De l’art égyptien à David Hockney : les rendez-vous majeurs de 1999

Avant l’unanimisme de l’an 2000, les expositions affichent une grande diversité

Le Journal des Arts

Le 18 décembre 1998 - 2284 mots

Si une cohorte de manifestations sur le thème du millénaire accompagneront l’an 2000, les expositions de 1999 s’annoncent au contraire sous un jour très varié. Certaines, telles que « Pompidou et la modernité » ou « Le docteur Gachet, un ami de Cézanne et Van Gogh », promettent déjà de vives polémiques. D’autres, comme les monographies, plus inoffensives en apparence, n’en soulèveront pas moins quelques questions. Pourquoi, par exemple, le Louvre a-t-il dédaigné Ingres et Rembrandt ? Le visiteur français devra, dans les deux cas, traverser la Manche pour les admirer. Reportez-vous à notre calendrier central pour les dates de toutes ces expositions.

Un empire chasse l’autre. Après les trésors de la Chine impériale venus du Musée de Taipei, le Grand Palais présente au printemps “L’art égyptien au temps des pyramides”. Derrière ce titre “accrocheur”, se cache l’Ancien Empire (2700-2100 av. J.-C.) dont Paris possède déjà quelques chefs-d’œuvre, comme le Scribe accroupi ou le mastaba d’Akhethetep. Avec la collaboration du Metropolitan Museum of Art de New York et le Royal Ontario Museum de Toronto, près de 150 pièces – statues, reliefs, peintures et objets d’art destinés à accompagner le défunt dans son existence posthume – évoqueront ce premier apogée de l’Égypte pharaonique. À la même époque, la Mésopotamie était divisée en plusieurs cités-États dominées par des dynasties royales, mais l’éparpillement du pouvoir n’a pas empêché la magnificence, ainsi qu’en attestent les trésors des tombes royales d’Ur qui seront exposés à Washington à l’automne.

Un homme a joué un rôle central dans la redécouverte de l’Égypte ancienne et dans la passion, jamais démentie depuis, pour sa civilisation et son art. Dominique Vivant-Denon, auteur du Voyage dans la haute et basse Égypte, fut également chargé par Bonaparte de l’organisation des musées, et plus particulièrement du Louvre – l’une des nombreuses casquettes de cet aventurier auquel le Louvre consacre une grande exposition. Celle-ci ne devrait pas ignorer la responsabilité de Denon dans le pillage des trésors artistiques de l’Europe, dans le sillage des campagnes napoléoniennes.
L’Italie fut bien sûr concernée en premier lieu par les vols, à l’exception de Florence, épargnée grâce au legs que la dernière représentante des Médicis, Anna-Maria Luisa, a fait des collections ducales “au peuple florentin”, au début du XVIIIe siècle. Haut lieu de la Première Renaissance, la capitale médicéenne connaît une période d’intense création sous Laurent le Magnifique, autour de Botticelli, Filippino Lippi, Domenico Ghirlandaio, Verrocchio et les frères Pollaiuolo, réunis le temps d’une exposition par la National Gallery de Londres, à côté de dessins de Léonard de Vinci datant de sa formation à Florence. L’échec de la ville à retenir le peintre et son concurrent Michel-Ange pour le décor du Palazzo Vecchio, en 1503, marque son déclin politique et culturel face à Rome, où s’élabore alors la grande Renaissance classique sous l’égide de Raphaël. Celui-ci et ses principaux assistants, Jules Romain, Perino del Vaga et Polidoro da Caravaggio, font l’objet de deux manifestations parallèles, à Saint James Palace et au Palazzo del Te à Mantoue. Les chefs-d’œuvre romains ne manquèrent pas d’impressionner El Greco lors de son séjour dans la cité papale, après un passage par Venise. La rétrospective qui lui est consacrée par la Fondation Thyssen, à Madrid, mettra l’accent sur les mutations de sa manière – des années de formation crétoise à l’apogée espagnol, sans oublier la découverte de la peinture italienne – et montrera l’importance de l’héritage byzantin dans l’élaboration de son style singulier.

