Un automne turbulent

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 15 octobre 2008 - 1201 mots

Avec une imposante somme d’expositions, organisées dans les structures les plus variées, Paris pendant la FIAC donne à voir de tous côtés... jusqu’à en perdre la tête !

Cette année encore, nombre de structures semblent vouloir conforter l’ambition et l’affirmation d’une scène parisienne solide et décomplexée, avec une programmation variée et foisonnante qui aborde des problématiques très diverses : focus sur des scènes étrangères ou soutien à la jeune création française, artistes en milieu de carrière ou déjà « starisés »… « À Paris pendant la FIAC… », il y en a pour tous les goûts !
Devenus des rendez-vous rituels de l’automne parisien, « Antidote » et le prix Fondation d’entreprise Ricard offrent chaque année un point de vue singulier sur la création française émergente. Pour son dixième anniversaire, la Fondation a invité Nicolas Bourriaud à composer un accrochage intitulé « La consistance du visible ». Y sont réunis neuf artistes parmi lesquels Abraham Poincheval et Laurent Tixador, Julien Discrit, Camille Henrot, Gyan Panchal ou Raphaël Zarka. Nouveauté cette année, le commissaire a souhaité introduire l’exposition par un « préambule critique » composé de plasticiens historiques, ou du moins confirmés, tels Raymond Hains, Martin Barré, Bertrand Lavier ou Pierre Joseph.
Aux Galeries Lafayette, la quatrième mouture d’« Antidote » montre les œuvres de onze créateurs français acquises au cours de l’année écoulée. Si certains, tels Saâdane Afif ou Michel Blazy, ont déjà eu les honneurs de précédentes éditions, d’autres y sont exposés pour la première fois, à l’instar de Sophie Dubosc ou Clément Rodzielski.
La période est également propice à la (re)découverte de scènes étrangères. Redevenu particulièrement dynamique au cours de la décennie écoulée, le Mexique est aujourd’hui une plate-forme incontournable de la création artistique mondiale. À la Maison rouge, occasion est donnée, avec « Expected Mexico Unexpected », de découvrir une partie de la collection d’Isabel et Agustín Coppel, l’une des plus importantes du pays. Dans une dynamique à la fois locale et mondiale, des pièces phares de Francis Alÿs, Gabriel Orozco, Jorge Méndez Blake, Iñaki Bonillas ou Fernando Ortega y dialoguent avec celles d’Helio Oiticica, Ed Ruscha, Jack Pierson, Simon Starling ou Tatiana Trouvé.
Sur les Champs-Élysées, avec « Métamorphoses. Trajectoires coréennes », l’Espace Louis Vuitton invite dix artistes ou collectifs d’artistes qui arpentent les voies de la mutation contemporaine empruntées depuis vingt ans par le pays du Matin-Calme. Qu’elles soient identitaires, sociales, culturelles ou scientifiques, toutes sont révélatrices de la profonde évolution d’une société qui s’est ouverte sur le monde comme jamais auparavant dans son histoire.

Féérie moderne
Plusieurs expositions mettent à l’honneur des créateurs parvenus en milieu de carrière, dont le travail apparaît de plus en plus solidement installé. Au Centre Pompidou, Christophe Berdaguer et Marie Péjus, lauréats du prix de la Fondation d’entreprise Ricard 2007, exposent comme il est d’usage une œuvre offerte au Musée national d’art moderne. Demi-sphère lumineuse dont la variation d’intensité des lampes reproduit l’évolution du spectre lumineux au cours d’une journée, leur 7e continent est littéralement captivant et incite à la méditation.
Le BétonSalon présente Didier Marcel et Loïc Raguénès. Dans « Aperçu avant impressions », les sculptures de l’un et les images tramées de l’autre, produites pour l’occasion et dans un esprit de complicité, s’emparent de l’idée d’utopie pour construire une féérie moderne, un paysage zen où mots et images peuvent circuler sans contraintes.
Le Jeu de paume propose quant à lui, une dizaine d’œuvres à l’appui – photographies et installations vidéo – , un accrochage significatif du travail de Jordi Colomer ; y apparaissent lisiblement ses préoccupations de la dernière décennie autour des effets pervers du modernisme sur le paysage urbain et ses conséquences sur le comportement humain.
Trois propositions notables sont consacrées à des artistes très confirmés. Une carte blanche est offerte à Daniel Buren pour occuper certains espaces du Musée national Picasso, marquant par là même la réouverture de l’établissement après une campagne de travaux. Tandis que Berlinde De Bruyckere prend possession de l’Espace Claude Berri avec plusieurs sculptures, parmi lesquelles une curieuse Pietà acéphale et une grande vitrine renfermant des troncs d’arbres.
En collaboration avec la galerie Gagosian, la galerie Patrick Seguin déploie une nouvelle série d’œuvres de Richard Prince inspirées par la passion de l’artiste pour les livres, qui nourrissent régulièrement son œuvre. On y découvre notamment une étonnante composition faite d’ouvrages et d’éléments de mobilier du XXe siècle.
Trois expositions collectives retiennent enfin l’attention, à commencer par « Archeology of Longing (Archéologie de la Chine) », présentée à la Kadist Art Foundation, qui reprend ici le titre d’une nouvelle de Susan Sontag. Le parcours mêle les œuvres de neuf artistes – citons Bethan Huws, Joe Scanlan, Kay Rosen, Fabio Kacero… –, des pièces de mobilier du designer Tomás Alonso ainsi que divers artefacts pour interroger les notions d’interprétation et de substitution.
Toute proche du Grand Palais, la Maison Guerlain renouvelle pour la troisième année consécutive son engagement en faveur de l’art contemporain avec un rendez-vous annuel organisé pendant la foire. Avec des artistes appartenant à des générations différentes – Jeff Koons, Louise Bourgeois, Céleste Boursier-Mougenot, Pierre Malphettes, Claude Closky ou Gianni Motti –, « Le renouveau du temps » explore l’idée de futur et ses images à l’occasion du 180e anniversaire de la marque.
Enfin, à la campagne, à Boissy-le-Châtel en Seine-et-Marne, la Galleria Continua (San Gimignano, Pékin) convie en son Moulin ses consœurs Chantal Crousel (Paris), Hauser & Wirth (Zurich, Londres), Kamel Mennour (Paris) et Ursula Krinzinger (Vienne) afin de tenter une nouvelle expérience d’exposition collective, intitulée « Sphères ». Se mélangent dans cet espace hors du commun, outre une sélection de leurs artistes respectifs, les sensibilités de chacun des galeristes participants

