Une biennale anthropophage

Les enjeux de l’art brésilien à la Biennale de São Paulo

Le Journal des Arts

Le 4 décembre 1998 - 454 mots

La vingt-quatrième Biennale de São Paulo, qui se prolonge jusqu’au 13 décembre, est divisée en quatre sections : le noyau historique, les pavillons nationaux, “Roteiros�? (routes) et l’art contemporain brésilien. L’exposition principale tente de replacer cette création dans un contexte pluriculturel.

SÃO PAULO (de notre correspondante) - L’aspect le plus novateur de la Biennale de São Paulo 1998 réside dans une nouvelle approche de l’organisation. Le directeur de la manifestation Paul Herkenhoff et les différents commissaires de chaque section nationale ont réellement coopéré à toutes les étapes. Paul Herkenhoff s’est ainsi attaché au principe de “densité” défini par le philosophe Jean-François Lyotard : une organisation des objets et des idées à la fois complexe et compacte, un désir de donner du poids et de la densité aux réflexions sur la signification de l’art contemporain.
La Biennale a pour thème central la relocalisation de l’art brésilien dans un contexte tropical non-eurocentrique. Son directeur a pris pour point de départ le Manifesto Antrópofago (1928) d’Oswald de Andrade, œuvre clé du mouvement moderniste en Amérique latine qui a poussé les artistes brésiliens à cannibaliser les autres cultures. À certains égards, le Manifesto est aussi provocant et ironique qu’une proclamation dadaïste. Mais c’est également un texte visionnaire, utopique, du fait des affinités profondes de Andrade avec le mouvement surréaliste et son intérêt pour l’anthropologie. Il décrit la culture brésilienne comme un processus continu d’absorption et d’assimilation d’autres cultures (indienne, portugaise et africaine).

Destruction et autodestruction
Pour Paul Herkenhoff, l’anthropophagie est au cœur de nombreuses pratiques interculturelles actuelles. L’exposition présente, de manière non-linéaire, une histoire possible du cannibalisme inspirée des premières descriptions de Montaigne dans ses Essais, dont plusieurs éditions sont exposées. Le texte est suivi du Saturne de Goya, et d’une série de dessins et d’études pour le Radeau de la Méduse où Géricault évoque une manifestation du cannibalisme en Europe.

Le XXe siècle apporte davantage de références au cannibalisme en tant que processus de destruction ou d’autodestruction, de dépassement des tabous sociaux, d’appropriation des formes et des personnages. La manifestation réunit des artistes européens – Picabia, Dalí, Masson et Bacon –, d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud, comme Siqueiros et Tarsila do Amaral, l’élève brésilienne de Fernand Léger. Parmi les plus contemporains, sont exposés Louise Bourgeois, Eva Hesse, Piero Manzoni, Helio Oiticica, Bruce Nauman, Michael Craig-Martin, Miroslaw Balka et Tony Oursler. Paul Herkenhoff a également invité deux commissaires d’exposition, le Belge Bart de Baere et la Finlandaise Maaretta Jaukkuri, afin de souligner la notion de périphérie, même dans le contexte de la culture européenne. Invité par Hervé Chandès, Pierrick Sorin présente ses vidéos dans le pavillon français.

Enfin, la prochaine Biennale, organisée en l’an 2000, célébrera la cinquantième édition de l’événement, mais aussi le 500e anniversaire du Brésil.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°72 du 4 décembre 1998, avec le titre suivant : Une biennale anthropophage

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