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Le consommateur producteur

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 17 septembre 2008 - 725 mots

Le galeriste Emmanuel Perrotin institutionnalise le métier de producteur d’œuvres d’art contemporain avec la société « Rêves d’artistes »

PARIS - Dans le monde de l’art actuel, la production est devenue le nerf de la guerre. Pour parer au débauchage de leurs artistes, les galeries n’ont d’autre choix que de mettre la main à la pâte et au portefeuille. Cette activité est d’autant plus pressante pour les enseignes françaises, lesquelles risquent vite de se voir distancées, voire escamotées par les relais internationaux de leurs créateurs. Le galeriste Emmanuel Perrotin (Paris, Miami) a depuis longtemps compris l’importance de cette donnée. « Plus je produis, plus les artistes veulent que je produise. Je ne peux pas être au four et au moulin », confie-t-il. Du coup, voilà quelques années, il avait demandé à ses collectionneurs de co-produire avec lui Dragon Bob, de Takashi Murakami. Son nouveau projet baptisé « Rêves d’artistes » donne un coup d’accélérateur et un surcroît de professionnalisme à cette activité. L’idée consiste à profiter d’un dispositif de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat (TEPA) instaurant un mécanisme de réduction de l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune) en cas de participation au capital d’une PME (petites et moyennes entreprises). Concrètement, les redevables de l’ISF sont invités à souscrire pour une durée de cinq ans au capital de la société Rêves d’artistes, afin de financer la production d’œuvres d’art contemporain et de profiter ainsi d’une réduction d’impôt plafonnée à 50 000 euros. Du gagnant-gagnant ? « Je ne veux pas faire l’équivalent d’une Sofica [Société pour le financement de l’industrie cinématographique et audiovisuelle] pour le cinéma, car les gens ont rarement un retour sur leur mise de départ, explique Emmanuel Perrotin. Je ne fais pas miroiter des bénéfices mirobolants. Les gens qui souscrivent au projet viennent plus pour le plaisir que pour l’appât du gain. Mais je n’ai aucune raison de me fâcher avec des gens qui pourraient être mes propres clients. Les risques sont mutualisés. » En échange de la prise en charge des frais de production, l’artiste consent une promesse de vente à Rêves d’artistes, la galerie Perrotin étant mandataire exclusif de la vente. Plus l’écoulement de l’œuvre d’art prend du temps, plus le pourcentage en faveur des investisseurs augmente. Si cette rémunération, assise sur la marge brute de production, s’élève à 10 % quand la transaction a lieu dans les trois mois, elle grimpe à 27,5 % après un an et à 37,5 % après soixante mois. En revanche, la rémunération de la galerie va en décroissant, de 40 % à 12,5 % sur la même période. « Admettons qu’il y ait une crise durant deux ou trois ans. Après ce passage, les artistes les plus forts sont ceux qui auront produit des pièces spectaculaires à un moment où d’autres n’auraient pas su le faire, indique Perrotin. Pour la société, c’est encore mieux, car plus les œuvres sont en stock, plus elle touche un pourcentage à la vente. Le marché de l’art, c’est à qui perd gagne. On devient riche avec ce que l’on n’a pas vendu. » Le jeune entrepreneur espère lever 2 millions d’euros à partir du lancement officiel le 21 octobre, et s’atteler aussitôt à la production du projet de Xavier Veilhan prévu au château de Versailles l’an prochain. En jouant la carte du pharaonique, cette société ne va-t-elle pas succomber au spectaculaire à tous crins ? « Il ne s’agit pas de dénaturer un travail, ou faire dans le gigantisme », conteste le marchand.

Produire chez les confrères
Celui-ci ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Dans la foulée, il entend lancer une autre société destinée à s’intercaler entre les musées et les galeries pour produire les œuvres d’artistes promus par ses confrères. Sans grossir ni diluer son écurie, déjà importante, Perrotin pourra ainsi travailler avec des plasticiens qui l’intéressent sans pour autant les débaucher ! « Il y a une alternative au “mercato” pour les artistes, lance-t-il. Les musées n’ont pas forcément les moyens de produire, les galeries non plus. La neutralité de cette société pourrait d’ailleurs arranger les musées. » La galerie représentant l’artiste disposerait d’un mandat exclusif de vente allant de trois à six mois. Si l’œuvre n’est pas cédée au cours de ce délai, Perrotin bénéficiera d’un mandat parallèle de vente. Vous avez dit malin ?

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°287 du 19 septembre 2008, avec le titre suivant : Le consommateur producteur

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