Collection

Une première fondation en Inde

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 18 septembre 2008 - 664 mots

Cette initiative privée vient combler l’absence d’infrastructures publiques.

GURGAON (INDE) - La valeur, dit-on, n’attend pas le nombre des années. Le collectionneur Anupam Poddar, âgé de 34 ans, fait figure de pionnier dans la galaxie de l’art contemporain indien. Formée en une décennie, sa collection débute vers 1997, lorsqu’il quitte Londres pour rejoindre la vaste demeure familiale de Gurgaon, dans la banlieue de New Delhi. Depuis, ce jeune homme classé 100e dans la liste des « Power faces » du magazine londonien Art Review, a acheté activement, et souvent dans le scepticisme général, des artistes comme Subodh Gupta, Bharti Kher, Shilpa Gupta, Anita Dube ou Sudarshan Shetty. Il est le premier Indien à ouvrir une fondation privée, baptisée « Devi Art Foundation ». Un nom inscrit dans la continuité des affaires familiales, à l’instar du palace Devi Garh.
Alors que sa mère, Lekha Poddar, a acquis dès 1970 de l’art populaire et les tenants du Progressive Art, Anupam s’est orienté vers les artistes de sa génération, les installations et les nouveaux médias. En atteste l’exposition inaugurale de la Fondation, « Still/Moving Image », orchestrée par la curatrice Deeksha Nath (jusqu’en novembre). « La Fondation incarne le lien profond qui peut exister entre un collectionneur et un artiste. Les artistes de sa collection ont grandi avec lui et son patronage a changé leur vie », souligne Sharmistha Ray, directrice de la galerie Bodhi Art (Mumbai). Le boom du marché indien n’a pas modifié l’approche du jeune mécène. « Mes choix restent les mêmes, mais, dans nombre de cas, je ne peux plus me payer les œuvres », confie-t-il. Ne trouve-t-il pas l’envolée des prix préjudiciable à l’art ? « La hausse des prix ne nuit pas forcément à la créativité, mais peut réduire le champ de pratiques des artistes, car le marché n’absorbe pas tout, ce qui peut constituer une pression », admet-il.
Le jeune homme rêvait d’un espace qui soit à la fois une plateforme de visibilité pour sa collection composée de 3 000 œuvres, un tremplin pour les jeunes artistes et un laboratoire pour les curateurs. Inauguré le 30 août, ce lieu se niche dans les locaux de l’entreprise familiale, à Gurgaon. Certains observateurs s’inquiètent des deux niveaux situés en sous-sol, lesquels pourraient pâtir des intempéries locales… L’accès n’est pas non plus aisé. « Le positionnement à Gurgaon est pratique pour ceux qui viennent de l’aéroport, mais cela reste un périple, surtout aux heures de pointe, reconnaît Sharmistha Ray. Mais aucun circuit artistique à New Delhi ne pourra se concevoir désormais sans un crochet par la Fondation. » Dans un souci pédagogique, un partenariat a été engagé avec l’Institut d’art et d’esthétique de l’université Jawaharlal-Nehru à New Delhi. Pour l’heure, la priorité n’est pas au dialogue entre créateurs occidentaux et indiens. « On y pensera au cas par cas, mais notre focus reste le sous-continent indien », précise le maître des lieux.
Très attendue par les professionnels indiens, cette structure apporte un nouveau modèle à un secteur encore balbutiant. « Tout comme nous avons besoin d’artistes d’avant-garde, nous avons besoin de collectionneurs d’avant-garde, insiste Peter Nagy, directeur de la galerie Nature Morte (New Delhi). Beaucoup de gens en Inde veulent comprendre l’art contemporain et il y a toujours peu de lieux pour s’initier. Les galeries, petites par définition, ne peuvent faire plus qu’elles ne font déjà. » Selon Anupam Poddar, il y a « encore beaucoup de perplexité, même vis-à-vis de l’art moderne. Ça ne fait pas partie de l’imaginaire ». La société indienne ne serait-elle pas trop conservatrice pour adhérer à l’art contemporain ? « Notre société est plutôt en transition, module le collectionneur. L’absence d’infrastructures pour l’art contemporain s’explique surtout par le manque d’enthousiasme de la bureaucratie. » Peter Nagy se montre plus incisif : « Nos institutions publiques ne soutiennent en aucune façon l’art expérimental. Le gouvernement indien est apathique. » Une atonie confirmée par l’absence d’un pavillon indien à la Biennale de Venise en 2007.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°287 du 19 septembre 2008, avec le titre suivant : Une première fondation en Inde

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