Art islamique

L’art de la miniature

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 2 septembre 2008 - 1015 mots

Les miniatures persanes séduisent aujourd’hui une clientèle confidentielle. Les pièces insignes prétendent toutefois à des prix élevés.

Du « Chant du monde, l’Art de l’Iran safavide » aux « Chefs-d’œuvre de l’Aga Khan » au Musée du Louvre en passant par « Purs Décors ? » au Musée des Arts décoratifs, les expositions parisiennes ont mis la miniature persane à l’honneur l’an dernier. Nonobstant ce coup de projecteur muséal, cet art mêlant l’écrit à l’image demeure une niche sur le marché.
La miniature persane connaît son âge d’or au XVe siècle sous la dynastie des Timourides, puis au siècle suivant, à l’époque des Safavides. Sous les règnes du fondateur de cette dynastie, Shah Ismail, puis de Shah Tahmasp, la miniature se libère des influences timourides et chinoises et se dote d’un style propre, fourmillant de détails. L’image ne sert pas juste à illustrer le texte, mais parfois aussi à le ponctuer, à l’enrichir de nouvelles métaphores, voire à le contredire. Cette figuration stylisée ne cède jamais au naturalisme, car il ne s’agit pas d’imiter ou de concurrencer la création divine, mais plutôt de dépasser l’anecdote. Dans ce monde enchanteur, jalonné d’échansons, d’amoureux ou de derviches, les architectures alambiquées sont tout aussi imaginaires que les rochers aux tonalités improbables, roses, bleues ou violettes.

Poèmes illustrés
Difficile de décrypter les scènes représentées sans une connaissance de la poésie persane. Les sujets illustrent généralement les poèmes de Nezâmi et Hafez, le Bustân et le Golestân de Sa’di ou des épisodes du Shahnameh (Livre des Rois) de Ferdowsi, un ouvrage qui est à l’Iran ce que L’Iliade et l’Odyssée sont aux Grecs. Si l’anonymat du travail commun en atelier est souvent de mise, certains auteurs se distinguent en signant leurs illustrations vers la fin du XVe siècle. C’est le cas de Behzad ou, au XVIIe siècle, de Reza Abassi et Muin Musavir. De telles signatures valent de l’or. En avril dernier, Sotheby’s a adjugé à Londres pour 252 500 livres sterling (318 680 euros) le portrait d’un jeune homme jouant de la flûte, par Muin Musavir.
Abondantes sur le marché, les miniatures s’échangent généralement dans une large gamme de prix, de 800 à 30 000 euros. Néanmoins, les spécimens les plus insignes atteignent rarement les prix de l’art occidental. En avril 2007, chez Sotheby’s à Londres, un Shahnameh doté de trente-neuf miniatures attribuées à Muin Musavir s’est ainsi adjugé pour 192 000 livres sterling (242 323 euros). « En vingt ans, les miniatures importantes ont vu leurs prix décupler. Voilà quinze ans, une page du manuscrit de Shah Tahmasp obtenait 70 000 livres sterling (88 347 euros), ce qui paraissait déjà énorme », observe l’expert Laure Soustiel.
En 1994, un troc étrange s’est déroulé entre la Fondation Houghton et le gouvernement iranien. Le célèbre Shahnameh du roi Tahmasp, propriété de l’industriel Arthur A. Houghton, fut échangé contre un tableau de Willem De Kooning appartenant au Musée d’art contemporain de Téhéran. Les deux œuvres, d’un genre totalement différent, avaient été arbitrairement estimées chacune 20 millions de dollars. Autant comparer des pommes et des bananes ! D’après l’architecte Kamran Diba, fondateur du Musée d’art contemporain de Téhéran, les Iraniens auraient perdu au change, car le manuscrit aurait été préalablement proposé pour 4,5 millions de livres sterling (5,6 millions d’euros), au collectionneur londonien Nasser David Khalili. Plus grave que ces calculs d’apothicaire, Houghton avait démembré ce Shahnameh, originellement doté de 258 miniatures, pour vendre des pages séparées dans les années 1970. En 1996, quatre feuilles ont surgi chez Sotheby’s à Londres et se sont adjugées entre 353 500 et 793 500 livres sterling.

