“Un changement radical est nécessaire”?

Entretien avec Gerry Robinson

Le président de l’Arts Council, Gerry Robinson, déplore l’insuffisance des crédits accordés aux arts

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 22 janvier 1999 - 1301 mots

Ancien séminariste, puis président de Coca-Cola Royaume-Uni, Gerry Robinson dirige depuis mai 1998 l’Arts Council of England, l’organisme chargé de distribuer les subventions dans le domaine artistique. Il dresse un premier bilan de son action et nous expose ses projets.

L’Arts Council a aujourd’hui plus de cinquante ans et a fait l’objet de plusieurs réformes de fond. Mais quels que soient les changements, il donne l’impression de rester une organisation bureaucratique. Comment résoudre ce problème ?
Il est assez tentant, en effet, de considérer l’Arts Council of England (AC) comme une machine bureaucratique qui prend de l’argent au gouvernement, fait ses calculs, puis le redistribue sous forme de dons à un certain nombre de clients bien établis. Lorsque j’en ai pris la présidence, l’organisation était apathique, sur la défensive. Si, d’ici trois à sept ans, nous n’avons rien accompli de concret pour les arts, nous n’aurons plus aucune raison d’exister.

Quels objectifs l’organisation devra-t-elle atteindre sous votre présidence ?
En premier lieu, et c’est le plus facile, nous devons utiliser avec discernement l’argent dont nous disposons, en faisant aboutir des projets qui, autrement, ne seraient pas réalisables. Mais en second lieu, le gouvernement doit sérieusement revoir à la hausse le budget qu’il nous octroie. Un changement radical est nécessaire.

Et quelles mesures comptez-vous prendre afin que l’AC ne gaspille plus d’argent ?
Pour ne pas dilapider l’argent, nous devons nous limiter au personnel nécessaire, réduire les consultations d’experts, etc. L’AC a dépensé beaucoup d’argent en consultations... pour examiner ceci, évaluer cela. Nous devrions pouvoir engager des collaborateurs de premier rang et nous passer autant que possible des conseils extérieurs ; c’est l’indécision qui motive les consultations. Les gens se plaignent qu’“un homme d’affaires prenne l’art en main”. Mais c’est avant tout une question de gestion. En fait, cela n’a rien d’insurmontable. Nous devons nous sortir de cette période désastreuse en nous réorganisant. Et d’ici un an, nous aurons réussi.

Vous avez parlé d’un “changement radical” dans le financement des arts. Combien vous faudrait-il ?
Plus j’avance dans cette arène, plus je constate que le financement des arts est insuffisant en Grande-Bretagne, en comparaison d’autres pays “cultivés”. Dans le cadre de son Spending Review (rapport sur les dépenses publiques), le gouvernement va nous accorder des subventions supplémentaires, et je m’en réjouis. Mais à plus long terme, il faudrait qu’elles soient multipliées par quatre, ce qui nous permettrait de rattraper la moyenne européenne. Toutefois, nous ne pourrons formuler un tel souhait qu’après avoir prouvé que nous faisons le meilleur usage des subventions supplémentaires. Et nous sommes encore loin du compte.

Dans le cadre du Spending Review, le gouvernement propose d’intégrer le Crafts Council (Conseil de l’artisanat) à l’Arts Council. Quels seraient les avantages de cette fusion pour le Crafts Council ?
Le rapprochement de l’artisanat et des arts pourrait donner lieu à des subventions plus importantes. Mais le changement doit être géré avec bon sens, en prenant garde que l’artisanat ne soit pas absorbé.

Lorsqu’il est question des arts visuels, la presse populaire prend un malin plaisir à dénigrer les projets les plus avant-gardistes subventionnés par l’Arts Council. Est-ce important ?
L’histoire de l’art regorge d’œuvres qui, à l’époque de leur création, étaient considérées comme des fadaises ; en France, on a critiqué les impressionnistes. Il est extrêmement important que l’AC ne se cantonne pas à l’art traditionnel. L’AC est sur une pente un peu conservatrice : on subventionne un certain type d’art, et l’on continue à l’aider, même s’il vole désormais de ses propres ailes ou s’il n’en vaut plus la peine. Nous devons nous préparer à soutenir les artistes les plus contemporains. Parfois, ce sera une réussite, parfois un désastre. Mais cela n’a aucune importance. Lui donner sa chance prouve que l’on a cru en la qualité d’un projet.

