L’actualité vue par Terence Conran

Designer, il ouvre à Paris un restaurant-bar, “Alcazar”?

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 6 novembre 1998 - 849 mots

En 1952, âgé de 21 ans, Terence Conran s’installait comme designer indépendant et lançait une fabrique de meubles dans un tout petit atelier... Puis ce sera le premier magasin Habitat, devenu la chaîne internationale que l’on connaît, l’ouverture en 1975 d’un premier Conran Shop à Londres, suivi en 1992 par un petit frère à Paris, tandis restaurants et cafés se multipliaient sur les bords de la Tamise. Aujourd’hui, Sir Terence lance le restaurant-bar “Alcazar”?, en lieu et place de l’ancien cabaret parisien de la rue Mazarine. Il commente l’actualité.

La France est réputée pour sa gastronomie, mais celle-ci est rarement servie dans un cadre recherché. Si la “nouvelle cuisine” a marqué une révolution, il n’y a pas eu de révolution dans le design des grands restaurants. Comment expliquez-vous cette absence de relation entre l’inventivité de la gastronomie et celle de l’architecture ?
C’était pourtant le cas il y a presque cent ans, rappelez-vous les grandes brasseries du début du siècle ! Mais il est vrai que peu de choses se sont passées depuis. La majorité des grands chefs français considère sans doute que la bonne chère ne peut pas être servie dans un environnement moderne, et il y a très peu d’exemples, comme les frères Troisgros qui ont fait appel au designer Christian Liaigre pour rénover leur restaurant. Avec “Alcazar”, nous essayons de créer une atmosphère qui corresponde à la cuisine que nous allons servir. Nous voulons réinterpréter la tradition d’une brasserie avec une vision moderne de la lumière, de l’espace... Ainsi, la cuisine est entièrement ouverte, les clients peuvent suivre le ballet des maîtres d’hôtel et des chefs à travers une baie vitrée.

Partagez-vous l’opinion, latente depuis quelque temps et qui s’est renforcée avec l’exposition “Sensation” à la Royal Academy, selon laquelle Londres bouillonne d’activités face à un Paris plutôt calme ?
Il y a certainement actuellement une grande créativité en Grande-Bretagne. J’en parlais récemment avec Jack Lang qui me disait : “Londres a endossé les habits de la création”. Mais vous les revêtirez ! À mon sens, il y a plusieurs raisons. L’enseignement tout d’abord, nous avons maintenant de très bonnes écoles d’art. L’environnement économique est aussi plus porteur, et les artistes peuvent gagner de l’argent, ce qui est très important car ils ne perdent plus leur enthousiasme dans des difficultés matérielles sans fin. Dans le domaine que je connais bien, le design, il y a aussi une évolution des mentalités, la frontière entre un artiste dit des beaux-arts et un artiste dit industriel ou commercial s’est abolie. Enfin, l’attitude du gouvernement de Tony Blair, qui veut favoriser la créativité dans tous les aspects de la vie, joue un grand rôle. Nous vivons une époque, en Grande-Bretagne, où le public comprend réellement que l’art fait partie de la vie.

La Fondation Conran a sponsorisé à Londres la construction du Design Museum, qui n’a pas d’équivalent en France, même s’il existe un Musée des arts décoratifs et si le Centre Pompidou dispose d’un Centre de création industrielle. Le gouvernement français devrait-il créer une telle institution ?
Je dois vous rappeler que la Fondation n’a pas reçu un centime de subvention gouvernementale. À mon avis, un gouvernement doit être parfaitement conscient qu’il doit soutenir le design car c’est un art réellement populaire, qui concerne tout le monde et qui valorise l’image d’un pays. Vous avez d’excellents designers chez vous, dans la lignée de Philippe Starck – que j’appelle Picassostarck, d’ailleurs, parce que pour moi il est le Picasso du monde du design – qui a tant contribué à l’image d’une France moderne. Je me suis battu en Angleterre pour que le design fasse partie des matières du cursus scolaire, et je suis très heureux du résultat obtenu. Nous devons maintenant former les professeurs qui vont l’enseigner, et cette formation passera par le Musée du Design.

Autre art réellement populaire, la photographie. Novembre est le Mois de la Photo, tandis que se tient la deuxième édition du salon Paris Photo. Comment voyez-vous ce foisonnement de manifestations ?
On assiste avec la photographie à la même évolution que pour le design, elle est aujourd’hui reconnue comme un art à part entière. J’ai depuis longtemps une passion pour la photographie, et il y a en France une grande créativité dans ce domaine. Du reste, je vais présenter régulièrement des accrochages de photographies dans l’entrée du restaurant “Alcazar” ; le premier montrera les œuvres d’une jeune photographe française, Noëlle Hoppe.

Un mot à propos d’Issey Miyake, qui a une exposition à la Fondation Cartier ?
C’est véritablement un créateur extraordinaire. Avec lui, East meets West. Il a su conserver la tradition japonaise tout en l’ouvrant sur l’Occident. Je n’ai pas pu encore aller voir son exposition. Je croyais qu’à mon âge j’aurais du temps pour cela mais j’entreprends trop de choses...

Il vient déclarer que le Japon aurait besoin d’un Mai 68, que ce pays “est tenu par des vieux”.
Est-ce que Mai 68 a amené un gouvernement jeune au pouvoir en France ? Non. Mais il est vrai que nous avons la chance, en Angleterre, d’avoir un gouvernement jeune qui veut changer les choses.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°70 du 6 novembre 1998, avec le titre suivant : L’actualité vue par Terence Conran

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