Les Nabis jusqu’au XXe siècle

Montréal expose des œuvres créées après la dissolution du groupe

Le Journal des Arts

Le 28 août 1998 - 843 mots

Réévaluer la place occupée par le groupe des Nabis dans l’histoire de l’art moderne à travers une exposition concise et rigoureuse, telle est la tâche que s’est assignée Guy Cogeval, le nouveau directeur du Musée des beaux-arts de Montréal. L’originalité de la démarche consistant à élargir la période habituellement prise en compte participe de la réhabilitation de ce mouvement, qui a joué un rôle important d’avant-garde.

MONTRÉAL (de notre correspondante) - Après Florence, c’est à Montréal que revient l’honneur de présenter près de 200 œuvres du premier mouvement d’avant-garde de l’art moderne. Rassemblés en 1888 sous le nom de “Nabis” – transcription d’un mot hébreu signifiant “prophète” –, Bonnard, Vuillard, Maurice Denis, Vallotton, Sérusier, Ranson et Roussel ont écrit ensemble un des épisodes les plus forts du Postimpressionnisme. L’exposition, à l’origine, ne devait être présentée qu’à Florence. Elle profite de son étape nord-américaine pour étoffer son contenu avec de nombreuses œuvres prêtées par les musées et les collectionneurs d’Amérique du Nord : ces toiles – quasi absentes à Florence – constitueront près du quart de l’exposition de Montréal. Portant principalement sur la peinture de chevalet, celle-ci ne néglige pas pour autant les autres domaines explorés par les Nabis. Outre l’œuvre graphique largement représentée par des dessins et des illustrations, une petite section consacrée aux arts appliqués attire l’attention sur le talent avec lequel les Nabis ont su intégrer l’art à la vie.

Au-delà de la décennie officielle
De dimension plus modeste que les deux dernières grandes expositions consacrées au mouvement (Paris et Zurich, en 1993 et 1994), “Le Temps des Nabis” repose sur une conception ambitieuse qui favorise très probablement un regard nouveau sur le sujet, voire une réévaluation de la place, qu’ils ont occupée dans l’art moderne. Plutôt que de se limiter à la décennie d’existence officielle du groupe (1888-1899), comme cela a été le cas jusqu’à présent, les commissaires ont étendu leur choix aux œuvres produites après la dissolution du groupe. Cela se justifie d’autant plus que les Nabis sont restés très liés les uns aux autres jusqu’à la fin de leur existence, et qu’il est intéressant de mettre en évidence l’unité qui prévaut tout au long de leurs trajets respectifs. “Avoir en même temps sous les yeux des œuvres de Bonnard et de Vuillard réalisées à quarante ans de distance révèle par exemple à quel point ils restent les représentants d’un certain art humaniste, qui n’est pas du tout marqué par les ruptures des courants du début du siècle. Le Cubisme leur est étranger, ils le contournent. Prenant apparemment des voies conservatrices et attachées à un art ancien, ils s’avèrent autour de 1920-1930 bien plus modernes qu’un Derain ou un Vlaminck, qui clament la décadence de la peinture”, précise Guy Cogeval. “Le titre de l’exposition souligne d’ailleurs qu’ils ont réussi à imposer leur temps au siècle, à s’aménager un espace-temps qui leur est propre. Mais certaines œuvres montrent que leur rapport avec la société n’en était pas moins réel : Vallotton, dont la joyeuse anarchie n’épargnait ni les bourgeois ni les forces de l’ordre, a produit des gravures sur bois qui valent les meilleurs pamphlets. Bonnard a dessiné pour Alfred Jarry, grand ami des Nabis, le personnage d’Ubu Roi dont il avait saisi toute la valeur allégorique face aux dictatures de toutes sortes.”

En incluant une série d’œuvres que les Nabis ont produites au XXe siècle et qui n’ont plus été montrées depuis longtemps, l’exposition adopte donc une position originale et va largement dans le sens de la réhabilitation du mouvement. Celle-ci a débuté après la dernière guerre. “Jusque-là, pratiquement personne ne s’intéresse au mouvement nabi, souligne Guy Cogeval. Maurice Denis, théoricien du mouvement, quand il retrace l’histoire de l’idéalisme en peinture, n’utilise presque jamais le terme “nabi” et se contente de raconter simplement les cérémonies et les habitudes du groupe”. Les premières expositions importantes qui lui sont consacrées débutent en 1954, à Zurich. Paris suit en 1955. “À ce moment-là, rappelle-t-il, les critiques – très favorables – se fondent sur l’impression que ces peintres sauvent des débordements de l’Expressionnisme. Mais, aujourd’hui, ce sentiment ne nous semble plus pertinent : certaines œuvres produites par Bonnard à la fin de sa vie sont renversantes d’audace”.

Le sacré
Même si l’insistance sur l’innovation picturale des Nabis guide l’approche générale adoptée, certains tableaux de Maurice Denis, à qui l’exposition fait une large part, attirent l’attention sur un point non négligeable du credo nabi : le caractère sacré de la peinture. Justice est rendue à cet artiste surnommé “le Nabi aux belles icônes”, aussi capable d’ésotérisme que d’audacieux jeux de couleurs. L’ensemble du parcours donne à un public attentif aux liens entre la peinture nabie et la modernité le sentiment qu’une exposition peut rendre des artistes du XIXe siècle proches de nous, tout en ne cédant à aucun réductionnisme et en se donnant les moyens de ne pas brusquer leur temps.

LE TEMPS DES NABIS : BONNARD, VUILLARD, MAURICE DENIS, VALLOTTON, SÉRUSIER, RANSON, ROUSSEL

Jusqu’au 22 novembre, Musée des beaux-arts, 1379 rue Sherbrooke Ouest, Montréal, tél. 1 514 285 1600, tlj sauf lundi 11h-18h, mercredi 11h-21h.

Repères

Bonnard, Vuillard, Maurice Denis, Sérusier, Vallotton, Roussel, Ranson sont les principaux protagonistes du mouvement nabi, né en France en 1888. Une petite peinture réalisée par Sérusier sous la direction de Gauguin – bientôt nommée Le Talisman – décide le groupe de jeunes artistes à adopter une conception novatrice de la peinture, inspirée de Gauguin et influencée par le Japonisme. Leur point de départ est “l’Idée�?, exprimée par des formes et des couleurs symboliques. Leurs mots-clés sont synthétisme et décoration. Pendant une dizaine d’années, les Nabis déploieront sur toutes sortes de supports leur grande audace créative : tableaux, murs, vitraux, décors de théâtre, affiches et illustrations. L’exposition chez Durand-Ruel, en 1899, est considérée comme la dernière manifestation officielle du groupe.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°65 du 28 août 1998, avec le titre suivant : Les Nabis jusqu’au XXe siècle

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