1974-1998, comment un salon bon enfant a réussi à devenir une foire professionnelle

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 25 septembre 1998 - 1459 mots

Après la gare de la Bastille, le Grand Palais et le quai Branly, la Fiac, qui célèbre cette année sa vingt-cinquième édition, s’apprête à déménager une fois encore. Peu de lieux prestigieux peuvent cependant rivaliser avec le Grand Palais qui a hébergé la foire dans ses heures de gloire. Même si certains s’en défendent, l’écrin de la manifestation semble primordial à son rayonnement. C’est l’un des enseignements de l’histoire de la Fiac.

Lorsque le 1er Salon international d’Art a été inauguré en 1974 dans l’ancienne gare de la Bastille, son avenir paraissait particulièrement incertain : le marché de l’art contemporain était quasi inexistant en France. “Cela ne paraissait absolument pas envisageable de développer un événement de ce type, notamment avec l’outil que nous avions à l’époque, cette ancienne gare désaffectée, se souvient Henri Jobbé-Duval, directeur général adjoint de Reed-Oip, organisateur de la Fiac. Il fallait avoir foi dans les professionnels du secteur installés en France, dans l’image de la France, dans l’image de Paris”. Le contexte du milieu des années soixante-dix n’était pas en effet des plus réjouissants. Un esprit de chapelle régnait dans le monde des galeries, et l’art contemporain n’avait aucun écho dans les médias grand public. La création de la Fiac a coïncidé avec la montée en puissance de l’intérêt pour l’art actuel, motivée par l’ouverture de lieux comme le Centre Georges Pompidou en 1977, puis par la création d’un réseau de centres d’art, avant que la foire ne devienne l’un des instruments du marché euphorique des années quatre-vingt. “La Fiac a eu un grande importance pour ouvrir la situation française à l’art contemporain, rappelle le galeriste Michel Durand-Dessert. Tout un public français a ainsi pu voir un art différent de ce qu’il voyait d’habitude. Elle a permis à cet art que l’on montre d’être admis comme  œuvre d’art. Je me souviens d’une agressivité très forte du public au début des années quatre-vingt”.

L’évolution de la fréquentation est à ce titre éclairant. Dépassant à peine les 9 000 visiteurs en dix jours lors du 1er Salon à la Bastille, elle a atteint 150 000 personnes en 1993. Longtemps, la courbe des ventes a suivi celle de la fréquentation. Puis, dans les années quatre-vingt-dix, le mouvement s’est inversé : les visiteurs ont continué de venir, mais plus les acheteurs. “La Fiac demeure un véritable événement de rencontre, un événement un peu mondain aussi, mais cela fait partie de la vie d’une foire”, souligne Yvon Lambert, président du bureau du Cofiac (Comité d’organisation et de sélection pour la Foire internationale d’art contemporain). “La Fiac est un phénomène social qui n’existe pas ailleurs, remarque Michel Durand-Dessert. Beaucoup de gens y venaient, et elle est devenue un événement qui a dépassé le collectionneur”. Certains déplorent cependant cette affluence qui, selon eux, a un effet néfaste sur le commerce. “Évidemment il y a, le dimanche, des parents qui viennent avec leurs enfants, qui paient leur entrée, constate Yvon Lambert. On doit les encourager. Bien sûr, il y a certains marchands qui préfèrent avoir dix visiteurs au lieu de cent, dont huit acheteurs”. “Le succès social présente des inconvénients, estime Michel Durand-Dessert. La foire a un côté parisien, pas très avant-gardiste. On a presque l’impression d’être dans un musée et pas dans une foire, ce qui est également confirmé par le nombre d’expositions personnelles. Cela n’existe pas ailleurs”. Pour Henri Jobbé-Duval, cette dimension culturelle constitue la spécificité de la Fiac par rapport aux autres foires. Mais le galeriste Philippe Rizzo juge, lui, qu’“une foire est faite pour vendre, ce n’est pas de l’action culturelle”. L’événement a certainement pâti de son esprit très parisien, de son orientation très médiatique. Au fond, on venait plutôt pour se montrer que pour voir. Alors acheter…  Lors des premières éditions, certains visiteurs se posaient même la question de savoir si les œuvres étaient à vendre. “Lorsque nous avons organisé la deuxième Fiac à la Bastille, se souvient Henri Jobbé-Duval, j’avais inscrit sur le catalogue la phrase suivante : un marché où l’art s’achète, ce qui avait été très peu apprécié par certains exposants qui trouvaient cela très vulgaire. Mais c’est quand même le nerf de la guerre !”

Un rendez-vous important
Depuis quelques années pourtant, l’Oip a quelque peu changé d’orientation. La Fiac souhaite être plus professionnelle et attirer une part plus importante de collectionneurs : la communication est moins “grand public”, le nombre des invitations plus limité, et le prix d’entrée a augmenté… Selon Henri Jobbé-Duval, “la dimension économique de la foire est peut-être plus fragile que pour d’autres, parce que le marché intérieur n’est pas aussi fort que dans d’autres pays, que ce soit l’Allemagne ou l’Italie. Les Français ont un peu perdu leur spontanéité. Ils achètent “avec leurs oreilles” en espérant spéculer un peu ou, en tout cas, faire un bon placement. Ce n’est pas trop le cas des Américains ou des Allemands”. Il est également vrai que le contexte socio-culturel n’est pas très favorable. Pour un chef d’entreprise, il n’est souvent pas très valorisant de collectionner l’art le plus contemporain, à l’inverse de bien d’autres pays. L’une des réussites de la Fiac vient de sa capacité à dépasser la situation française, qui reste assez floue vue de l’extérieur. “Certains étrangers pensent qu’il se passe en France moins de choses qu’au Portugal ou en Grèce, parce qu’il y a dans ces pays de gros collectionneurs, déclare Philippe Rizzo. Les étrangers ne viennent pas à Paris pour acheter des œuvres mais pour faire plaisir à leur femme !” Anne Lahumière estime en revanche que “Paris est redevenu un rendez-vous important pour les collectionneurs. Ils viennent y faire des affaires parce qu’ils pensent que les prix sont moins élevés, que l’on peut tomber sur des occasions”. Des collectionneurs se précipitent d’ailleurs chaque année pour voir la foire en avant-première. Certains viennent même pendant le montage pour ne pas laisser passer les meilleures pièces aux meilleurs prix.

Une foire sans domicile fixe
Certains considèrent cependant que la Fiac a aujourd’hui beaucoup perdu de son aura internationale, qu’elle est devenue une foire “régionale”, “franco-française”, même si pour Yvon Lambert, “elle est internationale à tous les niveaux”. “Dans les années quatre-vingt, la foire était un très grand événement international comparé à celle de Bâle”, se souvient Michel Durand-Dessert. Cette opinion est partagée par Anne Lahumière : “La Fiac est le principal rendez-vous français de l’année, comparable à Cologne, à Bâle et à Chicago. À Paris, la foire ne peut accueillir que 180 ou 200 galeries. À Bâle, elles sont plus de 300. Beaucoup n’y ont pas le niveau, mais elles sont noyées dans la masse. Quand la Fiac était au Grand Palais, elle était l’égale de Bâle. À une époque, elle était même plus importante que celle-ci”.

Le déménagement contraint et forcé du Grand Palais au quai Branly a été un coup dur pour la manifestation, d’autant plus qu’il s’est produit en 1994, au pire moment de la crise du marché de l’art. Après la gare de la Bastille, un lieu très marginal, le Grand Palais a beaucoup aidé au développement et au rayonnement de la Fiac. Lorsque Jacques Toubon a décidé de fermer le bâtiment pour des raisons de sécurité, il devait rouvrir dix-huit mois plus tard, deux ou trois ans après au maximum. Cinq ans plus tard, la situation n’a pas changé. Seul espace alors disponible en plein Paris, le quai Branly a hébergé la Fiac sous ses tentes. Même si certains, comme Michel Rein, galeriste à Tours, n’ont “pas d’état d’âme sur le lieu”, estimant que la qualité des œuvres est ce qui compte avant tout, Michel Durand-Dessert tempête : “Il n’y a pas de solution satisfaisante pour le remplacement du Grand Palais. Les gens du ministère sont vraiment des incapables”. Avec la construction prochaine du Musée des arts et civilisations (Mac), le quai Branly ne sera plus disponible en 2001. Or, le Grand Palais ne rouvrira pas avant cinq ans. Prenant les devants, la Fiac pourrait s’installer dès l’an prochain dans le nouveau Hall 4 du Parc des expositions de la Porte de Versailles. Pour François Ditesheim, de la galerie Jan Krugier, Ditesheim & Cie, “si la Fiac emménage dans un lieu moins prestigieux, comme la Porte de Versailles, nous pourrions reconsidérer notre participation. Déjà, de nombreux collectionneurs ne viennent plus, les Américains font défaut. Nous pourrions alors nous tourner vers la Biennale des Antiquaires”.

Porte de Versailles, la manifestation pourrait disposer de 18 000 m2, contre 15 000 actuellement, ce qui permettrait d’accueillir quelques galeries supplémentaires. Elle resterait tout de même l’une des plus petites foires au monde – Bâle, par exemple, dispose de 28 000 m2 –, mais la Fiac pourrait alors réintégrer quelques grands éditeurs, ce qui signerait l’arrêt de mort du Saga, le salon de l’estampe, de la photographie et du dessin.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°67 du 25 septembre 1998, avec le titre suivant : 1974-1998, comment un salon bon enfant a réussi à devenir une foire professionnelle

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