Hommage

Le petit théâtre de Balthus

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 2 septembre 2008 - 619 mots

Il aurait eu cent ans en 2008. La Fondation Gianadda rend hommage au plus suisse des peintres français.

MARTIGNY (SUISSE) - Depuis la rétrospective du Centre Pompidou en 1983, la France s’est peu intéressée à Balthasar Klossowski de Rola, dit Balthus. Si sa mort en 2001 fut l’occasion d’une exposition sous forme d’hommage au Palazzo Grassi, à Venise, c’est à la Fondation Gianadda, à Martigny, en Suisse, que l’on doit la célébration du centenaire de l’artiste. Point commun de toutes ces manifestations, leur commissaire, Jean Clair, intime connaisseur de l’artiste. Avec la complicité de Dominique Radrizzani, directeur du Musée Jenisch à Vevey, l’académicien français fraîchement élu a profité de cette rétrospective valaisanne pour mettre l’accent sur les liens qu’entretenait avec la Suisse le peintre français aux racines germano-polonaises. De sa scolarité au Collège Calvin de Genève, à son établissement au Grand Chalet à Rossinière (Vaud) dès 1977, Balthus enfant a passé nombre d’étés à Beatenberg et à Muzot où la présence du poète Rainer Maria Rilke, amant de sa mère Baladine Klossowska, l’a durablement marquée.

Le centenaire d’un artiste correspondant, selon Jean Clair, à « son entrée au purgatoire », cette exposition est également prétexte à une réévaluation. L’heure est à la révision d’ensemble. Or, ce sont les œuvres les plus marquantes, celles des années 1940, 1950 et 1960 que l’on passe ici en revue. Opérée avec une belle marge de manœuvre, la sélection égrène des prêts prestigieux, tant de collectionneurs privés (Le Passage du Commerce-Saint-André) que de musées internationaux – Thérèse rêvant, Portrait de Pierre Matisse... (Metropolitan Museum of Art, New York), Les Beaux jours, La Chambre (I) (Hirschhorn Museum, Washington) ou encore La Rue, Le Salon (II) (Museum of Modern Art, New York)... La présence de certains chefs-d’œuvre souligne l’absence de tableaux plus dérangeants comme La Chambre, entre des mains privées, Alice dans le miroir, pièce maîtresse des collections du Musée national d’art moderne à Paris, et La Leçon de guitare, dont le propriétaire n’a pas voulu se défaire. Un vide qui ne chagrine pas le commissaire : l’érotisme violent de La Leçon aurait sans doute choqué une « Suisse conservatrice ». Cette révision d’ensemble serait-elle édulcorée ? Disons qu’elle recadre la carrière du peintre, paresseusement résumée à des représentations équivoques de jeunes filles aux jupes légères.

Outre sa lenteur d’exécution, Balthus est un peintre exigeant. Il sème des énigmes dont les clés seraient à la portée des plus lettrés – la brillante série de dessins à l’encre illustrant Les Hauts de Hurlevent n’étant que la partie accessible de l’iceberg constitué d’une multitude d’influences littéraires et artistiques au premier rang desquelles figure Rilke. Particulièrement réussi, l’accrochage parvient à restituer ce fameux sens de l’érotisme et du sacré insufflé par le poète allemand, tout en valorisant les tonalités sourdes des tableaux, héritées des fresques de Piero della Francesca. L’aspect théâtral des compositions autorise, lui, toutes les méditations. Si l’analyse freudienne de ces toiles, peuplées de fleurs, de fruits et de chats, n’est pas satisfaisante, la description de la mère du peintre comme « plus infantile peut-être que ses deux fils » est susceptible d’inspirer une interprétation œdipienne. De la même manière, Balthus avait quatorze ans lorsqu’il a dit : « Dieu sait combien je serais heureux de demeurer toujours un enfant. » Serait-ce ce regard de jeune enfant, attisé par la sexualité bourgeonnante de ces préadolescentes, que Balthus nous fait partager ? Voilà une question qui restera sans réponse. Balthus n’a jamais commenté ses œuvres. Il se contentait d’acquiescer discrètement à certaines pistes suggérées.

BALTHUS, 100e anniversaire

Jusqu’au 23 novembre, Fondation Pierre Gianadda, 59, route du Forum, Martigny, Suisse, 41 27 722 39 78, www.gianadda.ch, tlj 9h-19h. Cat. édité par la fondation, 272 p., environ 31,50 euros, ISBN 9782884431095.

BALTHUS

- Commissaires : Jean Clair ; Dominique Radrizzani, directeur du Musée Jenisch, à Vevey, en Suisse
- Bibliographie : Balthus, Hazan, 160 p., 35 euros, ISBN 978-2-7541-0284-1, par la critique et théoricienne Mieke Bal

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°286 du 5 septembre 2008, avec le titre suivant : Le petit théâtre de Balthus

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