Art et communication

Défilé d’art

Le Journal des Arts

Le 28 août 1998 - 479 mots

Monsieur Yves Saint Laurent a des sources d’inspiration multiples. Parmi elles, et non la moindre, la peinture.

Il parle volontiers de vert Titien, de rouge Cranach, de noir Frans Hals, de gris Goya. Ses collections ne cachent pas l’influence de Picasso, Matisse ou Mondrian. Mais ses créations n’ignorent pas non plus la provocation, voire l’érotisme. La communication choisie par l’agence Wolkoff et Arnodin pour la campagne “Rive Gauche” de l’automne/hiver 1998-99 rapproche les deux univers chers à ce grand couturier inventeur de l’esprit “Rive Gauche”, celui-là même qui donne à la femme davantage de séduction que d’élégance, et de liberté que de conventionnel. La jonction est faite, le détournement commence. Tout d’abord, prendre des œuvres facilement identifiables ayant marqué l’histoire de la peinture, qui symbolisent des rapports érotiques et étaient déjà dérangeantes à leur époque, puis les remettre au goût du jour dans des photos de mode. Ensuite, ce n’est pas le jeu des sept erreurs mais nous n’en sommes pas très loin, à grands coups d’inversions de rôles et de situations. Pour présenter la collection homme, dans l’Olympia d’Édouard Manet (1863), la femme nue devient un homme habillé, et la “doudou” se retrouve avec un bouquet de fleurs pour seule parure. Dans le Sommeil de Gustave Courbet (1866), l’une des deux protagonistes est remplacée par un jeune éphèbe en tenue noire. La conception est la même pour la collection femme. Ainsi, dans le Déjeuner sur l’herbe de Manet (1863), la demoiselle s’habille, les deux messieurs se dévêtissent. C’est une belle dame qui soutient un gaillard dévêtu dans le Verrou de Fragonard (1804). Enfin, dernier acte, l’une des muses de l’École de Fontainebleau (Gabrielle d’Estrées et sa sœur) se trouve être un beau bougre, tandis que l’autre porte une robe. Cinq toiles sont détournées au service de la mode, et dans la logique des collections puisque ce sont évidemment quelques-uns des modèles qui sont photographiés. La réalisation de ces photos, faites en studio à New York, a été confiée à Mario Sorrenti, dont le traité est très pictural. Il a su moderniser les originaux tout en conservant un lien très étroit avec la pensée initiale. Les tons sont chauds, les couleurs chatoyantes. C’est du bon travail, bien fini. Les mannequins y sont également pour quelque chose. Les trois femmes – Kate Moss, Kim Lemanton, Lorraine Pascal – et deux hommes – Scott Barnhill, Daniel Schmickel – dégagent sensualité, abandon et élégance. On apprécie la parfaite maîtrise de l’exécution dans le travail d’Yves Saint Laurent. Cette campagne lui ressemble. Elle est imaginative, assez sexy, et a le mérite de valoriser la marque sans dévaloriser l’art pictural.

Agence : Wolkoff et Arnodin / Directeur de création : Alexandre Wolkoff / Conception et direction artistique : Laurence Perez / Photographe : Mario Sorrenti / Décorateur : Jack Flanagan / Styliste femme : Loulou de la Falaise / Styliste homme : Hedi Slimane

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°65 du 28 août 1998, avec le titre suivant : Défilé d’art

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