Vente Martin Zimet : les raisons d’un échec

Estimations trop élévées, restaurations discutées, Christie’s paye les erreurs de son vendeur

Le Journal des Arts

Le 18 décembre 1998 - 1276 mots

Cinquante-quatre lots vendus sur 81 pour un total de 12 962 868 dollars (environ 70 millions de francs), soit 67 % en lots et 57 % en valeur, la « vente du siècle » de mobilier XVIIIe organisée par Christie’s le 24 novembre a tourné court. Le fait que le vendeur, le marchand Martin Zimet, ait acheté la plupart des meubles à une date récente chez des antiquaires français n’est sans doute pas étranger à l’échec de la vacation.

New York (de notre correspondant) - Christie’s vient d’enregistrer un échec spectaculaire... magnifiquement préparé selon la méthode suivante : s’assurer la vente d’un ensemble de meubles anglais et français très chers, dont se débarrassait un grand marchand new-yorkais qui en avait acheté la majeure partie à un prix de détail très élevé – certains il y a seulement trois ans – et que l’on voyait régulièrement sur le marché ; lui offrir un prix de réserve exorbitant, puis se comporter en marchand privé – sans succès. Si nécessaire, arranger la provenance des pièces par quelques habiles suggestions : “proviendrait de...”, “probablement acheté par...”, “aurait été fourni par...”, “traditionnellement attribué à...”. Ensuite, baptiser chaque lot d’un nom pompeux : “bureau Balfour”, “commode Raynham”, etc. À cela, ajouter une commode de provenance encore non vérifiée, sur laquelle aurait été découverte une marque de livraison (toujours contestée) la destinant à une chambre du château de Versailles. S’aliéner, ce faisant, les marchands français. Établir à un coût extravagant un catalogue luxueusement relié et abondamment commenté. Pimenter les communiqués de presse de descriptions boursouflées, comme “la vente de meubles la plus prestigieuse que le marché ait jamais connue”. Et, au moment critique, s’assurer un flop parfait.

S’inscrivant dans une folle semaine de ventes de tableaux où, une fois de plus, Christie’s s’est révélée bien supérieure à son antique rivale, Sotheby’s, avec un Autoportrait de Van Gogh vendu 71,5 millions de dollars, l’échec du 24 novembre a été si retentissant que deux jours après, le New York Times, qui habituellement ne s’intéresse qu’aux résultats des ventes de tableaux impressionnistes, modernes ou contemporains, a publié un article dévastateur de William Hamilton. Avec le recul, on ne pouvait que s’étonner : “Mais à quoi donc pensait Christie’s ?” Une telle mise en scène aurait pu fonctionner pour une collection de tableaux impressionnistes ou modernes, mais elle était impensable pour le marché du meuble français, qui est considérablement plus restreint et encore en majorité contrôlé par quelques marchands parisiens. Christie’s leur a donnés toutes les raisons de lui en vouloir pour avoir essayé de les court-circuiter. D’après un marchand qui a tenu a garder l’anonymat, Christie’s a oublié une règle essentielle : “Dans une vente comme celle-ci, le soutien des marchands français est indispensable. Et ceci d’autant plus que le vendeur leur avait acheté, à prix de détail, la majorité de ses pièces ! Pourquoi diable ceux-ci les auraient-ils rachetés au prix où ils venaient de les vendre ?” Et le marchand new-yorkais Leon Dalva d’ajouter : “Il y avait quelques pièces merveilleuses dans cette vente, mais à des prix dissuasifs. Avec des estimations raisonnables, Christie’s aurait peut-être réussi à susciter l’intérêt et même atteindre les prix qu’elle espérait.” Mais de l’avis général, la faute majeure a été la garantie exorbitante accordée au vendeur Martin Zimet, entre 20 et 30 millions de dollars, selon la rumeur (un marchand ayant avancé le chiffre de 24 millions de dollars). Les prix de réserve relèvent toujours du pari, et la garantie donnée pour la collection Finacor de peintures et dessins de maîtres anciens, dont la vente est prévue fin janvier, risque d’en donner un nouvel exemple. Si la vacation a rapporté 12,9 millions de dollars, une grande partie du profit réalisé la semaine dernière avec le Van Gogh a été balayé – seul Martin Zimet en sort indemne.

