Au secours des sculptures

Quand la science concourt aux restaurations

Le Journal des Arts

Le 23 octobre 1998 - 974 mots

Pour faire face au chantier permanent que représente la restauration des cathédrales de France et de leurs sculptures, la science a été mise à contribution. Microsablage, laser, biominéralisation, ce sont autant de procédés utilisés, avec des résultats spectaculaires mais dont l’impact n’est pas toujours suffisamment évalué.

Depuis un siècle et demi, les restaurateurs s’emploient à sauver les sculptures des cathédrales de France, chefs-d’œuvre blessés de l’art médiéval. Leur principal souci a été de mettre au point des méthodes les plus inoffensives possibles pour des matériaux déjà considérablement altérés par le temps. La dégradation des sculptures monumentales s’est accélérée depuis le début du XXe siècle, sous l’effet de la pollution industrielle. Le principal ennemi – en recul néanmoins – issu de l’industrie est certainement le dioxyde de soufre, dont les effets sur la pierre sont de deux types : en présence d’eau, il la dissout et, en son absence, il favorise la formation d’une croûte noire à la surface. Bien entendu, les différentes variétés de pierre sont affectées de diverses façons, selon leur nature : le granite tend à devenir pulvérulent ; le tuffeau desquame par plaques de plusieurs centimètres ; quant au calcaire, une pellicule de sulfate de calcium se forme à la surface, durcissant la croûte noire. Si les nuisances industrielles sont bien connues, en revanche, les effets de la pollution automobile sont encore insuffisamment étudiés. D’autres maux menacent par ailleurs les sculptures : les micro-organismes , les graffiti...

Aucune technique sans inconvénient
Une étude préalable menée par les architectes en chef des Monuments historiques précède chaque intervention. À l’issue de ce véritable diagnostic des altérations, une solution adaptée à chaque zone des façades est proposée, le défi résidant dans le choix d’une technique de nettoyage n’attaquant pas l’épiderme de la pierre. Les moyens à la disposition des restaurateurs sont de diverses natures. Le plus commun est le microsablage qui, contrairement à ce que son nom indique, n’a pas recours au sable mais à un oxyde d’alumine en poudre (la taille des grains ne dépasse pas 20 microns). Ce procédé doit être distingué du gommage, dont le nom est également trompeur puisqu’il s’agit d’un procédé bien plus agressif pour la pierre. Il est de ce fait exclu des restaurations qui nous intéressent, et n’est utilisé que pour de grandes surfaces peu fragiles, comme les façades du Louvre. Notant qu’”il n’existe aucune technique sans inconvénient”, Isabelle Pallot-Frossard, directrice du Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH) à Champs-sur-Marne, constate que “le microsablage, utilisé depuis une quinzaine d’années, érode un peu la surface de la pierre”. Ces observations ont naturellement conduit le LRMH à rechercher de nouveaux modes d’intervention, en collaboration avec des universités et le CNRS. Outre le nettoyage à l’aide de compresses, en pulpe de papier notamment, imbibées de solutions dissolvant la crasse – méthode que la nécessité d’un rinçage ne rend pas satisfaisante –, a été mis au point un système de désincrustation photonique, plus connu sous le nom de laser. Les premiers essais ont été réalisés en 1987, puis un prototype a été fabriqué en 1992, avant que des tests ne soient réalisés en 1993-1994 sur quatorze sites et sur différents types d’altération. Le principe est le suivant : le faisceau lumineux est absorbée par la croûte noire qui éclate sous l’effet de la chaleur. Seule technique possible pour les zones très creusées, le laser ne nécessite pas de préconsolidation, contrairement au microsablage, mais se révèle en revanche beaucoup plus coûteux.

L’étude des résultats a suscité bien des interrogations : pourquoi, par exemple, la pierre nettoyée au laser présente-t-elle une coloration jaune ? Certains pensent qu’en raison de son innocuité, le laser préserve mieux la couche de surface, sur laquelle on observe la présence d’un oxalate, de couleur jaune justement. À moins qu’il ne s’agisse d’un résidu de composants de la croûte noire transformés par le laser. Il est aussi possible qu’on se soit un peu précipité dans la généralisation de ce procédé alors que ses conséquences étaient insuffisamment étudiées.

La cathédrale d’Amiens a été le premier monument sur lequel le laser a été utilisé à grande échelle. Ce chantier s’est révélé particulièrement délicat en raison des importants vestiges de polychromie sur les statues – jusqu’à 25 couches sur la robe de la Vierge Dorée. Sous l’action du laser, certains pigments, comme le rouge vermillon, noircissent ; aussi un repérage préalable précis est-il essentiel. Les zones polychromes nécessitent par ailleurs l’application d’une préparation bouche-pores, car la croûte noire n’adhère pas de la même manière que sur la pierre vierge.

Calcification bactérienne
Une fois le nettoyage effectué, restent les problèmes de conservation proprement dite : à partir du moment où l’on a choisi de laisser la sculpture in situ, comment éviter une usure trop rapide de la pierre, toujours soumise aux intempéries et à la pollution ? Les produits hydrofuges constituent une réponse adaptée, dans la mesure où ils empêchent la pénétration de l’eau liquide mais pas l’évaporation. Toutefois, ils doivent souvent être couplés à des consolidants : surfaces friables, poreuses ou abrasées par le microsablage sont autant de faiblesses contre lesquelles on a imaginé de nouveaux procédés s’appuyant sur les travaux des biologistes. La biominéralisation, développée depuis quatre ans par le LRMH en collaboration avec l’Université de Nantes, à Saint-Médard-de-Thouars (Deux-Sèvres) ou pour la cathédrale de Bordeaux, consiste à utiliser les propriétés d’une bactérie à fabriquer du carbonate de calcium. Deux cas d’application ont été envisagés. Le premier tend à recréer une couche de surface grâce à l’application d’un bouillon de culture. Après pulvérisation, les bactéries sont nourries pour produire du carbonate de calcium et, une fois la surface reconstituée, on cesse de les alimenter. Cette méthode permet également la réparation : le bouillon est mélangé avec de la poudre de pierre, puis la solution est appliquée dans le trou ou la fissure. La nature vient en quelque sorte au secours de l’art.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°69 du 23 octobre 1998, avec le titre suivant : Au secours des sculptures

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