Un marché qui se dynamise

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 17 septembre 2008 - 1304 mots

L’arrivée en France de très gros collectionneurs reconnus à l’étranger est en train de changer la donne. Mais les galeries hexagonales doivent acquérir plus de poids économique.

Comment se porte le marché de l’art en France ? Pour  Nathalie Obadia, il se révèle actif mais éclaté. « Ce qui manque encore, mais c’est en train de changer, ce sont de très gros collectionneurs locomotives, reconnus à l’étranger, et qui pourraient donner une explication plus claire de ce qui se passe en France. François Pinault et Bernard Arnault ont changé l’image, mais cela ne suffit pas. Cela a toutefois permis à beaucoup de gens qui ne ressentaient pas le besoin social de collectionner de s’y mettre, explique-t-elle. Depuis sept à huit ans, de plus en plus d’amateurs arrivent à la galerie pour acheter leurs premiers tableaux. Les ventes aux enchères ont longtemps constitué le vivier de ces gens ; maintenant, ils ressentent moins la crainte de se rendre dans les galeries. » En termes de volume, les transactions s’effectuent majoritairement avec les clients français, tandis que les œuvres les plus chères se négocient plutôt avec des acheteurs étrangers.

Public-privé : l’entente cordiale
Le pouls de la vitalité française se prend d’ailleurs à travers le prisme de l’étranger. Du coup, qui dit dynamisme du marché glisse spontanément vers la présence des artistes français dans le concert international. En la matière, la France revient de loin. « En me demandant pourquoi les artistes français n’ont pas marché sur la scène internationale, j’ai comparé avec la situation de la Suisse dans les années 1970, observe Marc-Olivier Wahler. Il s’est produit alors une connexion entre tous les acteurs, de bons artistes, des collectionneurs forts, des galeries et des magazines, des institutions fortes. Tout cela a créé un monde puissant, international, efficace. En France, les artistes n’ont pas profité d’une telle force de frappe. »
Malgré le constat d’un individualisme forcené, Olivier Antoine, souligne une coordination croissante entre les acteurs privés et le secteur public. Ce d’autant plus que les galeries sont devenues coproductrices d’expositions. Les indices de cette « entente cordiale » se perçoivent lors de la Foire internationale d’art contemporain (FIAC), à Paris. « Si l’on réussit à faire venir les collectionneurs, c’est parce que l’on a essayé de mettre en musique l’offre culturelle parisienne, en organisant avec les institutions une masse critique qui fasse envie », indique Martin Bethenod. Mais tout n’est pas encore pour le mieux dans le meilleur des mondes. La FIAC a ainsi réclamé en vain depuis trois ans à l’École nationale supérieure des beaux-arts (Ensba) de différer les dates de l’exposition estivale réunissant les diplômés avec félicitations pour les faire coïncider avec celles du salon. Un changement de calendrier qui donnerait aux artistes primés l’opportunité de toucher un public étranger captif. La France accuse aussi un retard colossal en matière de mécénat. Une bureaucratie kafkaïenne pourrait refroidir les esprits les plus volontaires. Lorsqu’en 2007 les Galeries Lafayette ont financé à hauteur de 180 000 euros l’exposition de Mathieu Mercier au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, la société a mis un an et demi avant de recevoir le reçu fiscal !
La force de frappe des galeries passe par une solide assise financière. Bien qu’une dizaine de galeries françaises puissent jouer des coudes à l’étranger, Alain Reinaudo rappelle que les enseignes hexagonales n’ont pas la portée économique de leurs consœurs allemandes ou britanniques. De fait, il leur est difficile de passer en première division ou de capter des artistes étrangers. « Des gens comme Urs Fischer ou Robert Gober n’ont jamais été montrés en galerie ici, remarque Nathalie Obadia. Nous avons, du coup, une activité internationale moins grande. Les artistes français que l’on défend sont moins reconnus et valent moins d’argent, et l’on a de moins en moins accès aux créateurs étrangers. On peut les avoir une fois, deux fois, le temps que leur carrière se fasse, mais, une fois qu’ils rentrent dans des galeries internationales, il est plus difficile d’obtenir des expositions. » Faute de pouvoir engager un bras de fer avec les poids lourds, les galeries françaises collaborent souvent avec des consœurs beaucoup plus jeunes. « Je travaille avec des galeries qui ont 5 ans d’âge », souligne Olivier Antoine. L’absence de second marché, étrangement honni des artistes, est aussi un handicap. « Il ne faut pas le négliger. Si on propose à un collectionneur une œuvre à 30 000 euros, celui-ci peut hésiter. Si on lui montre que, dans des ventes aux enchères à Paris ou à Londres, cela atteint ce prix-là, c’est plus facile », assure Nathalie Obadia. D’ailleurs, si les nouveaux amateurs acquièrent en premier lieu des créateurs français, ils diversifient au fur et à mesure leurs achats pour se créer un « filet de sécurité ».