Gachet sur la sellette
Après son intéressante confrontation entre Millet et Van Gogh, le Musée d’Orsay organise dans la foulée deux nouvelles expositions sur le peintre des Tournesols. L’approche s’appuie sur le même principe d’une mise en relation avec d’autres personnalités : cette fois, le docteur Gachet et Théo, le frère de Vincent. Mais la prochaine exposition, qui réunit les œuvres tardives de la donation Gachet, risque de soulever moult polémiques. Selon certains spécialistes, une partie de ce fonds est d’authenticité douteuse (lire les JdA n° 39 et 65), le bon médecin ayant peint à plusieurs reprises des copies de ses prestigieux amis Van Gogh et Cézanne. Le Musée d’Orsay, principal bénéficiaire de la collection Gachet, promet des “conclusions particulièrement intéressantes” sur cette question très débattue, mais le suspens n’existe guère. Le communiqué de presse qualifie en effet la thèse des faux de “rumeurs” et ses partisans de “détracteurs divers”.

Toujours dans l’ancienne gare d’Orsay, le printemps s’ouvrira sur une “Saison anglaise” consacrée à l’époque victorienne. Durant cette période de puritanisme et de rapide modernisation industrielle, l’Angleterre s’évade volontiers dans l’imaginaire, comme l’illustrent les œuvres de l’artiste préraphaélite Edward Burne-Jones, fasciné par le Moyen Âge, y compris dans ses expressions décoratives. Une importante rétrospective lui est consacrée, en parallèle à des présentations-dossiers sur le Gothic Revival, les “fantaisies photographiques victoriennes” et l’activité de portraitiste de Lewis Carroll. L’ère victorienne se caractérise aussi par la célébration d’une nature immuable – dernier rempart contre l’explosion urbaine – magnifiquement servie par l’aquarelle. Véritable art national dès la fin du XVIIIe siècle, cette technique attire des peintres reconnus, tels Bonington, Gainsborough et Turner, et trouve ses virtuoses chez Alexander et John Robert Cozens, John et Cornelius Varley ou David Cox. Juste retour des choses pour des artistes qui ont souvent trouvé leur inspiration dans les Alpes, l’Hermitage à Lausanne présente quelque 150 exemples de cet âge d’or de l’aquarelle.
Alors qu’une frange importante de peintres a délibérément ignoré les bouleversements de la Révolution industrielle, d’autres en ont fait leur principal sujet d’étude, comme Honoré Daumier. Ses tableaux, dessins, gravures et figures modelées stigmatisent avec verve les injustices de la société bourgeoise en plein essor. Le Grand Palais rendra hommage à cet artiste dont les exagérations formelles trouvent une résonance dans l’outrance expressive d’un James Ensor. Cependant, s’il dénonce également la médiocrité du milieu qui l’entoure, le peintre flamand, exposé cet automne à Bruxelles, apporte une connotation métaphysique à ses satires, comme en témoignent ses obsédants et macabres Visages-masques.

Femmes lascives enchâssées dans de somptueuses étoffes, bourgeois replets au regard bonhomme ou arrogant, Ingres a couché sur la toile la bonne société parisienne, du Consulat au Second Empire, offrant à la postérité une étonnante galerie de portraits. Ce succès n’a pas émoussé l’acuité de son regard, exprimant par la seule grâce de son pinceau, la cupidité du parvenu ou l’oisiveté des femmes du monde. Ce défilé, à la National Gallery de Londres, ouvre une année d’expositions marquée par le rapport privilégié à la figure humaine. Avec Anton van Dyck d’abord. Ce peintre, dont on célèbre en 1999 le quatrième centenaire, est certainement l’un des plus fameux portraitistes du XVIIe siècle, un talent qui le fait appeler à la cour de Charles Ier. Ce long séjour en Albion justifie aujourd’hui l’association de Londres et Anvers pour une grande rétrospective où les portraits occuperont naturellement le premier plan. L’accent mis sur la prestance du modèle ou la magnificence de ses atours en fait certes une peinture de cour, mais aucun artifice n’est gratuit, participant à la caractérisation sociale et psychologique dans laquelle il excelle.