Qu’en est-il de la collection de tableaux et de sculptures de l’Arts Council ? Quelle sera la politique d’acquisition de l’AC et peut-il envisager de se défaire de certaines œuvres qui semblent aujourd’hui moins importantes ?
La collection est gérée – et de façon satisfaisante – par la South Bank, et je ne la connais pas encore assez bien pour me faire une idée précise. Mais je suis convaincu que les plus belles collections sont rassemblées par des individus ou des équipes réduites qui peuvent faire des choix personnels. Le danger d’une collection comme celle de l’AC est qu’elle est rassemblée par une commission. Rien ne devrait nous empêcher de dire que la collection est à présent un peu “bancale” ni d’envisager de nous défaire de certaines œuvres. Il faut gérer cette collection avec passion.

Revenons à vos relations avec le gouvernement : jusqu’à présent, votre approche coïncidait avec celle du ministre de la Culture Chris Smith. Mais peut-on exclure le risque que le gouvernement réclame un “droit de regard” ?
Nous devons être très vigilants. Je suis persuadé que le meilleur moyen d’avancer passe par la coopération ; on ne peut pas rester sur la touche et se contenter de hurler. Mais nombreux sont ceux dans le monde de l’art qui adorent hurler ; et si vous vous en prenez au gouvernement, ils applaudissent.

Avez-vous des points de discorde avec le gouvernement ?
Nous en avons beaucoup. L’heure venue, ces désaccords seront rendus publics. S’ils prennent de l’ampleur, le public en sera informé, c’est indispensable. Je n’ai pas accepté la présidence de l’AC pour devenir une marionnette du ministère de la Culture. Ce gouvernement s’intéresse bien plus aux arts que le gouvernement précédent, mais si je dois frapper du poing sur la table, je le ferai.

Aujourd’hui, un peu plus de 50 % des subventions dont bénéficie l’AC proviennent du National Lottery Fund. Y a-t-il un risque que le principe de complémentarité soit aboli ? (Les subventions du National Lottery Fund doivent compléter un juste financement du gouvernement, et non le remplacer).
Le danger existe, et nous devons y prendre garde. Si le gouvernement décide de suspendre son aide sous prétexte que nous recevons des subventions du National Lottery Fund, nous nous retrouverons dans l’embarras. Personnellement, j’ai été très déçu lorsque le gouvernement a fait adopter une sixième “bonne cause” bénéficiant de l’argent de la Loterie nationale.

Quand pourrons-nous voir les premiers effets de votre réforme ?
Vous devriez pouvoir vous faire une idée plus précise de la nouvelle orientation de l’AC dans moins d’un an. Vous constaterez des changements notables et comprendrez ce que nous sommes prêts à soutenir ou à abandonner. Au cours des dix prochaines années, vous verrez que nous aurons obtenu un changement radical dans le volume des subventions accordées aux arts.

Durant l’exercice financier en cours, l’Arts Council of England a reçu du ministère de la Culture 185 millions de livres sterling (1,73 milliard de francs) de subventions : 123 millions sont directement redistribués aux organisations artistiques et 60 sont répartis entre dix directions régionales, principalement pour financer les projets de moindre coût. Parmi les bénéficiaires, on compte des compagnies de théâtre, de danse, des orchestres, des musées... Les subventions accordées aux arts visuels (principalement l’art contemporain) s’élevaient en 1998 à 13,5 millions, les plaçant ainsi loin derrière les autres formes d’art. Cela s’explique en grande partie par des raisons historiques, puisque les subventions des institutions et des musées nationaux proviennent directement du ministère de la Culture. Depuis 1995, l’Arts Council a la charge de répartir les subventions accordées par le National Lottery Fund au domaine des arts. Pour l’instant, ce fonds a alloué plus d’un milliard de livres pour subventionner près de 8 000 projets. Actuellement, ses dépenses annuelles tournent autour de 200 millions. Au total, l’Arts Council aura donc reçu en 1998 environ 385 millions. Au cours du dernier exercice, les coûts administratifs – incluant le contrôle des dépenses – se sont montés à 5 millions pour les subventions et à 23 millions pour les projets soutenus par le National Lottery Fund.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°75 du 22 janvier 1999, avec le titre suivant : Entretien avec Gerry Robinson

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