Des Bacon inédits

Tony Shafrazi organise une exposition discutée

Le Journal des Arts

Le 23 octobre 1998 - 948 mots

L’unique héritier de Francis Bacon, John Edwards, a rompu avec Marlborough Fine Art à Londres pour se tourner vers Tony Shafrazi à New York., désormais seul représentant de la succession. Le jeune marchand londonien Gerard Faggionato, âgé de trente-huit ans, travaillera en étroite collaboration avec la galerie new-yorkaise en qualité de conseiller, et la représentera en Europe. Il évoque Bacon et l’exposition d’œuvres inédites qu’organise Tony Shafrazi à fin du mois.

LONDRES (de notre correspondante) - Une exposition très controversée des tableaux inédits de la succession Bacon s’ouvre à la fin du mois chez Tony Shafrazi, à New York. Même si Marlborough Fine Art se refuse à tout commentaire, sa rupture avec John Edwards semble s’être produite lorsque Edwards a envisagé d’utiliser des œuvres de la succession. Bacon n’était pas un peintre prolifique, et ses tableaux étaient si recherchés qu’ils quittaient son atelier à peine terminés. Certains estiment que les œuvres de la succession sont celles que le peintre n’a pas voulu achever, qui n’avaient pas la qualité qu’il souhaitait et qu’il n’avait jamais eu l’intention de les exposer. Ronald Alley, dans son catalogue raisonné de 1964, les a d’ailleurs qualifiées de “tableaux abandonnés”. L’expert Valerie Beston a suivi l’artiste pendant de nombreuses années chez Marlborough, mais elle a pris sa retraite lorsque la succession a changé de mains. Le contrôle de la qualité des œuvres aurait donc échappé à la dernière personne qui connaissait les volontés de Bacon.

Gerard Faggionato voit la situation sous un tout autre angle. Il estime que “Bacon gardait ces œuvres pour lui. Elles ne sont pas des tableaux abandonnés. S’il avait voulu les détruire, il aurait pu le faire. Ces toiles révèlent des aspects inconnus de sa manière de travailler et apporteront beaucoup à notre compréhension de l’artiste. Il y a eu tant de discussions et de controverses sur la succession, et tant de choses malheureuses ont été proférées que nous avons décidé de ne rien dire à ce propos. Nous allons organiser l’exposition et laisser le public juger par lui-même. Celle-ci comprendra seize tableaux jamais exposés datant de 1953 à 1991, qui ne sont ni tous signés ni tous finis. Bacon y aborde des sujets très classiques, tels une version du Pape, un triptyque datant de 1991 et la dernière œuvre à laquelle il travaillait quand il est mort, un fascinant autoportrait grandeur nature où seuls sont peints les yeux, le reste n’étant que dessiné sur la toile.”

Une succession “très compliquée”
Gerard Faggionato est arrivé à Londres en 1982 et a suivi chez Sotheby’s une formation d’expert. La chance lui a permis de travailler chez le légendaire marchand Robert Fraser, où il est resté un an et demi, jusqu’à la mort de ce dernier. Il a ensuite passé sept ans et demi chez Christie’s, avant d’ouvrir sa propre galerie il y a cinq ans. “Pendant que je travaillais avec Robert, j’ai rencontré beaucoup de gens qui sont devenus très importants après mon départ de chez Christie’s. La première exposition que nous avons montée a été celle de Keith Haring. Il est arrivé de New York avec son assistant et Tony Shafrazi, et cela a été une semaine de folie. Robert m’a aussi présenté à Francis Bacon et à John Edwards. Francis ne se laissait pas facilement approcher, mais il appréciait Robert”, confie Gerard Faggionato. Pour lui, “la situation légale de la succession est très compliquée. Le rôle de Tony est de la gérer au mieux, le mien est de le conseiller sur les tableaux et de le représenter en Europe. Nous avons hérité d’une situation bloquée puisque John Edwards et Marlborough ne voulaient plus travailler ensemble. Je ne peux parler de ce qui s’est passé, mais il est probable que John n’a pas été traité de la même façon que Francis de son vivant. À un certain point, il a décidé de consulter un avocat et réalisé qu’il pouvait améliorer la situation en changeant de marchand. Certains se demandent pourquoi Shafrazi représente aujourd’hui Bacon. La relation entre Edwards, Shafrazi et moi-même remonte à l’époque où je me trouvais chez Fraser, mais je crois qu’il est important que Bacon ait sa place sur le marché américain. Shafrazi le présentera à une nouvelle génération de collectionneurs et le sortira du moule de Marlborough. Ce changement apportera du sang neuf et de nouvelles idées.
Une grande rétrospective Bacon se tiendra à Yale l’an prochain. Les Américains commencent à prendre le temps de le regarder. John veut organiser des expositions et montrer des œuvres qui approfondiront la compréhension que le public a de l’artiste. Quelques-unes des œuvres visibles à New York seront à vendre. Pour l’instant, un seul des tableaux de la succession a été vendu, une toile représentant un taureau qui a été négociée en privé par Marlborough. La bonne gestion d’une succession exige un gros travail d’administration. Il nous faut un bureau et des gens qui travaillent avec nous. Les œuvres ont été triées de façon à ce qu’étudiants et éditeurs puissent y avoir accès et que l’on puisse s’occuper des droits d’auteur. Tout ceci coûte très cher, c’est pourquoi il nous a fallu vendre certaines œuvres.

John Edwards vient de décider de donner l’atelier de Francis Bacon à la Hugh Lane Modern Art Gallery, à Dublin, et a accepté de lui prêter la dernière toile qui était sur son chevalet. L’autoportrait demeurera donc exactement à la place où il était le jour de sa mort. Lorsque l’on voit l’atelier de Bacon, il paraît minuscule, et on se demande comment il a pu exécuter de grands tableaux comme ses triptyques dans un espace aussi petit et encombré. Mais il reste tant de choses sur Francis qu’on ne comprend toujours pas”, conclut Gerard Faggionato.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°69 du 23 octobre 1998, avec le titre suivant : Des Bacon inédits

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