Quelques résultats-clés

Commode Louis XV en laque du Japon ornée de bronzes dorés, estampillée BVRB, est. 4-6 millions de dollars, ravalée à 3,6 millions de dollars.
Meuble assez controversé, acheté chez le marchand parisien Jacques Perrin vers 1980. Christie’s déclarait avoir découvert une marque d’inventaire de Versailles, non signalée par Perrin. Sur le marché français, on a insinué qu’une fausse marque avait été récemment posée ou qu’elle avait été intentionnellement cachée pour permettre au meuble de quitter facilement le territoire français. Rien n’a été prouvé, mais un test effectué par Christie’s sur l’encre de la marque a prouvé qu’elle était ancienne. Dans ce contexte peu clair, la commode a été ravalée à 3,6 millions de dollars.

Bureau de pente Louis XV en laque du Japon orné de bronzes dorés, attribué à BVRB, est. 2-3 millions de dollars, vendu 2 092 500 dollars.
Pour changer des commodes, ce bureau de femme offre un exemple plus direct et plus élégant de la qualité des meubles en laque de Van Risenburgh.

Urnes égyptiennes en albâtre, monture en bronze doré Louis XVI, est. 1-1,5 million de dollars, vendues 2 092 500 dollars.
Ces vases faisaient partie des rares pièces de la vente dont la provenance royale était certifiée. Achetées par Louis XVI à la vente de la collection du duc d’Aumont, en 1782, les urnes ornaient deux colonnes qui sont toujours au Louvre. Vendues 520 520 dollars chez Christie’s à Londres, en 1992, elles ont maintenant atteint deux millions de dollars.

Paire de fauteuils, George II en placage d’amarante, bois de tulipe, bois teinté noir et marqueterie de John Linnell, est. 250-400 000 dollars, invendue.
La beauté de cette paire de fauteuils néoclassiques anglais ne faisait de doute pour personne, mais les enchères n’ont pas dépassé 220 000 dollars.

“Bureau Balfour”, de type mazarin, vers 1685, est. 400-600 000 dollars, invendu.
Christie’s pensait attirer les acheteurs juifs en déclarant que sur ce bureau, en lui-même intéressant, aurait été signée la déclaration Balfour (par laquelle la Grande-Bretagne affirmait son soutien aux aspirations sionistes) en 1917, une authentification “à prendre avec précaution”. Ni l’histoire ni le bureau n’ont convaincu.

“Commode Rothschild” de Charles Cressent, en placage de bois satiné et amarante, ornée de bronzes dorés, époque Louis XV, est. 3-5 millions de dollars, ravalée à 2,2 millions de dollars.
Cette pièce importante de la légendaire collection Wildenstein/Ojjeh faisait partie de la vente Sotheby’s à Monaco, en 1979, mais une estimation trop élevée et une restauration clinquante lui ont nui.

“Commode Raynham” George II, en placage d’acajou, ornée de bronzes dorés, vers 1755, d’après Thomas Chippendale, est. 1,5-2,5 millions, vendue 1 487 500 dollars.
Exemple particulièrement intéressant du rococo britannique, cette commode était peut-être le plus beau meuble anglais de la vacation. Elle avait été vendue une première fois par Christie’s, en juillet 1988.

“Commode Lonsdale Langlois” George III, en placage de bois de rose et bronzes dorés, est. 2,5-3,5 millions de dollars, vendue 2 532 500 dollars.
Les meubles qui se sont le mieux vendus étaient de provenance anglaise, indice révélateur du fait que le mobilier anglais du XVIIIe siècle est plus rare que le français et qu’il constitue un marché sur lequel les marchands parisiens sont moins influents. Passé en vente chez Sotheby’s à Londres, en 1979, ce meuble a établi un nouveau record pour une commode anglaise.

“Siège Garbo”, marquise Louis XV par Nicolas Heurtaut, vers 1755, est. 80-120 000 dollars, vendu 217 000 dollars.
Achetée par Martin Zimet à la vente Garbo de Sotheby’s, en 1990, cette chaise – dont l’estimation, pour une fois, était raisonnable – a suscité l’intérêt de plusieurs enchérisseurs.

Paire de chandeliers en bronze, marqueterie Boulle, époque Louis XIV, vers 1715, est. 800 000-1,2 million de dollars, ravalée à 340 000 dollars.
La restauration voyante et les dorures criardes de la plupart des meubles de la vente ont été fortement critiquées. C’est exactement ce dont a souffert cette paire de chandeliers.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°73 du 18 décembre 1998, avec le titre suivant : Vente Martin Zimet : les raisons d’un échec

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