À l’opposé de ces peintres mondains attentifs au décorum, Rembrandt a cultivé, entre les portraits de commande, une continuelle introspection, scrutant sans relâche le passage du temps sur les traits de son visage, du jeune ambitieux au vieil homme sarcastique. Aucun artiste n’était allé aussi loin dans la mise à nu, sans jamais cesser d’affirmer le pouvoir souverain de la peinture. L’annonce d’une exposition “Rembrandt, autoportraits” – la première sur ce thème, semble-t-il – constitue donc un événement, qui sera successivement présenté à la National Gallery de Londres et au Mauritshuis de La Haye.

Faste des arts décoratifs
De même que le portrait de commande a trouvé un terrain propice dans les cours princières, les arts décoratifs s’y sont épanouis jusqu’à atteindre leur expression la plus raffinée. Habiles tacticiens se servant des arts pour leur diplomatie, les Médicis ont mené dans ce domaine un mécénat remarquable, que le château de Blois retrace tout au long de leur règne, du XVe au XVIIIe siècle. Quelque 200 objets précieux illustrent ainsi le goût des principales figures de la famille florentine, tandis que la présence de pièces de provenance étrangère, rapportées d’Orient, de Byzance ou de Bourgogne, souligne le caractère exceptionnel et luxueux des acquisitions médicéennes. L’orfèvrerie bourguignonne était par exemple fort réputée, aussi bien du temps des Ducs – où dominait une production religieuse fastueuse – qu’aux XVIIe et XVIIIe siècles, quand les ustensiles de table connaissent un développement sans précédent. Une exposition au Musée des beaux-arts de Dijon permettra de prendre la mesure de cette tradition, à travers 230 pièces civiles et religieuses.
Mais si l’Europe chrétienne a produit de magnifiques objets, les terres d’Islam furent sans doute le paradis des arts décoratifs. Les richesses du palais de Topkapi – orfèvrerie, verrerie, céramiques, tapis, armes ornées et joyaux – marquent bien le raffinement et la somptuosité du mode de vie à la cour ottomane, aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Le château de Versailles proposera une sélection d’œuvres significatives de la résidence impériale.

Création contemporaine tous azimuts
C’est au contraire sous le signe de la peinture que se placent les grandes expositions d’art contemporain en 1999. Fin janvier, le Musée des beaux-arts de Lyon consacre à Raoul Dufy sa première rétrospective en France depuis vingt-cinq ans. Le peintre au génie décoratif est représenté par 70 peintures, une trentaine d’œuvres sur papier, 19 céramiques, une vingtaine de textiles et plusieurs pièces du mobilier “Paris”, réalisé par la manufacture de Beauvais d’après des cartons de l’artiste. Le Musée de l’imprimerie de Lyon présentera également un ensemble de livres illustrés par Dufy.

Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris accueille environ 70 œuvres signées Mark Rothko et datant de 1935 à 1969. Le Centre Georges Pompidou, en association avec la Kunst und Ausstellungshalle de Bonn, propose quant à lui un point de vue sur les paysages de David Hockney, aujourd’hui l’un des artistes vivants les plus populaires. Une cinquantaine de ses peintures, photographies et installations retrace ses recherches dans ce domaine, de ses premiers paysages américains, au milieu des années soixante, jusqu’aux œuvres de 1997 inspirées par son Yorkshire natal. Le thème du paysage sera également au centre de l’exposition Pierre Bonnard, à la Fondation Pierre Gianadda de Martigny. Des sujets plus intimes scanderont aussi ce choix faisant la part belle à la couleur et à la poésie. Paysage et couleur toujours, avec Claude Monet, figure tutélaire de tous ces peintres. “Monet au XXe siècle”, déjà présenté aux États-Unis, fera escale à Londres, et démontrera, si besoin en est, l’incroyable audace de ses dernières années.

