Tous irresponsables !

Entretien avec Ignazio Musu

Un expert critique l’attitude des politiques sur Venise

Le Journal des Arts

Le 22 janvier 1999 - 650 mots

Le ministre italien de l’Environnement, après avoir recueilli l’avis d’une commission d’experts internationaux sur l’opportunité d’installer des digues mobiles à l’entrée de la lagune vénitienne (le projet Moïse) a jugé bon
de consulter une seconde commission. Au mois de décembre, celle-ci a rendu un avis défavorable (lire le JdA n° 73, 18 décembre 1998).

Venise (de notre correspondante). Ignazio Musu, professeur d’économie à l’université Ca’ Foscari de Venise, faisait partie des cinq experts de la commission internationale qui, en juillet, avait émis un avis favorable sur le projet. Il considère son travail d’expert accompli mais, parallèlement, revendique son droit d’exprimer un avis en tant que citoyen. Même s’il n’a pas encore eu en mains le dossier rendu par la commission pour la Valutazione impatto ambientale (Via) – l’évaluation de l’impact sur l’environnement – afin d’en étudier le contenu de façon plus approfondie, il a accepté de répondre aux questions de notre correspondante.

Ignazio Musu, comment réagissez-vous à l’avis défavorable de la commission d’évaluation de l’impact sur l’environnement ?
Je suis indigné par la mollesse des hommes politiques, par leur manque de responsabilité. Ils ont tendance à déléguer aux experts le pouvoir de prendre une décision sur le projet Moïse, alors que celle-ci leur revient exclusivement. Quant aux informations contenues dans le projet, elles ont été entièrement centralisées et émanent du sommet, sans la moindre participation des citoyens. Cela explique l’impassibilité de l’opinion publique face à l’échec du projet Moïse.

Cette commission estime que le projet Moïse perturberait l’équilibre morphologique de la lagune.
Cela me surprend. La commission d’experts internationaux a également pris en considération ce problème et conclu que le projet n’aggraverait pas l’état d’érosion actuel de la lagune. D’ailleurs, certains problèmes pouvaient être traités lors de la phase d’exécution du projet. Je pense qu’il s’agit là d’une autre notion d’équilibre. Mais de quel équilibre ? Celui d’il y a cent ans, profondément modifié au cours de ce siècle ? En outre, certaines solutions de substitution au projet Moïse avancées par la commission Via laissent perplexes. Par exemple, celle qui consiste à prolonger les jetées et à déverser l’équivalent de trois kilomètres de pierres dans les bouches du port afin d’élever le niveau des fondations à 12 mètres. Sommes-nous certains que ces mesures n’influeront pas sur l’équilibre de l’environnement et qu’elles ne gêneront pas l’activité portuaire ? Que ces mesures sont réversibles ?

La commission Via pense que les mesures utilisées pour lutter contre les inondations, comme l’élévation des fondations (insulae) ou le creusement des canaux, seraient suffisantes.
Certaines mesures peuvent se révéler efficaces, d’autres, en revanche, comme l’admet cette même commission, seraient sans effet : ainsi, l’ouverture des “vallées de pêche” – les parcelles emprisonnées de la lagune destinées à l’industrie de la pêche – ou la réduction du canal des pétroliers, qui a été pourtant le cheval de bataille d’Italia Nostra.

Ces dernières années, le niveau de la mer n’a pas monté à Venise.
C’est vrai, ces dernières années, le niveau de la mer n’a pas monté à Venise, mais il s’est élevé à Trieste, il s’est élevé dans tout le nord de l’Adriatique. Venise est donc une anomalie exceptionnelle. Pour les Verts, ce fait est rassurant. À mon avis, il faudrait au contraire mener des études poussées pour constater s’il s’agit là d’un élément structurel, peut-être de nature géologique, ou d’une exception passagère.

Et maintenant, que va-t-il se passer ?
Que deux commissions examinant les mêmes données parviennent à des conclusions différentes n’a rien de surprenant. Les données sont faites pour être interprétées. Ce conflit potentiel était prévisible du fait même que deux commissions distinctes devaient rendre un avis. La loi prévoyait – et prévoit toujours, si aucune modification n’est intervenue entre-temps – de remettre la décision finale à une instance supérieure. La commission d’évaluation de l’impact sur l’environnement semble au contraire avoir accueilli notre avis comme un avis consultatif lui étant adressé, sans d’ailleurs accepter les observations qui y sont faites.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°75 du 22 janvier 1999, avec le titre suivant : Entretien avec Ignazio Musu

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