Ruth Butler, Rodin, la solitude du génie

Une biographie fouillée pour un talent complexe

Le Journal des Arts

Le 22 janvier 1999 - 628 mots

Spécialiste de la sculpture du XIXe siècle, Ruth Butler a minutieusement dépouillé les archives du Musée Rodin pendant de longues années. Enfin publiée en français, sa récente biographie d’Auguste Rodin fourmille de détails inédits, mêlant événements personnels et contexte artistique. Son approche se révèle efficace, malgré un style un peu terne, émaillé ça et là de clichés psychanalytiques.

En 1916, un an avant sa mort, Auguste Rodin lègue à l’État ses œuvres, sa collection d’art et la totalité de ses archives personnelles, soit plus de 2 000 lettres, des photographies, des coupures de presse et même des factures qu’il avait soigneusement conservées depuis sa jeunesse. Exploitant ce riche matériau longtemps interdit d’accès aux chercheurs, Ruth Butler s’est attelée à une biographie très documentée, comme en témoignent les 24 pages de notes et la bibliographie fournie sur lesquelles se clôt le volume.

De façon assez traditionnelle, le propos est chronologique, dégageant à chaque fois quelques thèmes forts, comme la famille, les femmes, la difficile reconnaissance publique ou les premières commandes d’État. Cependant, formation d’historienne de l’art oblige, l’auteur s’est visiblement efforcée de toujours chercher ce qui, dans la vie de Rodin, pouvait expliquer son œuvre. “J’avais parfaitement conscience des questions auxquelles pourrait répondre une biographie, explique-t-elle en introduction. Je voulais savoir quel rôle avait joué la famille de Rodin, entièrement étrangère à l’art, dans sa décision de devenir artiste […], comprendre son dialogue intérieur lorsqu’il se rendit compte qu’il avait pris la tête d’un mouvement visant à battre en brèche le goût du XIXe siècle pour les monuments adulateurs, le récit historique et les portraits historiquement exacts [...], savoir pourquoi, à l’exception des portraits, il avait produit si peu de sculptures au XXe  siècle...” Et, bien sûr, éclairer sa relation avec son élève et maîtresse : Camille Claudel.

Un contrat inédit entre Rodin et Camille Claudel
Parmi les nombreux documents cités, certains apportent des éléments de réponse à toutes ces interrogations, ainsi les exhortations qu’adressait Jean-Baptiste Rodin à son fils de vingt ans – “Que l’on puisse dire de toi, comme de ces grands hommes, l’artiste Auguste Rodin est mort, mais il vit pour la postérité” – ou le “contrat” inédit passé entre le sculpteur et Camille, qui mêle étroitement considérations amoureuses et engagements professionnels.

Certes, dans le domaine sentimental, Ruth Butler n’échappe pas toujours à la tentation des lieux communs psychanalytiques, s’interrogeant en ces termes sur le refus du sculpteur d’épouser Rose Beuret : “Trahit-il des sentiments œdipiens envers sa sœur ? Si elle avait vécu, et qu’il eût pu poursuivre cette relation et finalement s’en détacher, aurait-il pu accorder une place plus stable à d’autres femmes dans sa vie ?” Cependant, la plupart des commentaires sur le contexte artistique de l’époque, la place qu’y occupe Rodin et l’accueil de la critique se révèlent intéressants. On suit, au fil des pages, l’émergence tardive d’un talent exceptionnel. “Vers l’âge de trente-cinq ans, Rodin était un artiste vivant à l’étranger, sans revenus réguliers, encore incertain de son talent, mais convaincu que ses compétences étaient supérieures à celles de ses associés – ce qui faisait de lui un collaborateur difficile”. Puis, de ruptures en ruptures avec la tradition, de l’Âge d’airain jusqu’à l’achèvement de la Porte de l’Enfer, on assiste à la reconnaissance lente et progressive de son génie.

Très détaillé et abondamment illustré de photographies d’époque, l’ouvrage de Ruth Butler permet à la fois d’appréhender l’envergure de Rodin en tant qu’artiste et sa personnalité ambiguë. Peu à peu se dessine une figure solitaire malgré ses relations mondaines, anxieuse malgré le succès, égoïste avec ses proches et généreuse avec ses modèles, et surtout, étonnamment moderne dans sa vision égalitaire des femmes artistes.

Ruth Butler, Rodin, la solitude du génie, Gallimard, 352 p., 228 ill. dont 64 en coul., 420 F, ISBN 2-07-073876-0.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°75 du 22 janvier 1999, avec le titre suivant : Ruth Butler, Rodin, la solitude du génie

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