L’actualité vue par Stanislas Nordey

Directeur du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 28 août 1998 - 995 mots

Né en 1966, Stanislas Nordey, metteur en scène et comédien, a créé la Compagnie Nordey en 1988. Après avoir mis en scène de nombreuses pièces dont La Dispute de Marivaux, son texte fétiche, il a été associé en 1995 à la direction artistique au Théâtre de Nanterre - Amandiers. En 1997, il a créé J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne, de Jean Luc Lagarce, au Théâtre Ouvert, à Paris, et Contention - La Dispute de Didier-Georges Gabily et Marivaux, au Festival d’Avignon 1997 et au Théâtre de Nanterre - Amandiers. Stanislas Nordey a été nommé en janvier 1998 directeur du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, Centre dramatique national. Il commente l’actualité.

Au Conseil régional de Rhône-Alpes, les Socialistes et les Verts ont associé leurs voix à celles du FN pour rejeter les subventions à la Biennale de la Danse et à la Compagnie de théâtre Image Aiguë de Christiane Véricel. Qu’en pensez-vous ?
La culture est toujours la première cible des partis extrémistes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard. Ils commencent par s’attaquer aux endroits où la pensée circule, où la parole circule, parce qu’ils représentent un danger pour eux. Le vote du Conseil régional de Rhône-Alpes est un micro-phénomène d’un fait plus important. Pour lutter contre le Front national, l’État doit réaffirmer très fortement dans ses choix l’importance de la culture afin d’opérer un contrepoids. Sinon, nous en serons réduits à faire des pansements ponctuels, comme ce fut le cas à Châteauvallon. Comme pour les barrages en Chine, à un moment cela prendra l’eau de toutes parts et il sera trop tard. Il manque à l’heure actuelle l’affirmation d’une politique culturelle forte de l’État. Quelle est la politique culturelle de Lionel Jospin ? Je ne l’ai jamais entendu s’exprimer clairement sur les orientations de la politique culturelle aujourd’hui en France. Le vrai problème vient de là. Sous le ministère Douste-Blazy, l’État s’est désengagé, puis les villes et les collectivités territoriales ont suivi l’exemple. Pourtant, je suis très partisan d’un engagement fort de l’État dans la culture, surtout lorsque l’on regarde ce qui se passe dans les pays étrangers, et même voisins, en Angleterre, en Belgique, en Italie. Là où il y a désengagement de l’État, la culture se marginalise complètement et perd toute force.

Que pensez-vous de la politique actuelle du ministère de la Culture ?
Les intentions qui sont annoncées ne sont pas du tout inintéressantes, à l’exemple de la Charte de service public pour le spectacle vivant. Mais nous manquons cruellement de moyens sur le terrain. Les budgets de la Culture ont été tellement attaqués sous les deux précédents ministères que l’on en est sorti un peu exsangue quand la gauche est revenue au pouvoir. Nous devions faire marcher des institutions, des compagnies, avec des moyens de plus en plus réduits. Nous attendions un geste vraiment fort qui n’est pas venu. La première année, c’était justifié par le fait que le nouveau gouvernement héritait d’un budget qui n’était pas le sien. Mais nous nous attendions à beaucoup plus la seconde année. Je n’ai pas l’impression que la Culture soit une priorité du gouvernement. Pourtant elle ne coûte pas cher par rapport à tout ce qu’elle génère, même 1 %, c’est négligeable. Sur le fond, il n’y a pas grand chose à redire aux intentions du ministère, mais il manque une envie, un désir fort. Je le trouve un peu velléitaire.

En arrivant à la tête du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, vous avez radicalement modifié la politique tarifaire, avec des places à 50 francs. Le nouveau ministère britannique a décidé qu’en 2001, l’entrée de tous les musées nationaux du pays serait gratuite. Pensez-vous qu’en France, nous devrions nous engager dans la même voie ?
Oui, je suis absolument pour. À partir du moment où il y a un ministère, où il existe des subventions publiques, elles sont faites pour faciliter l’accès de tous à la culture. Je suis résolument pour la gratuité de tout ce qui dépend des subventions publiques. L’accès aux bibliothèques, aux musées, aux théâtres devrait être gratuit.

Les grands travaux continuent. Le Musée des Arts et Civilisations sera finalement construit quai Branly pour 1,1 milliard de francs. Dans le même temps, la Maison du Cinéma s’installera à Bercy dans l’ancien American Center. Votre opinion ?
Je suis pour une politique de grands travaux à partir du moment où elle est accompagnée budgétairement, où elle procède d’une vraie réflexion et ne relève pas du fait du Prince. Les problèmes arrivent toujours avec les budgets de fonctionnement, même si ces institutions créent heureusement des emplois. Quand des amis étrangers viennent en France, je suis content de les emmener voir les colonnes de Buren, la pyramide du Louvre, la Très Grande Bibliothèque, ne serait-ce que pour leur montrer que nous sommes un pays de culture. Je crois que c’est important pour l’image de la France, et j’en suis fier. On peut penser ce que l’on veut des années Lang, des années Mitterrand, mais au moins il y avait une pensée. On pouvait y adhérer ou pas. Qu’il y ait un grand musée de plus, cela ne me gêne pas, au contraire. Mais il ne faut pas non plus perdre de vue la création contemporaine, le patrimoine de demain. Quand j’ai lu le rapport Rigaud, je trouvais dangereux que l’on y parle à peine de la création contemporaine.

L’administration autrichienne a interdit au public d’assister au happening d’Hermann Nitsch, au château de Prinzenhof.
J’y suis sensible puisque nous sommes en train de travailler sur un auteur autrichien, Werner Schwab, qui était très proche de tout le mouvement de l’Actionnisme viennois. J’ai suivi cette affaire dans la presse. Je suis évidement contre toute forme de censure. Cette épisode montre bien qu’il y a des intolérances partout et que l’art est toujours la cible la plus facile, surtout l‘art contemporain. Et nous ne devons jamais oublier que la création contemporaine doit être farouchement encouragée car elle est le fondement du patrimoine de demain.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°65 du 28 août 1998, avec le titre suivant : L’actualité vue par Stanislas Nordey

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