Théologie

Image éternelle

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 14 octobre 2008 - 746 mots

Une histoire iconique de Dieu dans l’art occidental.

Fruit de dix années de recherches, l’ouvrage de François Bœspflug, historien, théologien et professeur d’histoire des religions à Strasbourg, s’attaque à un sujet pour le moins ambitieux : les représentations du Dieu chrétien dans l’art. Cette « histoire iconique de Dieu tel qu’il vient au pinceau ou au ciseau, à la plume ou au crayon » a recours à la théologie, à la liturgie et aux textes bibliques. Ni « apologétique ni purement esthétique », elle se fonde sur l’étude de l’image plutôt que sur son analyse contextuelle. François Bœspflug est donc parti des œuvres qu’il a classées et mises en corrélation dans cet ouvrage passionnant à l’iconographie abondante. La démonstration se divise en douze chapitres, conçus chacun comme un manuel indépendant, introduit par un plan et un résumé, doté d’une conclusion et d’une bibliographie. L’agencement est chronologique et commence avec la figuration de Dieu dans l’Antiquité et les images cultuelles du Proche-Orient ancien. François Bœspflug analyse d’abord le sens de l’interdit du Décalogue – « Tu ne feras point d’image » –, son devenir dans le judaïsme post-biblique et l’islam. Il se concentre ensuite sur le christianisme qu’il aborde par la particularité de la Trinité : le Dieu de la foi chrétienne est en effet « un en trois », le Père, le Fils et le Saint-Esprit ; Dieu s’est fait homme en Jésus-Christ. Dès les premières représentations chrétiennes, aux alentours du IVe siècle, Dieu est figuré sous les traits du Christ triomphant de la mort.
« L’histoire que je raconte est surtout celle de l’immense processus d’humanisation de Dieu, version picturale, à retardement, de son Incarnation. Un processus invin-cible, que nul n’a pu programmer : ni pape, ni concile, ni courant théologique. Une histoire aléatoire, qui est comme la résultante de contraintes et de libertés combinées », précise l’auteur. Après avoir relaté la crise iconoclaste à Byzance, il consacre un chapitre entier à l’art chrétien d’Orient, du IXe au XIIe siècle, et évoque l’apparition du Pantocrator – le Christ représenté comme le juge du Jugement dernier – sur les coupoles des églises et sanctuaires. En Occident aussi, la période est particulièrement créative avec l’élaboration de la figure canonique de la gloire de Dieu qui essaime dans tout l’art roman. Les artistes mettent au point les diverses formes de la Trinité : la Trinité triandrique qui figure les trois Personnes sous forme humaine ; la Trinité du psautier représentant le Père ; le fils et la colombe de l’Esprit saint ; le trône de grâce où Dieu le Père tient devant lui le Crucifié en croix, et la Trinité tricéphale.

Les saints sur le devant de la scène
Bouleversé par la perspective et le traitement du corps humain, l’art du XVe siècle (qui occupe tout un chapitre) renforce l’image du Dieu rédempteur et de la Passion. Le divin prend les traits de ce « Dieu pathétique et familier » dépeint par Masaccio dans La Trinité et deux donateurs à Sainte-Marie-Nouvelle de Florence (1427-1428), ou par Jean Fouquet dans L’Adoration de la Trinité, miniature issue des Heures d’Étienne Chevalier (1452-1460). Après la Réforme et la Contre-Réforme (1510-1680), le pathétique cède sa place à un monde purement divin. Le catholicisme moderne se définit selon François Bœspflug par la banalisation de l’image d’un Dieu relégué à l’arrière-plan des œuvres, au profit des saints qui occupent le devant de la scène. Le thème de Dieu commence à décliner à partir du Siècle des lumières, les artistes lui préférant la peinture d’histoire ou mythologique, les scènes galantes, les natures mortes ou le portrait. Les créateurs du XXe siècle s’intéresseront ensuite essentiellement à la crucifixion, « paradigme quasi planétaire de l’humanité injustement maltraitée ». L’image de Dieu, nous dit l’auteur, n’est pas prisonnière du dogme chrétien – « une image est toujours autre chose qu’un contenu » –, mais témoigne d’une émotion, d’une réflexion, parfois même d’une distorsion en contradiction avec le texte sacré.
À travers cette somme, il s’agit bien de « décoder les traces de Dieu si bien incrustées dans notre inconscient visuel et si présentes dans notre culture », conclut François Bœspflug. Et aussi de provoquer une « prise de conscience hautement opportune pour l’œcuménisme et le dialogue interreligieux. Un savoir devenu utile voire nécessaire à la paix du monde »

François Bœspflug, Dieu et ses images – une histoire de l’Éternel dans l’art, éditions Bayard, Paris, 2008, 534 p., 129 euros (jusqu’au 30 novembre, puis 149 euros), ISBN 978-2-2273-1739-0.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°289 du 17 octobre 2008, avec le titre suivant : Image éternelle

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