À l’heure où il est question de créer une Fondation Giacometti, le Musée d’art moderne de Saint-Étienne montre une cinquantaine de ses sculptures, quatre peintures et une quarantaine de dessins. Réalisée dans le cadre du programme “la collection hors les murs du Centre Georges Pompidou”, l’exposition offre un panorama de la production de l’artiste suisse, depuis ses œuvres surréalistes jusqu’à la célèbre statuaire caractéristique de son style. Il sera également question de sculpture à Valenciennes. Sous le titre “A Change World”, le Musée des beaux-arts accueille trente ans de sculpture anglaise issue de la collection du British Council, de Caro et Deacon à Whiteread et Hirst.
À l’étranger, Raymond Hains exposera à l’automne un ensemble de ses créations au Musée d’art contemporain de Barcelone. Calembours, jeux de mots et associations d’idées seront une fois encore au centre de cette manifestation catalane. Dans un autre style, les œuvres de Jean-Michel Basquiat n’avaient jamais été présentées à Vienne. La Kunsthaus accueille de février à mai cent pièces de l’artiste, huiles sur toile, travaux sur bois, papier ou verre, toutes provenant de la collection Mugrabi. À la même période, le Musée d’Amiens proposera de retrouver Joan Miró, avant de présenter un ensemble exceptionnel de dessins américains contemporains issus d’une collection privée new-yorkaise.

Dans un autre registre, la Galerie nationale du Jeu de Paume présentera à partir du mois de février une exposition hautement politique, “Georges Pompidou et la modernité”. Elle reviendra sur les relations amicales que l’ancien président de la République a entretenues avec certains artistes, ses commandes pour le palais de l’Élysée dans le domaine du design, ses intérêts pour les travaux des Nouveaux Réalistes et des protagonistes de l’art cinétique, ses engagements (pas toujours heureux) pour un nouvel urbanisme et, bien évidemment, sur le Centre qui porte aujourd’hui son nom.

En photographie, l’un des événements de 1999 sera la présentation à la BnF à partir de juin des travaux d’Edgar Degas, actuellement visibles au Metropolitan de New York (lire page 37). De son côté, le Centre national de la Photographie à Paris ouvre l’année avec un large panorama des travaux de Thomas Struth, l’une des jeunes stars allemandes, de ses premières images de rues en noir et blanc aux portraits de familles japonaises. La Mission du patrimoine photographique, elle, a vocation aux hommages : elle honorera José Ortiz Echagüe, puis Albert Londe et Sam Lévin, le photographe attitré de B.B. Après avoir montré soixante années de création de Ralph Gibson, la Maison européenne de la photographie fera découvrir les trésors d’un collectionneur privé, Roger Thérond, patron de Paris Match, qui a rassemblé des images allant du XIXe siècle aux années soixante. Par ailleurs, la rétrospective Cindy Sherman fait une halte au Capc de Bordeaux. De Untitled A-E (1975) et des célèbres Untitled Film Stills (1977-1980) à ses Horror and Surrealist Pictures (1994-1996), la plupart des séries de la photographe seront exposées en même temps qu’un programme de vidéos. Parmi les festivals – Printemps de Cahors, Septembre de la photo à Nice, Visa pour l’image à Perpignan… –, les Rencontres d’Arles fêteront leur trentième anniversaire avec une programmation axée sur “les modernités” et une soirée consacrée à Irving Penn.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°73 du 18 décembre 1998, avec le titre suivant : De l’art égyptien à David Hockney : les rendez-vous majeurs de 1999

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