L’Irak pille, l’Onu répare

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 25 septembre 1998 - 648 mots

L’Organisation des Nations unies vient d’accorder une indemnité compensatoire de 20 millions de dollars à un Koweïtien pour la perte de l’une des plus grandes collections privées d’art islamique durant l’occupation irakienne.

LONDRES (de notre correspondant) - Cette requête est la première à être satisfaite par la Commission de compensation des Nations unies, créée pour traiter les dommages causés par l’occupation irakienne. Le rapport de la commission ne mentionne pas le nom du bénéficiaire, mais il s’agit de Jasim Homaizi, qui possédait avant la guerre une extraordinaire collection de céramiques, de verrerie, d’art du métal et du bois, de textiles, de manuscrits et de livres anciens. Sa revendication initiale portait sur 29 900 355 dollars, mais elle n’a été satisfaite qu’à hauteur de 16 809 120 dollars pour sa collection d’œuvres d’art, et de 2 millions pour celle de livres (plus 885 400 dollars pour d’autres pertes secondaires). Cependant, la somme ne sera sans doute pas payée avant l’année prochaine, puisqu’elle doit être prélevée sur le produit des ventes de pétrole irakien effectuées sous le contrôle de l’Onu.

La collection de Jasim Homaizi avait été entreposée dans une chambre forte aménagée sous sa luxueuse résidence, sur la côte koweïtienne. Quelques heures avant l’arrivée des forces irakiennes, il a sauvé quarante de ses plus belles pièces en les enterrant dans son jardin. Les troupes d’assaut sont arrivées le 13 août 1990 et ont transformé la demeure en poste d’opération pour l’occupation de la ville. Des tranchées ont été creusées dans le jardin, mais les œuvres enfouies n’ont pas été découvertes. En revanche, les soldats qui occupaient la maison ont fracturé la porte blindée de la chambre forte dont ils ont pillé le contenu.

Une liste des 330 pièces volées
La collection étant très bien documentée, Jasim Homaizi a pu soumettre à la commission une liste détaillée des 330 pièces volées. D’autres attestations ont été fournies par Kjeld von Folsach, directeur de la collection David à Copenhague et commissaire d’une exposition d’art islamique organisée au Louisiana Museum en 1987. Il a confirmé que M. Homaizi avait anonymement prêté pour cette exposition 109 œuvres, qui avaient été assurées pour une valeur de 14 945 000 dollars. Quarante-sept de ces pièces ont été dérobées lors de l’invasion irakienne. Le professeur James Allan, de l’Ashmolean Museum d’Oxford, est venu apporter le renfort de son témoignage. Il a déclaré devant la commission qu’il était allé au Koweït pour voir la collection, dont il avait partiellement dressé le catalogue en vue de l’exposition, et l’a décrite comme “l’une des plus importantes sur le plan international, dans le domaine public comme dans le privé”. Il a ajouté que c’était “peut-être la plus riche collection d’art islamique au monde, plus riche que celle du British Museum ou du Victoria & Albert Museum”. Parmi les chefs-d’œuvre remarqués par James Allan, figuraient un Coran du début de l’époque abbasside, des chapiteaux de marbre provenant de Cordoue et une jarre en céramique vernissée du Maristan de Nur al-Din à Damas.

Jasim Homaizi a déjà racheté plusieurs des pièces pillées dans sa collection. Au moment de l’examen de sa requête par la Commission des Nations unies, il y en avait neuf, pour une valeur totale de 1 660 000 dollars. Par ailleurs, deux pièces faisaient l’objet d’une enquête policière en Angleterre, et d’autres objets d’art avaient été saisis par la police helvétique. Depuis, Jasim Homaizi a récupéré une cinquantaine d’objets, soit près d’un sixième de ce qui a été pillé. Quarante de ces pièces ont transité par la Jordanie et ont été retrouvées par l’intermédiaire d’un contact au Danemark. En avril, M. Homaizi a acheté un précieux coffret de Séville et un bol de métal qui étaient entre les mains d’un marchand de Londres. “Je veux racheter toutes les pièces, a-t-il expliqué. Cela peut prendre longtemps, mais je suis déterminé à récupérer ce que je peux et à continuer d’enrichir ma collection.”

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°67 du 25 septembre 1998, avec le titre suivant : L’Irak pille, l’Onu répare

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