Les trésors entre sacre et oubli

Sauver et valoriser des œuvres en danger

Le Journal des Arts

Le 23 octobre 1998 - 1244 mots

Avec leurs 263 trésors et une part majeure des 127 000 objets classés, les églises de France offrent un patrimoine fabuleux, dans des domaines aussi variés que la peinture murale ou de chevalet, la sculpture, le vitrail, l’orfèvrerie, la ferronnerie, l’ébénisterie, la tapisserie, les textiles, les manuscrits et les instruments de musique, de l’orgue à la cloche. L’entretien et la mise en valeur de ces richesses, qui nécessitent des compétences fort diverses, laissent malheureusement encore à désirer, malgré une nouvelle prise de conscience.

Qu’il s’agisse du vol récent d’une cariatide de chaire dans la Meuse, ou de la découverte, dans le même département, d’un buste reliquaire en bois polychrome du XVIe siècle, oublié au fond d’une armoire, des événements viennent régulièrement rappeler l’incroyable richesse des églises françaises... et la fragilité de ce patrimoine.

“D’une manière générale, les objets les plus en danger sont ceux qu’on ne voit pas et qui ne servent plus”, explique Monique Billat, présidente de l’Association des conservateurs des Antiquités et objets d’art, chargés, au niveau départemental, de répertorier les pièces, de veiller à leur conservation et à leur mise en valeur. Depuis Vatican II, les grilles de communion, les chaires, les ornements liturgiques et l’orfèvrerie ancienne, devenus caducs, sont souvent relégués dans un coin de l’église ou dans une sacristie mal équipée, où ils se dégradent lentement.

Parmi les principales victimes, sur lesquelles conservateurs et inspecteurs des Monuments historiques portent tout particulièrement leurs efforts, figurent les tissus liturgiques, les devants d’autel, les chapes et les chasubles. Ces textiles, dont beaucoup remontent au XVIIe siècle, exigent une atmosphère stable et des meubles spécifiques de rangement. En fait, ils sont assez fréquemment “entreposés dans des tiroirs, à la merci des insectes et des rongeurs, souillés par les oiseaux et abîmés par l’humidité”, comme a pu le constater Danièle Nadal, lors d’une campagne de restauration menée pour l’exposition “Soieries en sacristies”, au Musée Paul-Dupuy de Toulouse.

Jugées trop luxueuses et passées de mode, de nombreuses pièces d’orfèvrerie du XIXe siècle sont à l’abandon dans les sacristies, tordues, griffées, oxydées, parfois lacunaires, ayant perdu leur hampe ou une partie de leur décor incrusté. Quant aux chaires et aux confessionnaux, leur sort est encore plus incertain, à moins d’être inscrits ou classés. “Il arrive encore que ces objets soient démantelés, voire mis au rebut, sans la moindre concertation”, note Monique Billat qui, récemment encore, a eu la mauvaise surprise de voir une cuve de chaire récupérée pour un ambon, et le reste partir au purgatoire de la sacristie.


Enfin, les conditions atmosphériques se chargent d’achever ce que l’indifférence, le manque de moyens ou les interventions malencontreuses n’ont pas fait. Outre l’usure normale, l’humidité provoque des moisissures, favorise la vermoulure, fait rouiller les clous – qui eux-mêmes peuvent faire éclater la pièce dans laquelle ils sont fixés –, les phénomènes de condensation oxydent les vitraux, les émanations industrielles et automobiles rongent la pierre et déposent partout une couche de crasse, tandis que la grosse-vrillette et autres insectes creusent le bois.

Pas de recette miracle
Certains désordres ont trouvé une solution efficace. Ainsi, les baies du chœur de la cathédrale de Tours servent de terrain d’expérimentation à un procédé de double vitrage en verre thermoformé, qui prévient la formation des champignons et la corrosion des vitraux. En revanche, explique Michel Petit, qui dirige l’un des ateliers chargés du chantier, “il n’existe pas de recette miracle pour éliminer l’oxyde de manganèse qui noircit les vitraux. On peut le décolorer mais d’une part, l’opération n’est pas neutre, d’autre part, elle n’est que temporaire.” Pas de miracle non plus pour l’orfèvrerie, dont la restauration se révèle difficile : les soudures altèrent les dorures, le polissage peut faire apparaître des taches jaunes, et les produits de nettoyage risquent d’amincir le métal.

