Retour à Vienne la sombre

Deux expositions pour découvrir l’Expressionnisme autrichien

Le Journal des Arts

Le 28 août 1998 - 569 mots

De la rétrospective Kokoschka à l’exposition “l’Expressionnisme en Autriche?, présentées à Bruxelles, la Vienne des années vingt sort de l’ombre et révèle un état d’esprit résolument révolutionnaire et anticonformiste.

BRUXELLES - À l’époque de la Sécession, Herman Bahr décrivait la capitale des Habsbourg comme une ville claire, qu’il opposait à l’obscurité d’un Khnopff. Vingt ans plus tard, Schiele écrivait à son ami Anton Peschka : “Tout n’est qu’ombre à Vienne, la ville est noire”. Ce sentiment de décrépitude et la révolte qu’il engendre sont au centre des trois expositions présentées en Belgique cet été. Si l’œuvre d’Oskar Kokoschka apparaît centrale avec la rétrospective accrochée à l’Hôtel de Ville de Bruxelles et l’exposition de l’œuvre gravé au Musée Rops de Namur, celle proposée par le Musée d’Ixelles replace cette personnalité dominante dans le contexte d’un Expressionnisme autrichien longtemps occulté par l’éclat de la Sécession.

L’exposition conçue par Gerbert Frodl, directeur de l’Österreichische Galerie Belvedere, et par Franz Smola change la perspective historique. L’Expressionnisme autrichien se dégage de l’image fin de siècle souvent mise en évidence dans les grandes manifestations consacrée à l’art viennois. Bien sûr, l’atmosphère d’épanouissement liée à la Sécession et à ses figures majeures – Klimt, Mahler ou Hoffmann – a joué un rôle déterminant dans l’émergence d’une “contre-culture” qui luttera à la fois contre la suprématie de la Sécession et sa conception de l’art dans la société.

Schiele ouvre l’exposition en offrant une liaison contrastée avec l’esprit sécessionniste. Chez Schiele comme chez Kokoschka, les formes anciennes conservent une permanence alors que l’esprit même des représentations se métamorphose. Les cartes postales que ce dernier réalise pour les Wiener Werkstätte, en 1907, ou les lithographies en couleur pour Die träumenden Knaben de 1908 en sont de parfaits exemples. Au formalisme qui définissait l’ambition de l’œuvre totale, succède la conviction que l’homme, dans sa singularité existentielle, doit occuper la place centrale. Répondant à une période de doutes et d’angoisses, mais aussi d’enthousiasme apocalyptique et de foi dans le progrès, l’Expressionnisme se formule comme une attitude de rupture avec le conservatisme de la Sécession. Par son sens du scandale et de la provocation, par son sentiment de supériorité teinté d’humour et de dérision, Kokoschka est proche des Futuristes. Mais à la “modernolâtrie” de ces derniers, il oppose un art où le sujet se dénude pour ne parler qu’à la première personne. La centaine d’œuvres réunies à l’Hôtel de Ville de Bruxelles, qui viennent de la Fondation Kokoschka du Musée Jenisch de Vevey, en atteste.

Cet art d’intériorité, dégagé du culte de l’idée cher aux Symbolistes de la génération précédente, définit le dénominateur commun de cet Expressionnisme autrichien qui, avec un Richard Gerstl, libère la palette avec la virulence luministe d’un Fauve, et avec un Schönberg, qui suivit les cours de Gerstl, atteint l’informel dans une vision hallucinée.

Avec Klimt, la Sécession s’était attachée à rendre les méandres de la psyché. L’Expressionnisme, de Schiele à Schönberg, s’intéresse à l’homme dans la fragilité de son destin.

- L’EXPRESSIONNISME EN AUTRICHE. DE SCHIELE ET KOKOSCHKA AUX ANNÉES 20, jusqu’au 13 septembre, Musée d’Ixelles, 71 rue Jean Van Volsem, 1050 Bruxelles, tél. 32 2 511 90 84, tlj sauf lundi et jf 13h-18h30, sam.-dim. 10h-17h. Catalogue 192 p. coul. et n&b, 1 350 FB. - OSKAR KOKOSHKA, jusqu’au 30 septembre, Hôtel de Ville, Grand-Place, 1000 Bruxelles, tél. 32 2 513 89 40, tlj sauf lundi 11h-18h. Catalogue 264 p. coul. et n&b, 1 800 FB.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°65 du 28 août 1998, avec le titre suivant : Retour à Vienne la sombre

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