Lobbying
Martin Bethenod souligne la concomitance étrange entre une internationalisation du marché et un regain de nationalisme français. L’enseignement artistique tendrait même à enfermer les artistes en herbe dans une bulle. Pour Caroline Bourgeois, il est grand temps que l’Hexagone saute dans le train de la globalisation et intègre enfin la culture du lobbying. « Il faut s’attaquer au réseau étranger et non au national. Il faut trouver un critique, une galerie ou un collectionneur étranger [qui se fassent] l’écho d’une exposition », insiste-t-elle. Marc-Olivier Wahler va même plus loin en lançant, un brin provocateur : « La meilleure chose qui puisse arriver à un artiste français, c’est de ne pas travailler avec une galerie française et d’avoir une bonne galerie à l’étranger. » Martin Guesnet relève l’absurdité du repli français : « Il ne faut pas oublier que l’on a vécu pendant des décennies sous un protectionnisme inégalé au monde. Tous les métiers de l’art étaient protégés contre l’envahisseur. Comme par hasard, le nouveau dynamisme coïncide avec la réforme du marché de l’art et l’arrivée en France des Anglo-Saxons. » Souvent mis au banc des accusés, quelle est aujourd’hui la position  de CulturesFrance vis-à-vis de cette nouvelle donne ? « Nous n’avons pas de stratégie individuelle, nous sommes au milieu d’un ensemble, affirme Alain Reinaudo. L’opération “Paris Calling” menée à Londres en 2006 a très bien fonctionné parce qu’elle n’était pas exportée de manière française. Nous avons invité les Anglais à venir faire leurs propres choix, qui se situaient parfois à l’inverse de ce que l’on aurait pu penser. L’année d’après, quatre ou cinq artistes ont été présentés dans différentes structures à Londres, ce qui ne s’était jamais vu. »

Droit de suite
L’affûtage des réseaux est donc nécessaire pour donner un coup de fouet au marché français. Plus concrètement, la résolution de certaines questions juridiques se révèle aussi indispensable. « Il faut supprimer toute disparité entre les deux gros acteurs européens [la France et le Royaume-Uni] concernant la question du droit de suite sur les artistes décédés. Quand on agit sur le marché des artistes décédés, il y a un impact sur celui des artistes vivants présentés en galerie », soutient Martin Bethenod. L’effet papillon en quelque sorte. Reste une donnée d’ordre plus atmosphérique : l’instauration d’un climat de confiance vis-à-vis des collectionneurs. Martin Guesnet le dit bien : « En Allemagne et aux États-Unis, ils sont fiers de leurs collectionneurs. En France, ça commence à peine depuis sept ans.» 

Cette table ronde s’est déroulée le 15 juillet 2008 au siège des Galeries Lafayette, à Paris, et a réuni Olivier Antoine, galerie Art : Concept, Paris ; Martin Bethenod, commissaire général de la FIAC et auteur d’un rapport sur le marché de l’art ; Caroline Bourgeois, conseillère artistique de François Pinault ; Martin Guesnet, directeur associé, spécialiste art contemporain, Artcurial ; Mathieu Mercier, artiste ; Nathalie Obadia, galeriste à Paris ; Alain Reinaudo, directeur adjoint, conseiller arts visuels-architecture à CulturesFrance ; Marc-Olivier Wahler, directeur du Palais de Tokyo, à Paris. Débat animé par Roxana Azimi, Guillaume Houzé et Philippe Régnier.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°287 du 19 septembre 2008, avec le titre suivant : Un marché qui se dynamise

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