Ventes aux enchères

Les Picasso de Dora Maar, événement de l’automne

Tableaux exceptionnels, dessins, photographies, estimés à 30 millions de francs

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 28 août 1998 - 791 mots

Cet automne se tiendra à Paris la vente la plus importante depuis la vacation Bourdon qui, en novembre 1989, avait réalisé 600 millions de produit. L’étude Piasa et Me Mathias disperseront les 27, 28 et 29 octobre, à la Maison de la Chimie, un ensemble d’œuvres fortes et mystérieuses représentatives d’une période importante dans la création de Picasso, les années 1936-1944. Cet ensemble pieusement conservé par Dora Maar, comprenant quelques tableaux exceptionnels mais aussi des dessins et photographies, est estimé prudemment 150 millions de francs.

PARIS - C’est en 1936 que Picasso rencontre Dora Maar (Henrietta Théodora Markovitch de son vrai nom) par l’entremise de Paul Eluard. Il a cinquante-cinq ans. Il est ébloui par la personnalité de cette femme passionnée, amie de Breton et de Bataille, qui est à la fois photographe et peintre. Sa femme Olga s’étant résolue à demander le divorce, Picasso organise désormais sa vie entre ses deux maîtresses, Marie-Thérèse Walter et Dora Maar. Cette dernière partagera la vie du peintre pendant les années de guerre, devenant sa muse et sa principale inspiratrice. La montée des fascismes et les tragédies de  la guerre qui font écho au tumulte de sa vie personnelle donnent aux toiles exécutées par Picasso au cours des années trente et quarante une tonalité angoissée. Ces œuvres, qui appartiennent à une période orageuse commençant avec Guernica, seront dispersées conjointement par l’étude Piasa et Me Mathias à la Maison de la Chimie, les 27, 28 et 29 octobre, à la requête des héritiers de Dora, retrouvés par des généalogistes. “Dora Maar a tout conservé avec une grande piété, partageant sa vie entre son appartement de la rue de Savoie, à Paris, et sa maison de Ménerbes, dans le Lubéron, précise l’un des commissaire-priseurs de Piasa, Lucien Solanet. La plupart des peintures n’étaient pas sur châssis. Elles avaient été glissées dans des cartons, eux-mêmes placés dans un coffre en banque. Aucune de ces œuvres n’a été achetée ni vendue par elle, quelques-unes, peu nombreuses, ont été prêtées pour des expositions. D’où le caractère unique et exceptionnel de cette vente”.

Un Picasso prédateur, épris de chair fraîche
La vente, dont le produit attendu avoisine les 150 millions de francs, comprend une dizaine de peintures sur toile – dont sept portraits de Dora Maar et une toile sur la guerre d’Espagne –, 50 dessins, des livres illustrés par Picasso, mais aussi des photographies et quelques œuvres protéiformes de l’artiste, comme ces sculptures-papiers – des papiers déchirés et troués à la cigarette – en forme de visages ou d’animaux, ces tessons ou ces petits galets gravés. “Picasso dessinait tout le temps et partout, poursuit Lucien Solanet, sur les nappes recouvrant les tables des restaurants comme sur les galets ramassés sur les plages ou les fragments de terre cuite qu’il gravait”. Parmi les huiles sur toile les plus importantes figure La Femme qui pleure (16 à 20 millions de francs), exécutée le 22 juin 1937, qui appartient à la série réalisée comme un post-scriptum à Guernica. Cette stylisation du visage de Dora Maar en femme qui pleure, défigurée et hystérique, peut paraître annonciateur d’une catastrophe universelle. Picasso considérait plus simplement ce portrait comme une vision objective de cette femme au caractère impulsif et violent. “Pour moi, c’est une femme qui pleure. Pendant des années, je l’ai peinte en formes torturées, non par sadisme ou par plaisir. Je ne pouvais que donner la vision qui s’imposait à moi. C’était la réalité profonde de Dora Maar” – propos rapportés par Françoise Gilot dans Vivre avec Picasso. Dora et le Minotaure (3 à 5 millions de francs), peint en septembre 1936, donne une vision d’un Picasso prédateur, épris de chair fraîche, représenté sous les traits du Minotaure violentant une jeune femme lascive. “Cette œuvre, réalisée au fusain et à l’encre de Chine puis coloriée, a été exécutée à Mougins lors des premières vacances que le peintre passait aux côtés de Dora Maar en compagnie d’Eluard , explique Marc Blondeau. Le tableau témoigne de l’intensité d’une passion dominée par un Picasso jaloux de son autorité”.

Tête penchée au foulard jaune (65,5 x 54 cm) de 1936, estimé 12 à 15 millions de francs, et Dora Maar sur la plage, 8 à 12 millions de francs, sont deux autres tableaux majeurs de la vente. Celle-ci inclut également des livres, dont un Buffon offert à Dora Maar, orné par Picasso en un après-midi, le 24 janvier 1943, de quarante dessins au lavis d’animaux et de figures, un manuscrit autographe d’Eluard entièrement enluminé par le peintre, ainsi que des photographies réalisées par Dora, des portraits de ses amis surréalistes et de Picasso. “Ce n’est pas une collection, mais un ensemble d’œuvres qui sont le reflet d’une vie commune orageuse dans un contexte historique dramatique”, conclut Jean-Jacques Mathias.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°65 du 28 août 1998, avec le titre suivant : Les Picasso de Dora Maar, événement de l’automne

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