Shahnameh démembré
Au début du XXe siècle, un autre Shahnameh daté vers 1335 avait déjà été démembré par le marchand G. J. Demotte. Or, comme le souligne le journaliste Souren Melikian dans le catalogue de l’exposition « Le Chant du monde », « ceux qui contemplaient ces peintures ne les voyaient pas dans l’isolement, mais dans la succession des pages qu’ils tournaient, l’esprit empli des vers qu’ils lisaient. Le rythme visuel d’une page à l’autre est perdu quand la peinture est extraite de son volume et pis, quand elle est privée de ses marges et encadrée. » Les copies sont tout aussi légion que les dépeçages. « Les copies se reconnaissent aux plis des habits, moins bien faits, aux modelés des visages trop précis, souligne Laure Soustiel. Les copies sont faites sur du papier ancien et l’on devine l’écriture au travers ou dans les marges. Les couleurs ne sont pas non plus aussi franches que dans les miniatures d’époque. La gamme chromatique est trop proche de la réalité. » Or, la miniature persane aspire à une autre réalité que celle qui est bassement terrestre.

Yusuf et Zuleikha

Proposée par la galerie Kevorkian (Paris) pour 20 000 euros à la Biennale des Antiquaires, cette gouache d’époque safavide de l’École de Shiraz (ill. ci-dessus à gauche) illustre une scène issue du mythe biblique et coranique de Yusuf (Joseph) et Zuleikha, repris dans un célèbre poème de Jami. Yusuf est ici représenté en prince héritier, dans le cadre d’un banquet de couronnement. Bien que réputée plus commerciale que l’École de Tabriz, celle de Shiraz a donné lieu à des feuilles de belle facture. Les personnages y sont généralement plus élancés et les visages moins lunaires qu’à Tabriz. Cette école a prospéré lorsque vers le milieu du XVIe siècle, Shah Tahmasp, à Tabriz, s’est crispé dans une attitude religieuse très conservatrice. Il s’est alors détourné des arts dont il avait pourtant été jusqu’alors un grand mécène. En 1556, il congédia les peintres de son atelier impérial. La ville de Shiraz accueillit alors un grand nombre de ces transfuges. Leur abondante production de manuscrits illustrés était destinée à la noblesse locale, aux amateurs éclairés et aux riches négociants. Cette peinture se caractérise par un agencement très clair, géométrique, voire symétrique de l’espace. La rigueur métronomique est compensée par un chatoiement de couleurs irréelles. Dans cette miniature, les espaces intérieur et extérieur sont ramenés à un même plan, la perspective étant tout juste suggérée par les deux diagonales dirigées vers le centre et formées par des personnages.

« Le secteur n’est pas sinistré »

Questions à Marie-Christine David, expert parisien



Les miniatures persanes suscitent-elles toujours le même engouement que voilà une trentaine d’années ?

Depuis 1979, on ne peut plus parler d’âge d’or de l’art iranien. Il y a une vraie raréfaction et pour les ventes parisiennes, une forte concurrence de Londres. Le secteur n’est pas sinistré, car les pièces rares atteignent des prix exceptionnels. Mais les nouveaux collectionneurs du Moyen-Orient, à l’exception bien sûr des musées d’art islamique, sont moins intéressés par l’Iran, la Perse et les pays arabes étant deux civilisations bien distinctes. Les nouveaux acheteurs s’intéressent plutôt aux livres religieux. La diaspora iranienne achète très ponctuellement et le collectionneur Nasser David Khalili ne le fait plus qu’épisodiquement, pour compléter son ensemble. La David Collection au Musée Ny Carlsberg à Copenhague est active. Le futur Louvre à Abou Dhabi suscite déjà des envies, mais encore faudra-t-il trouver des pièces de choix.

Y a-t-il de grosses différences de prix entre les miniatures persanes et mogholes ?

Les prix des miniatures mogholes sont aussi élevés que les persanes en raison de l’intérêt constant des Européens, additionné aux nouveaux engouements de la diaspora indienne établie au États-Unis et des acheteurs des pays arabes. En avril dernier, une miniature, de très petite dimension représentant des mystiques autour d’un feu, attribuée à un artiste de Shah Jahan, Payag, a ainsi atteint 48 500 livres sterling (61 211 euros) chez Sotheby’s.

Y a-t-il beaucoup de faux ?

Il existe beaucoup de copies dans le style safavide ou moghol, réalisées déjà pour les touristes de la fin du XIXe siècle. Elles sont identifiables par une certaine raideur, car les traits sont un peu grossiers et les visages parfois trop réalistes.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°286 du 5 septembre 2008, avec le titre suivant : L’art de la miniature

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque