Révélation

Le Brooklyn Museum compte ses faux

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 1 octobre 2008 - 1138 mots

Stupeur et tremblement dans les collections d’art copte du Brooklyn Museum of Art. Le tiers de ses sculptures ne seraient que de grossières contrefaçons.

BROOKLYN - Révélation : le tiers des sculptures coptes du Brooklyn Museum of Art sont des faux modernes. Jusqu’à présent, les collections de sculptures égyptiennes de la fin de l’Antiquité du musée le situaient au deuxième rang des institutions d’Amérique du Nord. Sur le point d’achever l’étude de ces œuvres, la conservatrice Edna R. Russmann estime que les autres musées acquéreurs de sculptures coptes dans le dernier demi-siècle risquent de devoir affronter les mêmes problèmes. La découverte de ces faux fera l’objet d’une exposition intitulée « Unearthing the Truth : Egypt’s Pagan and Coptic Sculpture », qui débutera le 13 février 2009 [jusqu’au 10 mai 2009]. Dix des trente sculptures du Brooklyn Museum of Art se révèlent être inauthentiques, tandis que plus de la moitié de la vingtaine restante présente des reprises de sculptures et des repeints modernes. Ces faux ont été principalement acquis dans les années 1960 et 1970 auprès de grands antiquaires new-yorkais et suisses, qui les recevaient d’Égypte. Edna R. Russmann estime qu’une fois ces œuvres écartées, les spécialistes seront encouragés à « réévaluer l’art copte ».
Ces faux ont pour particularité de davantage s’inspirer de l’iconographie chrétienne que les œuvres authentiques, reflétant ainsi les demandes du marché européen et nord-américain. Parmi les faux de Brooklyn, un relief en calcaire figure Le Paralytique guéri par le Christ, avec un fragment présentant l’ancien invalide portant un lit sur son dos. Edna R. Russmann l’écarte comme une « invention totale ». Il n’y a, semble-t-il, aucun autre exemple de ce sujet dans l’iconographie chrétienne primitive du Proche-Orient, même si l’art italien plus tardif en offre quelques parallèles. L’achat de ce relief remonte à 1962. Le musée de Brooklyn possède également un buste féminin supposé figurer la Sagesse divine, tenant un globe et un sceptre. Cette figure présente des proportions inhabituelles, tout comme la voûte en abside qui la surmonte. L’iconographie surprend une fois de plus, puisque le tout premier art chrétien ne met le sceptre et le globe que dans les mains d’archanges mâles et ailés. Ce buste fut acquis en 1958, ce qui semble être l’année où les faux ont commencé à apparaître sur le marché international.

