Vincent

Un automne aux couleurs de Van Gogh

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 1 octobre 2008 - 1280 mots

Tandis que l’Albertina à Vienne observe le phénomène d’osmose entre peinture et dessin chez l’artiste, le Centre de la Vieille Charité à Marseille étudie l’empreinte d’Adolphe Monticelli sur ses tableaux.

VIENNE (AUTRICHE) ET MARSEILLE - Difficile d’échapper cet automne à l’offre pléthorique d’expositions consacrées à Vincent Van Gogh. Tandis que le Museum of Modern Art (MoMA) à New York prend le parti discutable de réunir toutes les toiles du maître réalisées de nuit pour célébrer l’un des fleurons de sa collection, la célèbre Nuit étoilée (1), l’Albertina à Vienne et le Centre de la Vieille Charité à Marseille proposent deux expositions aux argumentaires diamétralement opposés mais qui, chacune à sa manière, repoussent les frontières de nos connaissances sur le maître.
Depuis l’arrivée de Klaus Albrecht Schröder aux commandes de l’Albertina en 2000, l’auguste institution dédiée aux arts graphiques s’est donnée pour mission de valoriser les artistes présents dans ses collections en organisant des expositions populaires de qualité. C’est encore chose faite avec « Van Gogh », présentation qui étudie le phénomène d’interpénétration entre le dessin et la peinture dans l’œuvre du Hollandais. La grande rétrospective de 1990 à Amsterdam ne s’étant penchée que sur l’œuvre peint, Klaus Albrecht Schröder rappelle que pour Van Gogh, comme pour Dürer ou Michel-Ange, le dessin et la peinture étaient indissociables. La démonstration est d’autant plus captivante qu’elle suit, de manière chronologique, une spirale vertueuse : le coup de crayon de Van Gogh façonne sa touche picturale, laquelle évolue et finit par façonner ce même coup de crayon ou, pour être plus précis, ce trait de plume. L’analyse est ici formelle, mais elle suit les méandres d’une réflexion artistique poussée, stimulée par les rencontres avec les peintres de l’avant-garde parisienne.
Centrées sur le début des années 1880, les premières salles – où dessins et tableaux se côtoient sur un pied d’égalité – permettent d’identifier un style rêche, un trait hachuré, et des tonalités brunes, proches, dans le style, de ses compositions inspirées de la vie paysanne en Hollande – La Paysanne à genoux, Le Coupeur de bois… Dès l’arrivée de Van Gogh à Paris en 1886, la palette s’éclaircit subitement sous l’influence impressionniste. Mais si l’artiste reprend les principes fondamentaux de la peinture contemporaine, il ne tarde pas à les dépasser : la couleur ne traduit plus l’effet de la lumière du soleil comme dans les toiles de Monet, elle devient un vecteur d’expression. Parallèlement, la touche picturale, autrefois hachurée avec économie, se fait plus généreuse et apparaissent des points, de brèves virgules, directement hérités du pointilliste Signac. Dès 1888, quand Van Gogh décide de rejoindre le Sud et s’installe à Arles, le principe de vases communicants perdure avec l’utilisation de la plume de roseau. Cette technique à l’encre brune donne peu à peu naissance à un trait plus rond, plus souple, plus velouté, qui fait largement écho aux énergiques volutes de peinture que l’artiste s’est appliqué à exécuter. Et la boucle est bouclée : Van Gogh le virtuose peint lorsqu’il dessine et dessine lorsqu’il peint.

Prêts exceptionnels
Paysages, portraits, marines, bouquets de fleurs, la sélection viennoise est époustouflante, notamment grâce au partenariat établi avec le Musée Van Gogh d’Amsterdam, pourtant déjà fort sollicité par l’exposition du MoMA. Un rapprochement qui a facilité les prêts d’autres institutions, ainsi mises en confiance. L’événement est d’autant plus rare que la fragilité des dessins exécutés sur du papier de piètre qualité et avec de l’encre bon marché ne permet pas à l’exposition de voyager.
Sirènes marseillaises
Parmi tous les artistes de référence mentionnés au fil du parcours de l’exposition à Vienne, Adolphe Monticelli tient le rôle du grand absent. Mentionné furtivement dans quelques notices du catalogue, le peintre marseillais (1824-1886) était pourtant élevé au rang d’idole par Van Gogh, qui l’avait découvert chez le marchand parisien Delarebeyrette en 1886. Le Centre de la Vieille Charité à Marseille avait déjà rendu hommage au Phocéen en 1986, à l’occasion du centenaire de sa mort. Si l’influence des tableaux baroques de Monticelli sur le geste pictural de Van Gogh avait déjà été effleurée par quelques scientifiques, aucune exposition ni étude in extenso de cette émulation n’avait encore vu le jour – l’expurgation systématique de tous les passages concernant Monticelli dans les éditions condensées de la correspondance entre Vincent et Théo Van Gogh en est en partie responsable. Après une brève introduction illustrée par les autoportraits des deux maîtres, ainsi qu’une petite sélection de toiles de Delacroix, porté aux nues par les deux peintres pour son talent de coloriste, la présentation marseillaise a été conçue comme un récit par sa commissaire, Marie-Paule Vial. Comment un obscur peintre provincial, ne faisant partie ni de l’avant-garde ni de l’aréopage des Salons, a-t-il pu faire partie du panthéon d’un peintre au succès posthume foudroyant ? Dans quelle mesure son style et sa technique ont-ils influencé Van Gogh ?
Au fil d’un accrochage thématique, les confrontations y sont établies à partir de comparaisons mentionnées dans les lettres de Van Gogh. Et un simple alignement de bouquets de fleurs signés Monticelli s’impose d’emblée comme la source d’inspiration de Van Gogh, qui reproduit avec application cette saturation de matière picturale et de couleurs rythmée en trois séquences (table, vase et fleurs), lesquelles sont parfois exécutées si librement qu’elles finissent par se confondre. Selon Marie-Paule Vial, Van Gogh se prend au jeu « comme si le plaisir de peindre l’emportait sur le souci de représenter ». Si, comme on peut le voir à l’Albertina, la touche de Vincent est plus systématique, les deux peintres ont en commun cette recherche de l’expression. Outre l’aspect technique indéniable, la personnalité marginale de Monticelli, mort dans l’indifférence générale et poursuivi par une fausse réputation de « fada » alcoolique, avait tout pour séduire Van Gogh. Lui qui disait vouloir « être son frère, ou son fils » pour perpétuer son art, s’est nourri d’un fantasme qu’une rencontre entre les deux peintres aurait sans doute fait éclater. Le destin a favorisé l’élève au maître, un artiste encore méconnu du grand public, ce, malgré deux rétrospectives dont une au Musée de l’Orangerie de Paris en 1953. Si Monticelli a compté Oscar Wilde, Verlaine et le dandy Robert de Montesquiou parmi ses admirateurs, son audace de coloriste fut totalement éclipsée par l’obsession impressionniste pour la lumière. Sa large présence dans les collections privées américaines et britanniques souligne, quant à elle, le rôle-clé tenu par les marchands pour son passage à la postérité.
Outre le plaisir non négligeable de profiter de la réunion inédite de chefs-d’œuvre, à Vienne comme à Marseille, ces deux manifestations ont pour point commun de favoriser le regard, l’observation. Rarement le visiteur a-t-il l’occasion d’être aussi directement invité à examiner, scruter, identifier, comparer… Une fois le regard à l’affût, la démonstration est, dans les deux cas, plus que probante.

(1) « Van Gogh et les couleurs de la nuit » sera présentée ensuite au Musée Van Gogh à Amsterdam du 13 février au 7 juin 2009.

VAN GOGH – TABLEAUX DESSINÉS
- Commissaires : Klaus Albrecht Schröder, directeur de l’Albertina ; Heinz Widauer, conservateur à l’Albertina ; Sjraar van Heugten, responsable des collections, Musée Van Gogh, Amsterdam ; Marije Vellekoop, conservateur des Arts graphiques, Musée Van Gogh, Amsterdam
- Nombre d’œuvres : 140 (51 tableaux et 89 dessins)
- Nombre de salles : 7
- Budget : 4 millions d’euros

VAN GOGH – MONTICELLI
- Commissaires : Marie-Paule Vial, conservateur en chef du patrimoine, directrice des musées de Marseille ; Luc Georget, conservateur au Musée des beaux-arts de Marseille
- Muséographie : Didier Blin
- Mécénat : Fondation Total, BNP Paribas
- Nombre d’œuvres : 59 tableaux (18 Van Gogh, 38 Monticelli...)
- Nombre de salles : 3
- Budget : 1,5 million d’euros

VAN GOGH – TABLEAUX DESSINÉS, jusqu’au 8 décembre, Albertina, 1, Albertinaplatz, Vienne, Autriche, tél. 43 1 534 83 510, www.albertina.at, tlj 9h-19h, mercredi 9h-21h. Catalogue disponible en allemand et en anglais, DuMont, Cologne, 420 p., 24,90 euros, ISBN 978-3-8321-9125-2 (allemand) et ISBN 9778-3-8321-9133-7 (anglais).

VAN GOGH – MONTICELLI, jusqu’au 11 janvier 2009, Centre de la Vieille Charité, 2, rue de la Charité, 13002 Marseille, tél. 04 91 14 58 80, www.marseille.fr, tlj sauf lundi et jours fériés 10h-19h. Catalogue, éditions RMN, 35 euros, ISBN 978-2-7118-5418-9.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°288 du 3 octobre 2008, avec le titre suivant : Un automne aux couleurs de Van Gogh

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