Circulation des œuvres d’art : le « bug » de l’an 1999

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 18 décembre 1998 - 877 mots

Depuis plusieurs années, des dispositions modernisant la loi du 31 décembre 1913 sont à l’étude pour mieux protéger les objets et ensembles mobiliers présentant un intérêt historique et artistique. Associé à un projet de loi sur les musées resté sans suite, puis complété de mesures visant à corriger le dispositif du certificat de libre circulation, le projet chemine très lentement, Mais un pic d’exportations possibles en 1999 pourrait accélérer son adoption. Commentaires des dispositions envisagées.

PARIS - En 1999 viendra à échéance le délai imposé aux œuvres dont le certificat de libre circulation avait été refusé il y a trois ans. Passé le délai de trois ans, si la demande de certificat est renouvelée, la loi du 31 décembre 1992 impose soit la délivrance du certificat, soit le classement des œuvres. La jurisprudence Walter excluant pratiquement le classement, sous peine de voir l’État condamné à de lourdes indemnités, l’administration a choisi les années précédentes de laisser sortir les œuvres ou de les acheter. Pour cela, des moyens supplémentaires ont été dégagés, portant la dotation du Fonds du Patrimoine à 97 millions de francs en 1998, l’équivalent de la valeur déclarée des biens dont le refus de certificat expirait durant l’année. Mais en 1999 va survenir un “pic” exceptionnel de 659 millions d’œuvres, avant un “retour au calme” en 2000 (environ 70 millions). Hors de portée du budget de la Culture, cette échéance va peut-être accélérer la présentation des textes étudiés. Les versions qui circulaient début 1998, dans une forme déjà très élaborée, semblent avoir été ressorties récemment des tiroirs.

Validité pour 20 ans ou illimitée
Si les textes projetés sont restés en l’état, le dispositif du certificat de libre circulation de la loi de 1992 pourrait être amendé sur plusieurs points. Tout d’abord, des mesures de simplification pourraient intervenir. Ainsi, la durée de validité du certificat, actuellement de cinq ans, pourrait être portée à vingt ans pour les biens culturels de moins de 100 ans d’âge, et deviendrait illimitée pour les biens de plus de 100 ans. D’autre part, les biens admis sous le régime de l’importation temporaire seraient exclus de la procédure. Enfin, le certificat serait accordé de plein droit aux biens culturels licitement introduits ou importés en France depuis moins de cinquante ans. Cette dernière disposition serait la plus novatrice : elle permettrait de rassurer les collectionneurs désireux de s’installer en France. Toutefois, le libellé du projet paraît incomplet car il ne semble pas prévoir de modification de la loi du 31 décembre 1913. Il serait plus rassurant, puisque le projet prévoit d’amender la loi de 1913, en particulier l’article 16 sur le classement d’office des objets mobiliers, de le compléter d’une disposition prévoyant que le classement d’office ne peut s’appliquer aux objets entrés en France depuis moins de cinquante ans.

D’autre part, le texte tente d’aménager, en s’inspirant du système britannique, une procédure permettant l’acquisition des trésors nationaux dans des conditions ménageant les intérêts du propriétaire et de l’État. Si l’idée semble claire, la formulation retenue est ambiguë.

Trois experts
Après un premier refus de certificat, l’administration pourrait, “dans le délai de validité du refus de certificat”, faire une proposition d’achat au propriétaire. À défaut d’accord dans un délai de trois mois, deux experts – désignés l’un par l’administration, l’autre par le propriétaire, ou à défaut par la justice – détermineraient conjointement la valeur de l’œuvre, un tiers expert désigné par le président du Tribunal de Grande Instance venant donner un “avis déterminant” en cas de désaccord. Le texte ne prévoit pas de délai pour l’exécution de l’expertise. Si, dans un délai de deux mois de la notification de l’expertise, l’État n’a pas confirmé son intention d’acquérir le bien sur cette valeur, il peut être exporté librement “à l’issue du délai prévu au premier alinéa” (de l’article 9 de la loi de 1992). La formule, maladroite, nécessiterait clarification pour éviter qu’elle ne soit interprétée comme ouvrant une nouvelle période de trois ans. En effet, dans l’hypothèse où l’État attendrait la fin de la période de trois ans pour articuler son offre et qu’elle ne soit pas acceptée, un premier délai de trois mois serait suivi des opérations d’expertise, non délimitées dans le temps, puis d’un nouveau délai de deux mois. La procédure à la diligence des parties durerait au moins un an, sinon plus, soit près de quatre ans au total si les experts font diligence. S’il fallait en outre décompter un nouveau délai de trois ans en cas de refus d’acquisition par l’État, ce sont près de sept ans qui s’écouleraient entre la première demande de certificat et la sortie du bien. En cas d’acceptation du prix par l’État, le paiement devra intervenir dans un délai maximum d’un an, c’est-à-dire, dans les mêmes hypothèses, environ cinq ans après la première demande.

On pourrait décompter de façon plus optimiste, mais même sans prêter d’intentions malignes à l’administration, on peut craindre que son impécuniosité chronique ne la conduise d’office à jouer la montre, d’autant qu’à la différence du Royaume-Uni, il n’est pas pour l’instant prévu que la Loterie vienne abonder les budgets d’acquisition. Dans le cas où le propriétaire refuserait l’acquisition par l’État au prix fixé par l’expertise, le refus de certificat peut être renouvelé sans limitation de temps (au Royaume-Uni, le délai est de dix ans).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°73 du 18 décembre 1998, avec le titre suivant : Circulation des œuvres d’art : le « bug » de l’an 1999

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