Faux acquis de 1960 à 1972
Une troisième sculpture figure apparemment la Sainte Famille, avec une femme tenant un enfant sous une voûte et un homme se dressant sous une autre. Là encore, la facture et les proportions sont médiocres, et la pierre est de piètre qualité. Son acquisition remonte à 1963, comme celle d’une autre fausse sculpture représentant une femme en pied tenant une croix grossièrement gravée. Six autres sculptures de Brooklyn sont déclarées fausses, toutes acquises entre 1960 et 1972 sauf une entrée dans les collections en 1940. En outre, l’équipe du musée a établi qu’au moins la moitié de ses objets authentiques offraient des reprises de sculptures et des repeints modernes, partiels ou même très étendus dans certains cas. Ce sont probablement moins de dix sculptures qui sont restées relativement à l’abri de ces « améliorations » récentes.
Si les conservateurs de Brooklyn ont soumis leurs sculptures coptes à des examens préliminaires, leurs conclusions sur leur authenticité reposent avant tout sur des expertises stylistiques et iconographiques. Les sculptures antiques coptes (ou chrétiennes) d’Égypte ont été créées entre la fin du IVe siècle de notre ère et 641, date de l’invasion arabe, et presque toujours taillées dans du calcaire local. Elles étaient destinées à orner des tombes ou des églises, et offrent un mélange d’influences païennes et chrétiennes. On estime à un millier environ le nombre de pièces authentiques préservées. Les exemplaires issus de fouilles anciennes (comme ceux du British Museum à Londres et du Metropolitan Museum of Art de New York, qui possède la plus riche collection des États-Unis) sont authentiques. Les trouvailles plus tardives sont à considérer avec prudence.
Ces faux furent décelés pour la première fois dans les années 1970 par Gary Vikan, spécialiste de l’art byzantin et aujourd’hui directeur du Walters Art Museum de Baltimore (Maryland). En dehors de quelques paragraphes dans un petit catalogue d’exposition en 1981, sa découverte ne fut pourtant jamais publiée. La spécialiste actuelle de la sculpture copte est Thelma K. Thomas, professeur à la New York University, qui n’évoque le problème des faux que dans une note en bas de page de son livre Late Antique Egyptian Funerary Sculpture. Tous deux ont apporté leur expertise au Musée de Brooklyn. Quoique connu des spécialistes, le problème des faux coptes n’a jamais été réellement débattu publiquement. Épisodiquement, des musées ont mis à l’écart tel ou tel objet, mais seulement en les retirant discrètement des salles d’exposition. Le Brooklyn Museum of Art semble être la première institution à affronter le problème de manière systématique et transparente.
D’après Gary Vikan, les faux proviendraient du village de Sheikh Ibada (l’ancienne Antinoé), au sud du Caire, en Égypte. Il estime qu’ils furent ensuite acquis par « centaines » par des musées d’Amérique du Nord (dont l’University Art Museum de Princeton et l’Hirshhorn Museum de Washington DC) et d’Europe, particulièrement en Allemagne (notamment les musées nationaux de Berlin et l’Icon Museum de Recklinghausen (lire l’encadré)). L’accueil favorable réservé à ces faux a altéré nos idées sur l’art copte. En dehors des sculptures, il ne subsiste aucun vestige artistique de grand format – les textiles constituent de loin les œuvres les plus représentées dans les musées. Pour donner un exemple de cette déformation due aux faux, la figuration féminine de la Sagesse divine de Brooklyn a été utilisée dans une publication du Museum of Art de Cleveland pour interpréter un motif de textile. Les sculptures coptes apparues aux alentours des années 1960 ont d’abord été célébrées comme un des ensembles les plus riches de sculptures du premier art chrétien. On les considérait aussi comme une passerelle artistique entre les cultures païenne et chrétienne, et la preuve d’un prolongement de la sculpture de grand format de l’époque classique. Et voilà qu’aujourd’hui la plupart d’entre elles se révèlent être des faux

Vision faussée

L’Icon Museum à Recklinghausen, en Allemagne, est le musée le plus affecté par la découverte de ces faux. Nombre de ses acquisitions ont été faites auprès de marchands européens. En 1966, le musée avait envoyé une exposition d’art copte de ses collections au Musée national de Cracovie (Pologne), avec trente-et-une sculptures illustrées dans le catalogue. Il y a quelques années, le scientifique hambourgeois Martin von Falck les a examinées, avec le concours d’Eva Haustein-Bartsch, directrice du musée allemand. Selon lui, vingt-trois des œuvres présentées seraient des faux (dont celle qui illustre la couverture du catalogue). Ces pièces ont depuis été retirées des vitrines du musée. L’exposition de Cracovie a donné une image totalement déformée de l’art copte aux scientifiques et au grand public.

Marchands sur la sellette

Durant l’été dernier, Jerome Eisenberg, directeur de la galerie londonienne Royal-Athena, a reconnu que « trois ou quatre » des soixante-dix pièces incluses dans son catalogue Sculptures égyptiennes et coptes de mai 1960 s’étaient révélées fausses. « Ces œuvres avaient été obtenues auprès de Kamel Hammouda, un marchand du Caire tout à fait fiable. Ce n’est pas avant 1968, au moment où j’ai commencé l’étude approfondie des copies d’art ancien que j’ai réalisé à quel point les faussaires pouvaient être doués ! », a-t-il déclaré. Ces faux incluent un Médaillon avec un buste féminin, qui a été vendu 600 dollars en 1960 puis donné au Brooklyn Museum of Art la même année. Le marchand londonien avait procédé à ces acquisitions en toute bonne foi, et il ajoute qu’elles n’ont représenté qu’une faible portion de ses transactions. Dans l’un des rares articles scientifiques consacrés aux faux coptes (publié dans le Journal of the American Research Center in Egypt en 2001) l’ancien conservateur du Brooklyn Museum Donald Spanel épingle la galerie Royal-Athena, mais également le marchand new-yorkais André Emmerich. Selon l’article, la quasi-totalité des pièces coptes figurant dans deux des catalogues d’André Emmerich de 1962 était inauthentique. Encore une fois, la bonne foi du galeriste, décédé il y a tout juste un an, n’est pas mise en doute.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°288 du 3 octobre 2008, avec le titre suivant : Le Brooklyn Museum compte ses faux

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