-800 000 euros
- Budget de rénovation : 23 millions d’euros

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°291 du 14 novembre 2008, avec le titre suivant : Les grands travaux du Musée Picasso

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque