Constituer des réseaux avec l’étranger

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 17 septembre 2008 - 1160 mots

Paris a encore du mal à s’inscrire sur la feuille de route des professionnels étrangers. Cependant, de nombreux signes positifs viennent de Londres ou de Berlin.

Le chemin vers une appréciation positive de la scène hexagonale est encore marqué par de mauvaises expériences. La faute n’en incombe pas à la qualité des artistes, mais au manque de professionnalisme de certains acteurs français. « La collaboration que j’ai eue avec le Palais de Tokyo et le Centre national de la photographie [Paris] pour un livre sur Franck Scurti a été désastreuse, confie Sabine Schaschl. Ils l’ont publié sans mon accord, et toute la partie en allemand était truffée d’erreurs. Du coup, je ne peux pas m’en servir car les gens penseraient que je suis responsable des fautes. Les Français voulaient coûte que coûte que le livre soit prêt pour l’ouverture de l’exposition organisée au Palais de Tokyo [en 2002]. Au final, c’est préjudiciable pour Franck Scurti car le livre est trilingue, mais je ne peux l’utiliser ! » Sabine Schaschl reproche aussi aux artistes français de trop se lover dans le cocon protecteur des Fonds régionaux d’art contemporain (FRAC) ou du Fonds national d’art contemporain (FNAC). Plus généralement, elle brocarde l’arrogance et l’incurie de ses interlocuteurs français. Des critiques qui trouvent un écho chez Olivier Belot. Celui-ci souligne la difficulté de faire venir les conservateurs français dans les galeries : « Aux États-Unis en revanche, dans 99 % des cas, ils viennent vous voir et passent une heure à regarder un portfolio. » L’agence CulturesFrance et les réseaux culturels français à l’étranger n’échappent pas aux critiques. « Alors que je préparais cette année une exposition de Bruno Perramant, j’en ai parlé avec l’attaché culturel français [en Suisse]. On m’a assurée du soutien de la France, relate Sabine Schaschl. Au bout du compte, j’ai eu 1 000 francs suisses. CulturesFrance, qui avait martelé qu’il était important de faire une publication, ne semblait soudain plus intéressée... »

Aversion pour l’argent
Face aux escarmouches portées au bras armé de la France à l’étranger, Cédric Aurelle précise : « Je pense que les partenaires doivent choisir eux-mêmes les artistes qu’ils souhaitent exposer. Et notre rôle est d’accompagner ces choix, si cela peut apporter quelque chose à l’artiste. » Un accompagnement qui reste toutefois modeste, de l’ordre de 5 000 euros par exposition. De leur côté, les créateurs n’apprécient guère que l’appui financier du gouvernement français soit décisif dans l’esprit des partenaires étrangers. « Si l’on me propose une exposition à l’étranger, la structure peut demander une aide à la France, mais cela ne doit pas être la condition sine qua non [à sa tenue], d’autant que la somme consentie est souvent petite », s’insurge Laurent Grasso. Et d’ajouter : « Si vous commencez à dire “je suis un artiste français”, c’est un mauvais début. Aujourd’hui, tout est globalisé. »
Même dans un monde global, les clichés ont la vie dure. La montée en puissance des Français sur le plan international se heurte aux nationalismes exacerbés allemand et américain. « Les curateurs allemands rechignent à travailler avec des artistes dès lors qu’ils voient en eux un produit de l’institution. L’approche des partenaires germaniques est, de fait, délicate, observe Cédric Aurelle. Je suis toujours très ouvert, je ne viens pas avec mon catalogue d’artistes. » Bien qu’il soit le plus gros collectionneur au monde de l’œuvre de Xavier Veilhan, l’Américain Hubert Neumann ne cache pas son scepticisme : « Pendant longtemps, nous avons collectionné de l’art français. Il n’y avait alors pas de choses passionnantes aux États-Unis. Mais à partir des années 1960, des changements radicaux de vocabulaire sont venus d’Amérique. Beaucoup de choses que je vois en France ne m’intéressent pas, mais cela vaut tout autant pour les États-Unis. »
Pour l’ensemble des intervenants, le grand mal français reste l’aversion ambiante pour l’argent et son corollaire, le marché. « Il existe en France un groupe de curateurs, de journalistes, et d’étranges collectionneurs qui haïssent le marché, rappelle Hervé Loevenbruck. Or nous savons tous que le marché gagne. Même si on pense qu’un artiste est inintéressant, si le marché décide qu’il l’est, il génère des articles dans la presse. Mais dans le Top 100 des artistes du marché, il n’y a pas de Français. Pourquoi ? Parce que les collectionneurs français ne les soutiennent pas et achètent à 80 % des créateurs étrangers. [François] Pinault ou [Bernard] Arnault préfèrent mettre leur argent sur le marché international. » Autre cible, la fiscalité française, considérée par Hubert Neumann comme un frein à l’échange, et, a fortiori, au libre-échange. « Cela n’incite pas à une liberté de penser, insiste-t-il. Vous êtes en France dans un sentiment de contrition. À New York, tout le monde parle, raconte ses achats, une énergie se développe, alors qu’ici vous êtes dans l’inhibition. Il y a un vide, peut-être rempli par des marxistes ou ceux qui se préoccupent des jeux de chaises musicales... »
Ce cumul de petits ou grands griefs, de vrais ou faux clichés, ne permet pas encore à la France de s’inscrire fermement sur la feuille de route des professionnels étrangers. « À la suite de l’exposition que nous avons faite à New York avec Mircea Cantor, qui a vécu pendant plus de dix ans en France, il a été intégré à la Biennale de Berlin [2006], indique Olivier Belot. Il a aussi eu des articles dans la presse. Si nous l’avions exposé en France, les collectionneurs et curateurs internationaux n’auraient pas été au rendez-vous. » Un changement est toutefois perceptible. Lors du « Gallery Weekend » programmé au printemps dernier à Berlin, trois artistes de la scène française (Tatiana Trouvé, Valérie Favre et Mathieu Mercier) bénéficiaient d’expositions monographiques en galerie. D’autres étaient intégrés dans des expositions collectives dont le commissariat  était assuré par des curateurs un temps en résidence en France. Une série de rencontres, initiées début juillet à Paris, a permis à des directeurs de centres d’art français de mieux connaître une vingtaine de responsables de Kunstvereine allemandes, lesquels venaient notamment de Cologne, Karlsruhe, Hanovre et Düsseldorf. Un second rendez-vous est prévu en novembre à Berlin, histoire de cimenter les premiers contacts et battre le fer tant qu’il est chaud. Enfin un projet d’échanges entre galeries, baptisé « Berlin-Paris » et prévu en janvier 2009 à Berlin puis en février à Paris, tisse un lien entre vingt-quatre galeries parisiennes et berlinoises. Cédric Aurelle conclut avec justesse : « On ne peut plus parler en termes d’exportation, mais de constitution de réseaux.

Cette table ronde s’est déroulée le 4 juin 2008 à Bâle, dans le cadre de la foire Art Basel, et a réuni Cédric Aurelle, responsable du Bureau des arts plastiques, ambassade de France à Berlin ; Olivier Belot, directeur de la galerie Yvon Lambert à Paris ; Laurent Grasso, artiste ; Hervé Loevenbruck, galeriste à Paris ; Hubert Neumann, collectionneur américain ; Sabine Schaschl, directrice du Kunsthaus Baselland à Muttenz/Bâle. Débat animé par Roxana Azimi, Guillaume Houzé et Philippe Régnier.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°287 du 19 septembre 2008, avec le titre suivant : Constituer des réseaux avec l’étranger

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