Rome à l’école de l’antique

Quand le XVIIIe siècle inventait l’archéologie moderne et le néoclassicisme

Le Journal des Arts

Le 8 janvier 1999 - 706 mots

Au XVIIIe siècle, la véritable passion de l’Antiquité qui saisit Rome pose les bases à la fois de l’archéologie moderne et du néoclassicisme. En mariant un discours scientifique exigeant et ambitieux et un choix de pièces de haut niveau, le Musée de la civilisation gallo-romaine révèle cette culture largement ignorée en France.

LYON - Dans la cour du Musée du Capitole, un artiste, penché sur sa planche, dessine un antique, tandis qu’un amateur a sorti sa loupe pour observer une statue couchée sur le sol. Ce dessin de Natoire résume bien la passion fiévreuse de l’Antiquité qui s’empare de Rome au XVIIIe siècle, avant de s’étendre à toute la société européenne. Car la cité papale est le véritable foyer de cette fascination de l’antique, Herculanum et Pompéi – dont les fouilles seront publiées à partir de 1760 – ne prenant le relais que plus tard. De l’étude des vestiges à la relecture visionnaire de l’Antiquité, le Musée de la civilisation gallo-romaine revisite une “culture complètement ignorée en France”, celle qui allait donner naissance au néoclassicisme et à l’archéologie moderne. Pour souligner ce discours, la muséographie joue la carte de l’antique, en ménageant des sortes d’atriums pour dessins et aquarelles, tandis que des tissus imprimés d’un motif d’inscriptions latines tapissent les murs.

“Au début du XVIIIe siècle, d’importantes découvertes archéologiques viennent renouveler la vision de l’Antiquité”, explique François de Polignac, commissaire de l’exposition, devant la Joueuse d’osselets trouvée en 1732 et placée en ouverture du parcours. Si, depuis la Renaissance, le sol romain n’a cessé de livrer de nouveaux trésors, le XVIIIe voit apparaître les premières fouilles systématiques et se développer un effort sans précédent de diffusion des connaissances. Les précieuses aquarelles, exceptionnellement prêtées par le collège d’Eton, offrent ainsi une image précise des fresques découvertes lors des fouilles du Palatin initiées par les Farnèse et disparues depuis. De même, l’exposition met intelligemment en parallèle les fresques du premier palais de Néron et leur reproduction par Francesco Bartoli, une bonne manière de mesurer le degré d’interprétation que s’autorisaient les artistes, plus portés à la recréation qu’à la copie.

Deux approches de l’antique rivalisent en effet dans la Rome du XVIIIe siècle. Ainsi se développe une approche plus scientifique, privilégiant les sources archéologiques aux textes, posant ainsi les bases de l’archéologie moderne. Au centre de ce creuset se distinguent les personnalités de Winckelmann, “antiquaire” du pape et théoricien du néoclassicisme, et du comte de Caylus, auteur d’un fondamental Recueil d’antiquités égyptiennes, étrusques, grecques et romaines. Les artistes participent également à cet effort encyclopédique, comme le montrent les relevés systématiques des découvertes à Rome et ses environs effectués par le célèbre caricaturiste Pier Leone Ghezzi et légendés par ses soins. À côté des recueils de toutes sortes et des nombreuses collections privées, le principal vecteur de diffusion de la connaissance est sans aucun doute le Musée du Capitole, évoqué notamment par un délicieux Éros et Psyché. Créé par le pape Clément XII en 1733, après l’achat de la collection du cardinal Albani, il devient pour les artistes un lieu d’étude privilégié.

L’Antiquité réinventée
Mais ces derniers ne se sont pas contentés de dessiner sagement les vestiges romains, ils les ont intégrés à d’étourdissantes compositions dont Piranèse est le maître incontesté. Les pensionnaires de l’Académie de France à Rome, et plus particulièrement Clérisseau, représenté ici par de poétiques aquarelles venues du Fitzwilliam Museum de Cambridge, ne restent pas indifférents à la vision héroïque de l’Antiquité proposée par le graveur vénitien. De même, ils sont attentifs à la leçon de Pannini, dont les capricci ont fait la gloire. Plus qu’à la poésie des ruines, si éclatante dans les sanguines de Fragonard ou d’Hubert Robert, des peintres comme Vien ou des sculpteurs tels Bouchardon seront sensibles à la “calme grandeur” des Anciens, pour reprendre les termes de Winckelmann. L’exposition s’achève sur la mise en évidence du courant classicisant, qui s’exprime dans les Salons des années 1760 aussi bien à travers le sage ordonnancement des compositions que dans la recherche de thèmes exemplaires.

LA FASCINATION DE L’ANTIQUE, ROME 1700-1770

Jusqu’au 14 mars, Musée de la civilisation gallo-romaine, 17 rue Cléberg, 69005 Lyon, tél. 04 72 38 81 98, tlj sauf lundi et mardi 9h30-12h et 14h-18h. Catalogue, éd. Somogy, 240 p., 200 ill., 295 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°74 du 8 janvier 1999, avec le titre suivant : Rome à l’école de l’antique

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