Le vrai visage du portrait

La physiognomonie de Léonard à Bacon

Le Journal des Arts

Le 20 novembre 1998 - 563 mots

À travers 300 œuvres et une série de textes théoriques, “L’Âme et le Visage”? explore un sujet jusqu’à présent peu étudié : la relation entre la peinture occidentale et la physiognomonie, cette science qui croit reconnaître le caractère d’une personne d’après sa physionomie. Partant des dessins de Léonard de Vinci, le parcours mène jusqu’à Bacon, en passant par Savoldo, Giorgione, Lotto, Bronzino, le Chevalier à la rose de Moroni – qui provient d’une collection privée si jalousement gardée qu’il n’a pas été exposé depuis des décennies –, quatre Caravage, l’Autoportrait de Parme d’Annibale Carrache, quelques portraits de Sofonisba Anguissola, Van Dyck, une œuvre magistrale d’Alberto Savinio jamais présentée au public, Picasso et Matisse. Le commissaire de l’exposition Flavio Caroli, qui étudie ce thème depuis trente ans, décrit cette aventure à la fois psychologique et picturale, étalée sur plusieurs siècles.

Comment est apparue cette relation entre l’âme et le visage dans la peinture ?
De Léonard de Vinci à nos jours, cette relation est récurrente. On peut suivre la chaîne, de Léonard à Fra Bartolomeo, de Fra Bartolomeo à Le Brun, de Le Brun à Hogarth, de Hogarth à Lavater, et ainsi de suite jusqu’à Géricault, ou même le criminologiste Cesare Lombroso. Tous explorent une intériorité qu’on ne retrouve pas dans l’art oriental, par exemple, entièrement tourné vers la représentation métaphysique de l’harmonie entre l’homme et la nature.

En quoi cette découverte est-elle fondamentale ?
Ce n’est pas le fruit d’une soudaine intuition des artistes, mais plutôt le signe d’une évolution culturelle. La physiognomonie est à la psychologie ce que l’alchimie est à la chimie. Lorsque Léonard écrit : “Tu feras les personnages dans une attitude telle qu’elle sera suffisante à montrer ce que le personnage a dans le cœur, sinon ton art ne sera pas digne de louanges”, il prouve qu’il a deviné l’existence d’une planète inconnue : la profondeur de l’être. Celle-ci ne cessera d’être explorée, y compris dans d’autres domaines que la peinture, mais ce sont les artistes qui sont à l’origine de ce voyage.

Comment s’établit ce dialogue entre science et art ?
Il a été établi que Léonard et Giorgione se sont rencontrés à Venise au cours du printemps 1500, alors que le premier fuyait Milan après la chute de Ludovic le More. Or, c’est justement en 1500 que Giorgione a ouvert la voie au portrait moderne. Il est probable que les deux artistes ont échangé leurs vues sur la physiognomonie. Cette science était en effet une question fort débattue à l’époque. En 1503, paraissait à Bologne le traité d’Achillini, dont un exemplaire est exposé ici. Il fut réimprimé en 1514 à Pavie où, quelques mois plus tôt, Léonard disséquait des cadavres avec Marc’Antonio Della Torre pour étudier la musculature et pouvoir reproduire “les mouvements de l’âme”. Des textes ont, durant des siècles, soutenu les recherches des artistes. Certains, comme ceux d’Achillini, de Fra Bartolomeo, de Lomazzo et de Cardano, sont également exposés. Les chemins de la peinture et de la physiognomonie ont ainsi avancé en parallèle au fil des siècles jusqu’à nos jours. La théorie reste étroitement liée à la pratique artistique, au moins jusqu’au XIXe siècle. Que l’on pense seulement à Géricault et à ses cinq portraits de Monomaniaques.

L’ÂME ET LE VISAGE. PORTRAIT ET PHYSIOGNOMONIE, DE LÉONARD À NOS JOURS

Jusqu’au 14 mars, Palazzo Reale, Piazza Duomo 12, Milan, tél. 39 02 87 54 01, tlj sauf lundi 9h30-18h30.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°71 du 20 novembre 1998, avec le titre suivant : Le vrai visage du portrait

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