Monographie

Jules Hardouin-Mansart réhabilité

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 2 septembre 2008 - 705 mots

Bertrand Jestaz publie enfin le fruit de ses travaux consacrés à l’un des architectes les plus controversés du XVIIe siècle.

S’il est une discipline frappée par une grande misère éditoriale, c’est bien l’histoire de l’architecture française, dont la bibliographie comprend encore d’immenses lacunes. Le seul sujet des architectes français est significatif : Pierre Lescot, Salomon de Brosse, Robert de Cotte ou la dynastie des Gabriel sont autant de figures qui n’ont jamais bénéficié d’une monographie. Les éditions du Patrimoine avaient lancé, en 2003, une collection ambitieuse, à la fois scientifique et grand public ; elle a été mise en sommeil après quatre livraisons. Dans ce contexte, la publication par les courageuses éditions Picard d’une somme consacrée à Jules Hardouin-Mansart (1646-1708), insatiable bâtisseur de la seconde moitié du règne de Louis XIV, fait donc figure d’événement. Fruit de recherches menées pendant plus d’un demi-siècle par l’historien d’art Bertrand Jestaz, dont une thèse soutenue en 1962 à l’École des Chartes, ce travail, qui comprend aussi un volume de documents inédits, sort pourtant dans un contexte polémique. Sollicité en 2005 pour travailler à une exposition sur l’architecte finalement annulée, Jestaz a failli se faire doubler par un autre membre du comité scientifique de cette exposition, l’historien d’art Alexandre Gady, dont l’ouvrage – sûrement moins empathique – est annoncé pour l’automne.
En passant au crible le corpus complet de l’œuvre pléthorique de Jules Hardouin-Mansart, à qui l’on doit, entre autres, d’importants travaux à Versailles et à l’Hôtel des Invalides, Bertrand Jestaz entend d’abord réhabiliter un architecte prolifique mais à la réputation sulfureuse. « La personnalité de Mansart sous toutes ses manifestations, qu’il s’agisse de sa carrière, de sa façon d’exercer le métier ou de son œuvre, devait presque fatalement engendrer les réactions qu’on connaît », écrit l’auteur. Ses contemporains, dont l’acerbe Saint-Simon, ont, en effet, sévèrement égratigné son image. Affairiste et spéculateur, séduisant et inculte, Jules Hardouin-Mansart a mené une carrière fulgurante. Nommé Premier architecte du roi à 35 ans, il finit sa carrière, 18 ans plus tard, en tant que Surintendant des bâtiments du roi, soit donneur d’ordres et exécutant sur tous les chantiers royaux ! Portraituré par Hyacinthe Rigaud, ce travailleur insatiable devient rapidement l’un des personnages les plus importants de la cour. Pour ses détracteurs, son patronyme n’y est pas étranger : Jules Hardouin prend dès l’âge de 15 ans le nom de son grand-oncle, François Mansart (1598-1666). Le grand architecte l’influencera durablement, en l’initiant au métier sur ses chantiers, mais également en lui léguant une partie de ses dessins, dont le jeune homme saura faire bon usage. Pour parachever le tout, Hardouin-Mansart est « pour l’historien de l’art formé dans la tradition vasarienne une espèce de monstre : un architecte sans dessins ». Aucune esquisse ni dessin autographe ne nous sont, en effet, parvenus. Sans doute peu à l’aise dans ce domaine, l’architecte leur accordait peu d’importance, préférant les coûteuses maquettes à échelle ; il n’hésitait d’ailleurs pas à faire détruire un projet en cours qui ne lui apportait pas satisfaction. Sur ce point, Jestaz fait preuve d’une curieuse indulgence en y décelant « une preuve de conscience artistique plutôt que d’incompétence », qui « mérite d’autant plus la considération qu’elle témoigne d’un véritable courage ». Ne devrait-on pas, au contraire, y voir la preuve d’un empirisme hasardeux, lié à une incapacité à projeter sur plan ?
Fort heureusement, l’auteur ne dissimule pas les autres faiblesses de Jules Hardouin-Mansart, notamment les lacunes de sa culture architecturale, confirmée par le traitement peu orthodoxe des ordres d’architecture. Reste une interrogation : comment expliquer son incroyable succès auprès du roi, mais aussi d’une vaste clientèle privée ? Pour Jestaz, Hardouin-Mansart compensait par sa vivacité d’esprit – le génie au sens ancien du terme, c’est-à-dire « l’impulsion créatrice incontrôlée ». Son œuvre, puisant aux sources de ses prédécesseurs (Mansart mais aussi Le Vau et Le Muet) et ancré dans la tradition française – en témoigne sa grande maîtrise de la stéréotomie – est aussi marquée par une grande unité. Cette esthétique sobre et monumentale sera, par ailleurs, perpétuée par les nombreux collaborateurs formés dans la première grande agence constituée des Temps modernes.

Bertrand Jestaz, Jules Hardouin-Mansart

Ed. Picard, 2 volumes sous coffret, 400 et 256 p., 79 euros, ISBN 978-2-7084-0817-3.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°286 du 5 septembre 2008, avec le titre suivant : Jules Hardouin-Mansart réhabilité

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