Le trésor caché de la société Lake

Son rachat pourrait permettre la réapparition d’œuvres inaccessibles

Le Journal des Arts

Le 9 octobre 1998 - 523 mots

La société de crédit japonaise propriétaire supposée des Noces de Pierrette, de Picasso, vient d’être rachetée par un groupe américain. Cette transaction prélude peut-être à la réapparition sur le marché de l’art de cette toile et de bien d’autres, déposées en gage.

TOKYO (de notre correspondante) - L’un des acteurs les plus offensifs du marché de l’art au Japon vient d’être racheté par la plus grande société de crédit du monde. Au mois de juillet, la société américaine GE Capital Corporation, succursale de la General Electric, a acquis Lake Consumer Finance, classée au cinquième rang en matière de prêts à la consommation. Lake est surtout célèbre pour ses “distributeurs automatiques de prêts”, qui peuvent instantanément dépanner avec de l’argent liquide un salarié japonais dans le besoin, mais à un taux d’intérêt pouvant aller jusqu’à 28 %.
À l’instar d’autres sociétés de crédit, Lake a réalisé des profits mirobolants. Cependant, ses livres comportent aussi une longue liste de créances douteuses impliquant des œuvres d’art, contractées à la fin des années quatre-vingt, époque de la “bulle” économique japonaise. L’ampleur du stock de Lake reste un mystère, mais on pense néanmoins que la société est en possession d’un Picasso, les Noces de Pierrette, vendu en 1989 à Tomonori Tsurumaki, propriétaire d’un parc à thème, pour 300 millions de francs. Aucune peinture n’avait jamais atteint un tel prix lors d’une vente aux enchères en France, et seules deux autres dans le monde ont réalisé des prix supérieurs.

La société GE Capital a transféré le département des prêts de Lake et l’ensemble de ses employés dans une “nouvelle société”, laissant aux directeurs de l’entreprise la charge du département dit “des prêts directs hors consommation”, à savoir l’art et les terrains de golf. Interrogé sur le stock d’œuvres d’art conservées dans un entrepôt à Tokyo ou accrochées dans les bureaux du siège social à Osaka, M. Suematsu, directeur des relations publiques chez Lake, a à peu près confirmé nos informations mais s’est refusé à tout commentaire quant à d’éventuels changements.

À Tokyo, les professionnels du marché de l’art se montrent extrêmement réticents à faire la moindre déclaration sur la société Lake, soulignant ainsi l’image honteuse des sociétés de crédit à la consommation au Japon. Susumu Yamamoto, l’un des plus grands marchands japonais, également président de la galerie Fuji TV, qui s’était chargé de la liaison par satellite entre Tokyo et Paris pour la vente des Noces, a répondu par un bref “no comment” lorsqu’on lui a demandé si les tableaux de la société Lake feraient leur apparition sur le marché à la suite du rachat de l’entreprise. Puisqu’ils en ont l’autorisation, les marchands occidentaux ne se privent pas de visiter l’entrepôt de Lake, mais ils déplorent les refus répétés qu’oppose la société à leurs offres. Lake a cependant accepté de se dessaisir d’un lot de huit tableaux de Magritte, le Domaine enchanté, que Tomonori Tsurumaki avait achetés pour son musée. Les toiles ont été vendues à un homme d’affaires américain et ont été présentées chez Christie’s Londres en juin dernier. Six d’entre elles ont trouvé preneur pour un total de 1,65 million de livres sterling (16 millions de francs).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°68 du 9 octobre 1998, avec le titre suivant : Le trésor caché de la société Lake

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