Anthropologie britannique

Tel un anthropologue parti en quête de ce qui fonde l’essence populaire du « Made in Britain », Jeremy Deller, dans le cadre de la carte blanche qui lui est donnée par le Palais de Tokyo, à Paris, livre un accrochage réjouissant et magistral. C’est presque à une kermesse, haute en couleur et forte en voix, qu’il convie les visiteurs. D’abord avec le déploiement d’une quarantaine de banderoles réalisées entre 1986 et 2008 par Ed Hall pour des associations, syndicats, groupuscules politiques… Mais aussi grâce à la profusion documentaire – photographies, objets, films amateurs – qui, à l’intérieur de ce que l’artiste a nommé le Folk Archive (1999-2005), constitue un témoignage irremplaçable de ces folklores contemporains et traditions ancestrales. Concours de grimaces, fêtes locales, enseignes commerciales, jardins étranges ou graffitis fondent ainsi l’identité britannique et son goût pour une prise de parole désinhibée. L’artiste examine aussi les transformations sociales du Royaume-Uni à travers la révolution qu’a constituée l’émergence d’une culture rock issue des classes populaires et ouvrières. En témoigne remarquablement l’arbre généalogique de Shaun Ryder, le chanteur du groupe Happy Mondays ; une nouvelle culture qui allait à tout jamais, et radicalement, changer l’image du pays. C’est dans ces élans populaires, dans cette empathie avec le quotidien le plus trivial, que Jeremy Deller puise l’essence de son travail. Toutes ses sources sont là et il leur rend hommage… humblement.

« Jeremy Deller. D’une révolution à l’autre », jusqu’au 4 janvier 2009, Palais de Tokyo, 13, av. du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 47 23 54 01, www.palaisdetokyo.com, tlj sauf lundi 12h-24h.

Fondation d’entreprise Ricard, 12, rue Boissy-d’Anglas, 75008 Paris, www.fondation-entreprise-ricard.com, du mardi au samedi 11h-19h.

Galerie des Galeries, Galeries Lafayette, 29 bis, rue de la Chaussée-d’Antin, 75009 Paris, tlj sauf dimanche, 9h30-19h30, nocturne le jeudi jusqu’à 21h.

La Maison rouge, à partir du 26 octobre, 10, bd de la Bastille, 75012 Paris, www.lamaisonrouge.org, mercredi-dimanche 11h-19h, jeudi jusqu’à 21h.

Espace Louis Vuitton, 60, rue de Bassano, 75008 Paris, www.vuitton.com, du lundi au samedi 12h-19h, dimanche 11h-19h.

Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, niveau 4 salle 25, place Georges-Pompidou, 75004 Paris, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi 11h-22h.

BétonSalon, 9, esplanade Pierre-Vidal-Naquet, rdc Halle-aux-Farines, 75013 Paris, www.pulpart2008.fr, du mardi au samedi 12h-19h.

Jeu de paume, 1 place de la Concorde, 75008 Paris, www.jeudepaume.org, du mardi au vendredi 12h-19h, nocturne le mardi jusqu’à 21h, samedi et dimanche 10h-19h.

Musée national Picasso, à partir du 25 octobre, Hôtel Salé, 5, rue de Thorigny, 75003 Paris, www.musee-picasso.fr, tlj sauf mardi 9h30 -17h30.

Espace Claude Berri, 4, passage Saint-Avoye, 75003 Paris, www.espace-claudeberri.com, du mardi au samedi 11h-19h.

Galerie Patrick Seguin, 5, rue des Taillandiers, 75011 Paris, www.patrickseguin.com, du mardi au samedi 11h-19h.

Kadist Art Foundation, 19 bis-21, rue des Trois-Frères, 75018 Paris, www.kadist.org, du jeudi au dimanche 14h-19h.

Maison Guerlain, 68, av. des Champs-Elysées, 75008 Paris, du lundi au samedi 10h30-20h, dimanche 15h-19h.

Galleria Continua / Le Moulin, à partir du 26 octobre, 46, rue de la Ferté-Gaucher, 77169 Boissy-le-Chatel, www.galleriacontinua.com, du vendredi au dimanche 12h-18h.

Et www.fiac.com/a-paris-pendant-la-fiac.html

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°289 du 17 octobre 2008, avec le titre suivant : Un automne turbulent

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