Paracommercialisme

Histoire d’un échec

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 18 septembre 2008 - 1601 mots

La loi du 4 août 2008 autorise plus généreusement les particuliers à participer à des vide-greniers.

Le 4 août s’est dénoué, par une volte-face législative, un imbroglio politico-administratif activé par une décision judiciaire qui met probablement à mal plus de quinze ans d’efforts de la part des organisations professionnelles de marchands pour endiguer le paracommercialisme.

2005 : les professionnels croient atteindre le but
Depuis des années, les organisations de marchands, emmenées par le SNCAO (Syndicat national du commerce de l’antiquité, de l’occasion et des galeries d’art moderne et contemporain), cherchaient en vain à obtenir des pouvoirs publics un encadrement des déballages et vide-greniers pour éviter que des « particuliers/professionnels » n’y développent des activités anticoncurrentielles. La partie n’était pas gagnée d’avance ; ces manifestations, qui sont devenues une pratique culturelle de masse, ont en effet la faveur des associations et des communes, celles-ci pour y trouver des ressources annexes, celles-là pour assurer l’animation commerciale de leur territoire. Sans compter les organisateurs de métier qui y ont organisé des activités lucratives. En droit, la question n’était pas simple non plus : il en allait de la liberté du commerce et tout simplement de la liberté, nul ne pouvant empêcher un particulier de vendre ses biens ni d’utiliser les espaces publics dès lors que l’ordre public n’était pas menacé. Cela avait été manifeste, lorsque, à la suite du jugement d’un tribunal administratif (TA Clermont-Ferrand du 3 avril 1998) annulant un arrêté préfectoral qui avait, eu égard aux libertés fondamentales, interdit un déballage, une circulaire du ministère de l’intérieur du 9 mars 1999 avait demandé à tous les préfets de rapporter les arrêtés restrictifs qu’ils avaient pu prendre pour restreindre l’accès des vide-greniers aux seuls résidents.
Après de multiples actions entreprises pendant plus de quinze ans, les professionnels étaient enfin parvenus à intéresser des parlementaires : la loi 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des PME (art. 21), sur amendement d’un député, avait restreint les possibilités de vente au déballage des particuliers en complétant l’article L. 320-2 – I du code de commerce de l’alinéa suivant :
« Les particuliers non inscrits au registre du commerce et des sociétés sont autorisés à participer aux ventes au déballage en vue de vendre exclusivement des objets personnels et usagés deux fois par an au plus, à condition qu’ils aient leur domicile ou leur résidence secondaire dans la commune, l’intercommunalité ou l’arrondissement départemental ou, pour les villes de Lyon, Marseille et Paris, dans l’arrondissement municipal siège de la manifestation. Les modalités d’application du présent alinéa sont fixées par décret en Conseil d’État. »

Juin 2008 : le gouvernement mis en demeure
La seule limitation aux biens personnels et à deux fois par an du droit de vente des particuliers est, sur le principe, adaptée à l’attente des professionnels. Mais, dans la pratique, elle est impossible à contrôler. Le propre des vide-greniers, c’est que les marchandises qui s’y écoulent sont rarement de nature à posséder un pedigree tel qu’on puisse demander au vendeur d’en justifier la propriété personnelle. Par ailleurs, en l’absence de fichiers nationaux, dont la mise en place serait d’ailleurs probablement prohibée par la loi « informatique et libertés », seul un cantonnement géographique des lieux de ventes des particuliers était susceptible de permettre de détecter les abus.
C’est pour donner efficacité aux règles de la loi que le texte organisait le confinement géographique des ventes des particuliers renvoyant à un décret d’application sa mise en œuvre.
Malgré les actions des organisations professionnelles, le décret en Conseil d’État n’était toujours pas publié deux ans et demi après, l’administration arguant de difficultés d’application. Le SNCAO avait choisi la voie de la négociation, l’administration lui ayant fait savoir que la loi pourrait être remise en cause. Mais une organisation professionnelle de Marseille a opté pour le contentieux et a saisi le Conseil d’État, lequel, par une décision du 16 juin 2008, a enjoint le Premier ministre à prendre le décret d’application dans un délai de six mois. Dans sa décision, le Conseil d’État a notamment considéré que « le gouvernement avait l’obligation de prendre le décret prévu dans un délai raisonnable [et] que la circonstance, invoquée par le ministre, que la préparation de ce décret aurait révélé de nombreuses réticences, n’était pas de nature à exonérer le gouvernement de cette obligation ». Il a conclu « qu’eu égard au délai écoulé entre la publication de la loi et les décisions attaquées, la requérante est fondée à soutenir que ces décisions ont méconnu l’obligation incombant au pouvoir réglementaire ».