Ainsi, si la technologie peut venir au secours du restaurateur, la partie essentielle du travail réside dans une réflexion poussée sur les causes du désordre, les interventions à entreprendre et leurs conséquences. “Le problème, remarque Patricia Hood, spécialiste en conservation préventive et curative des textiles, c’est que la situation de concurrence dans laquelle les ateliers exercent ne permet pas de confronter différents points de vue ou d’arrêter tout pour réfléchir. En outre, faute d’une volonté politique de créer un réseau national de restaurateurs, il n’existe aucune garantie sur qui fait quoi”.

Seuls les objets classés sont confiés à des ateliers agréés par les Monuments historiques, sinon, le choix est à la discrétion des partenaires : la commune, l’affectataire et le conservateur des Antiquités et objets d’art, ce dernier n’opérant d’ailleurs à plein temps que dans une trentaine de départements. Des collaborations se forment au fil du temps et des habitudes, mais aucun diplôme n’est exigé étant donné la variété des cas de figure : de l’apprentissage dans la tradition des métiers d’art au concours de l’Ifroa, en passant par la formation universitaire.

Depuis peu, pourtant, des expériences d’ateliers publics ont été conduites, pour les sculptures polychromes en Bretagne, par exemple. Ailleurs, un groupe d’historiens d’art a créé Corpus Vitraerum, un organisme chargé d’étudier les vitraux et leur iconographie. Leurs conclusions serviront à restituer l’agencement originel des scènes dans les baies de la cathédrale de Tours. Enfin, pour les gros chantiers, le laboratoire des Monuments historiques conseille les ateliers.

Restaurer, et ensuite ?
La multiplication des campagnes de restauration dans les paroisses – avec parfois un effet d’exemplarité et de mode, comme pour les orgues –, ne doit pas faire oublier que la plupart du temps, seules les interventions urgentes sont entreprises.

Depuis douze ans que le Maine-et-Loire a créé un poste spécifique de conservateur des Antiquités et objets d’art, une centaine d’œuvres ont été sauvées, et un superbe cycle peint de la Vie de saint Maurice, datant du XIVe siècle, a été découvert dans la cathédrale d’Angers. Cependant, note Guy Massin Le Goff, le conservateur en charge, “si l’on suspecte dans une église la présence de peintures murales derrière un badigeon, on s’écrie : “Surtout ne les dégageons pas !” Sinon, il faut consolider et restaurer immédiatement, ce qui se chiffre au moins en dizaines de milliers de francs.” La décision de laisser ainsi “dormir en sécurité” des peintures serait relativement fréquente.

Il est vrai que toute restauration réserve des surprises, et que les meilleures peuvent aussi se révéler coûteuses. Lorsqu’une intervention sur l’orgue de la cathédrale de Cahors a mis au jour, sur le revers de la façade, une Création du monde datée de 1318, il a fallu procéder à un réaménagement complet des lieux et avancer la tribune d’orgue pour montrer au public deux éléments qui n’avaient jamais cohabité.

Par ailleurs, restaurer un décor n’a guère de sens si le gros œuvre n’est pas achevé. La Mairie de Paris, qui a fait procéder au nettoyage d’un tableau de Luca Giordano à Saint-Eustache, n’a pas pu le remettre en place, en raison de l’état des murs. Enfin, il faut également régler les questions d’ouverture et d’accessibilité des œuvres, laissées à l’appréciation de l’affectataire.

Les autorités publiques semblent actuellement hésiter entre deux attitudes : la mise en valeur du patrimoine sacré in situ – une mission a été créée en 1996 par le ministère de la Culture dans cet esprit – ou le regroupement des pièces en péril dans les trésors de cathédrales ou dans des musées de dépôt, comme récemment à Saint-Mihiel, dans la Meuse. En tout cas, si l’on ne veut pas laisser le sort de ce patrimoine à la grâce de Dieu, il est temps qu’une politique claire s’affirme.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°69 du 23 octobre 1998, avec le titre suivant : Les trésors entre sacre et oubli

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