Art moderne - Faux

Vrais ou faux Van Gogh

L’affaire « Tournesols »

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 28 août 1998 - 754 mots

JAPON

La provenance des Tournesols acquis par la compagnie d’assurances japonaise Yasuda est une question clé dans la controverse sur l’authenticité de cette œuvre. L’établissement d’un lien direct entre un tableau et l’artiste dissipe en général les doutes. Mais dans le cas de cette toile, il faut tenir compte d’un indice supplémentaire. En effet, l’œuvre appartenait autrefois à Amédée Schuffenecker et, avant lui, à son frère Émile. Les deux frères sont soupçonnés d’avoir peint et vendu de faux Van Gogh, ce qui ne fait qu’alimenter le doute quant à l’authenticité du tableau de Tokyo.

La provenance du tableau Yasuda est une question très complexe. Il existe en effet plusieurs versions des Tournesols, et il est bien difficile de les distinguer les unes des autres dans les premiers registres et catalogues. Les spécialistes qui affirment l’authenticité des Tournesols acquis par Yasuda s’accordent sur son origine. La toile a été peinte par Van Gogh fin janvier 1889, à Arles, comme copie de la version originale exécutée en août 1888 (aujourd’hui à la National Gallery de Londres). Le 2 mai 1889, juste avant d’être interné à l’asile de Saint-Rémy-de-Provence, Vincent envoie la “version Yasuda” à son frère Théo à Paris. À la mort de Théo, le 25 janvier 1891, le tableau ainsi que des centaines d’autres œuvres reviennent à sa veuve, Jo Bonger-Van Gogh.

Les avis divergent ensuite. Le catalogue raisonné de l’œuvre de Van Gogh publié en 1970 par Bart de la Faille indique qu’Émile Schuffenecker avait fait l’acquisition en 1901 de la version des Tournesols de janvier 1889. Pour preuve, de la Faille avance qu’Émile Schuffenecker avait prêté ce tableau pour une exposition à la galerie Bernheim-Jeune, à Paris, en 1901.

Le catalogue de la vente Christie’s des Tournesols, en 1987 proposait une nouvelle hypothèse élaborée par l’historien de l’art Roland Dorn. En s’appuyant sur les descriptions succinctes des deux versions des Tournesols dans le catalogue Bernheim-Jeune, il expliquait que Bart de la Faille avait confondu la version des Tournesols proposée Christie’s avec celle aujourd’hui conservée au Philadelphia Museum of Art. Selon Roland Dorn, la première version aurait été prêtée en 1901 par un autre collectionneur parisien, le comte de La Rochefoucauld, également artiste amateur. Ce dernier aurait fait l’acquisition du tableau auprès de Jo Bonger au début des années 1890, et l’aurait vendu à Amédée Schuffenecker avant 1907. Roland Dorn proposait également une théorie sur le parcours ultérieur du tableau.

Peu de temps après la vente de 1987, Ronald Pickvance a réfuté la théorie de Roland Dorn dans un essai publié dans la Christie’s Review of the Year. Il a pu prouver que la version conservée à Philadelphie était bien celle qui avait appartenu à La Rochefoucauld. Cela impliquait donc que la “version Yasuda” avait été la propriété d’Émile Schuffenecker. Roland Dorn a fini par accepter cette interprétation.

Cette année, le débat a été relancé avec la publication d’un article de Bogomila Welsh-Ovcharov dans l’édition de mars du Burlington Magazine. Des lettres conservées au Musée Van Gogh indiquent clairement qu’Émile Schuffenecker avait acheté les Tournesols de Yasuda à Jo Bonger en mars 1894, par l’intermédiaire de la veuve du Père Tanguy, marchand de couleurs. Bogomila Welsh-Ovcharov avançait également que la version de Philadelphie avait initialement appartenu à Gauguin.
La dernière théorie en date, proposée par Benoît Landais et Antonio de Robertis, conclut que le tableau acquis par Yasuda est un faux. Dans un livret publié en mai, Landais affirme que les Tournesols de Tokyo n’ont pas été peints par Van Gogh, mais par Émile Schuffenecker qui les avait exposés chez Bernheim-Jeune en 1901.

Que les Tournesols de Yasuda aient appartenu ou non à Émile Schuffenecker, la suite de leur parcours ne fait aucun doute. En 1907, voire quelques années plus tôt, le tableau est passé par son frère cadet, le marchand Amédée Schuffenecker, qui l’a revendu moins d’un an plus tard à la galerie Druet, à Paris. Dès 1910, il est acheté par le collectionneur berlinois Paul von Mendelssohn-Bartholdy qui, au début des années trente, le vend à la galerie Paul Rosenberg à Paris. Edith Beatty fait l’acquisition des Tournesols en 1934 et, à la mort des époux Beatty, le tableau revient à leur fils et à sa femme. Le 30 mars 1987, Helen Beatty vend les Tournesols chez Christie’s. Ils sont alors achetés par la Yasuda Marine and Fire Insurance pour le Yasuda Kasai Museum of Art, installé dans les locaux de la compagnie d’assurances à Tokyo. Le vente se conclut au prix record de 24,75 millions de dollars (environ 148,5 millions de francs).

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°65 du 28 août 1998, avec le titre suivant : L’affaire « Tournesols »

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