4 août 2008 : pour supprimer le problème, on tronque la loi
Est-ce en réaction à l’injonction du Conseil d’État ou en conclusion d’une réflexion sur les difficultés d’application (et probablement les forces en présence) : la réaction n’a pas été réglementaire mais législative. L’article 21 de la loi du 4 août 2008, dite « de modernisation de l’économie », a en effet purement et simplement escamoté la fin de l’article L. 310-2 du code de commerce en faisant disparaître les conditions de résidence, de périmètre territorial et en conséquence l’obligation d’un décret d’application.
Cette disposition ne figurait pas dans le projet gouvernemental déposé le 2 mai 2008, ni dans le premier texte adopté par l’Assemblée nationale le 17 juin. Il semble que ce soit à l’occasion de la « navette » du texte entre l’Assemblée nationale et le Sénat que la question ait été évoquée, sans que soit mentionnée la décision du Conseil d’État. Une première rédaction mentionnant un maximum de quatre participations par an est alors apparue. Le débat a été repris en commission mixte paritaire (au cours de laquelle les députés et sénateurs accordent leurs violons). Il est intéressant de reproduire la synthèse du débat de la commission mixte du 17 juillet :
« Art. L. 310-2 et L. 310-5 du code de commerce (régime juridique des vide-greniers), la commission a examiné un amendement de suppression de M. Daniel Raoul. Celui-ci a indiqué qu’il convenait de revenir à l’existant en confiant au maire le pouvoir de réglementer les ventes au déballage sur le territoire de sa commune, soulignant que certains vide-greniers servaient en réalité à écouler la marchandise de receleurs. Formulant un avis défavorable, M. Jean-Paul Charié, rapporteur pour l’Assemblée nationale, a présenté conjointement avec M. Laurent Béteille un amendement visant à réduire de quatre à trois fois par an le nombre de possibilités pour les particuliers de vendre leurs biens dans le cadre de vide-greniers. M. François Brottes a jugé plus opportun de limiter ce nombre à deux fois, conformément à un amendement qu’il a déposé en ce sens. Mmes Isabelle Debré et Catherine Vautrin, ainsi que MM. Michel Bouvard, Christian Jacob et Pierre Laffitte se sont déclarés favorables à cette limitation. M. Philippe Marini a signalé que le maire disposait déjà, en vertu de ses pouvoirs de police, de la possibilité de limiter les manifestations qui se déroulent sur la voie publique. M. Jean Dionis du Séjour a exprimé son incompréhension vis-à-vis d’une mesure tendant à s’opposer à un mouvement de fond au sein de la société civile, mouvement qui se manifeste en outre avec beaucoup plus d’acuité sur Internet par le biais de sites de ventes bien connus ».
Dans ce débat, l’injonction du Conseil d’État n’a pas été évoquée (on imagine que l’administration s’est dispensée d’en informer le législateur). Mais ce qui surprend davantage, c’est que la discussion semble ignorer le texte préexistant et les difficultés de son application en s’en tenant aux seuls principes de limitation du nombre de participations et de limitation aux biens personnels. Évidemment, dans une loi « paquet » aux multiples enjeux, qui a suscité plus de 1 500 amendements traités sous le régime de l’urgence déclarée par le gouvernement, on saisit la difficulté d’un examen éclairé. De sorte que, en s’opposant à la suppression pure et simple de l’article 312-2, les parlementaires ont pensé sauvegarder l’essentiel sans s’aviser des difficultés pratiques d’organisation, ni supposer une quelconque manipulation de l’administration.
In fine, c’est au chapitre III de la loi, sous l’intitulé « Simplifier le fonctionnement des PME », que l’article 54 de la loi abrège l’article L. 310-2 du code de commerce. Et, pour limiter l’empiétement des autorités, la nouvelle rédaction remplace l’autorisation préalable par une déclaration préalable au maire, quelle que soit la surface occupée par le déballage (ce qui met hors jeu les préfets).
Dans la loi de modernisation, sous le titre I « Mobiliser les entrepreneurs » au chapitre I « Instaurer un statut de l’entrepreneur individuel » (art. 8), de nouvelles dispositions exonèrent de déclaration au registre du commerce (art. L-123-I-1 nouveau du code de commerce) les personnes exerçant à titre principal ou individuel une activité commerciale, dès lors qu’elles sont par ailleurs couvertes au titre de la sécurité sociale. Et, au chapitre V (art. 61 de la loi), apparaît un statut des « vendeurs à domicile indépendants » (art. L. 135-1 et suivants complétant les dispositions sur les agents commerciaux).
Le combat des professionnels n’était assurément pas dans l’air du temps. À défaut de trouver le pouvoir d’achat dans la croissance, les retraites ou les salaires, c’est d’une certaine façon aux marges du commerce et de l’artisanat qu’est circonscrite la fonction d’arrondir les fins de mois. Reste que, pour les professionnels du marché qui n’expriment de réelle unité que dans la lutte contre le paracommercialisme, des vide-greniers aux ventes sur Internet, ce coup de gomme est une sérieuse désillusion.

Loi no 2005-882 du 2 août 2005, art. 21 ; CE – 16 juin 2008, secteur du contentieux, 6e et 1re sous-sections réunies. Nos 300696, 304971 ; loi no 2008-776 du 4 août 2008, art. 54.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°287 du 19 septembre 2008, avec le titre suivant : Histoire d’un échec

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