Marier l’art et la science

Trois laboratoires en France et en Belgique

Par Anaïd Demir · Le Journal des Arts

Le 5 février 1999 - 1099 mots

Pour favoriser l’entrée dans le monde digital, certains lieux tels que le Centre international de création vidéo à Montbéliard, le Métafort d’Aubervilliers ou le CyberThéâtre à Bruxelles n’ont pas attendu « la révolution numérique » pour se créer, se structurer, soutenir des projets, mêler l’art aux sciences.

Centres d’art ou laboratoires de recherche, le CICV-Pierre Schaeffer à Montbéliard, le Métafort d’Aubervilliers ou le cas résolument atypique du CyberThéâtre à Bruxelles, se consacrent à la recherche artistique par le biais du multimédia. À la croisée de toutes les expressions (son, image, chorégraphie...), ces lieux hybrides s’inscrivent comme de nouveaux pôles culturels : lieux de rencontres, de débats, de formation, lieux de production ou d’exposition... ils permettent notamment de mettre en commun les facultés intuitives comme les compétences de deux activités que l’on s’est souvent plu à opposer : celles de l’artiste et de l’ingénieur. Créées dans les années quatre-vingt-dix, ces structures fonctionnaient jusque-là en marge du milieu artistique traditionnel. Naguère ignorées, voire méprisées, l’intérêt qu’elles suscitent aujourd’hui correspond à la prise de conscience des enjeux socio-économiques de l’outil informatique. Totalement rompues aux nouvelles techniques, jouissant de plusieurs années d’expérience, disposant de moyens matériels importants, elles diffusent le savoir numérique mais sont malheureusement aussi efficaces que rares. Bien entendu, leur coût financier contribue fortement à cette rareté. D’étonnantes machineries comme le Métafort ou le CICV ne pourraient réellement survivre et fonctionner sans subventions. En Franche-Comté, le CICV bénéficie du soutien de plusieurs collectivités locales, mais aussi du ministère de la Culture (Centre national de la Cinématographie, Délégation aux Arts Plastiques, Délégation au Développement et aux Formations). À vocation internationale, ce centre de création accueille en résidence des artistes et des chercheurs du monde entier, pour former un véritable vivier de compétences et contribuer au rayonnement économique d’une région dominée par l’industrie automobile. Paradoxalement, c’est dans un magnifique château du début du siècle que les auteurs des projets sélectionnés sont hébergés, pour une durée qui peut aller de quelques semaines à plusieurs mois. Une équipe d’environ 25 personnes suit toutes les étapes d’un projet, de sa conception à sa réalisation. Depuis mai 98, le CICV dispose même d’un lieu d’exposition spécifique : l’espace Gantner, soit 700 m2 consacrés à des installations multimédias.

1998 a été aussi l’année du lancement de la “Pouponnière des jeunes entrepreneurs” : une dizaine de jeunes âgés de 18 à 30 ans sont recrutés – comme il se doit par l’Internet – jusqu’en juillet 2000 et bénéficient d’une formation, jouissent de tous les moyens dont le centre dispose pour mener à bien un projet d’entreprise. La “Pouponnière” relève d’un des axes chers au centre : l’ingénierie culturelle, c’est-à-dire “la partie qui consiste à décliner sur le plan culturel, pédagogique, social, économique, tous les résultats de la recherche artistique au sein de la communauté des citoyens, soit construire le travail artistique non pas dans le cadre du musée, mais dans celui de la société, de la vie concrète des gens”, confie Pierre Bongiovanni, codirecteur du CICV.

Si le CICV a des allures de Villa Médicis, le Métafort s’est, lui, créé en 1992 dans l’intention de devenir un “Bauhaus électronique”. Trop longtemps mis de côté, il commence tout juste à se déployer véritablement et vient d’inaugurer ses nouveaux locaux. Depuis deux ans et demi, plus de trente projets ont déjà été analysés, sélectionnés par un jury d’experts et enfin, soutenus.

À l’échelle du lieu près, les ambitions et les pôles d’activité du Métafort sont proches de ceux du CICV : l’accueil de projets, des équipes pluridisciplinaires, la formation, le travail avec les écoles ou les universités telle que Paris-VIII. Le “Métalab” permet par exemple d’accueillir des projets, comme la revue en ligne Synesthésie, tandis que  “La Passerelle” canalise les rencontres et débats entre les différents acteurs du multimédia. Pour Pascal Santoni, son directeur, “le Métafort est un centre d’expérimentation des technologies dans différents domaines. L’objectif final étant que tous ces domaines se croisent, qu’un projet d’artiste finisse par rencontrer un outil industriel…  Le monde des artistes et celui des industries ne se côtoient pas, et des lieux de production qui associent l’imaginaire, la création et les outils industriels n’ont pas été réellement inventés”.

Le problème, d’après Pierre Bongiovanni, “c’est qu’en France, il y a des centres d’art contemporain, d’art dramatique, chorégraphique... dans toutes les régions. Des centres comme le CICV, il n’y en qu’un en province.”

À l’étranger, le CyberThéâtre s’est ouvert en mai 1997. C’est un cas à part, puisqu’il naît d’une initiative privée et tente le difficile pari d’ouvrir au cœur de Bruxelles un lieu qui n’est ni un simple café électronique, ni un centre d’art multimédia tout en étant un lieu de formation, de spectacles et d’événements culturels. À l’origine de ce projet, le Global Theatre Network (GTN), une entreprise qui fonde “Nirvanet” en 1994, l’un des meilleurs sites Internet dédiés aux cultures digitales. Une centaine d’ordinateurs sont à la disposition du public pour surfer sur le Net, suivre une formation ou encore consulter gratuitement son courrier électronique. Les soirées sont consacrées aux concerts, aux spectacles chorégraphiques, aux performances, aux sets de DJs et tout à ce qui fait l’actualité du multimédia en général... à vivre sur place ou en ligne.

C’est essentiellement grâce à son travail avec les entreprises et les partenariats qu’elle met en place que cette entreprise culturelle, qui n’est jamais à court d’idées sur le plan financier, arrive à faire vivre son équipe et réussit à promouvoir les cultures digitales.

En pleine expansion, chacun de ces lieux a su devancer les nécessités de son époque et n’a pas hésité à miser sur l’ingénierie pour promouvoir la culture. Le secteur privé contribue au défrichage en matière de multimédia. Le CyberThéâtre projette d’étendre le concept à Paris, Barcelone et San Francisco. Le Métafort a pu accroître ses efforts avec un budget de 7,5 millions de francs en 1998. Qui pourrrait imaginer qu’”il y a sept ans, sa crédibilité était voisine de zéro”, comme nous le rappelle Pascal Santoni. Quant au CICV, il n’aurait sans doute jamais tenu sans le volontarisme effréné et l’efficacité d’une “équipe de cinglés” – donc de passionnés, selon Pierre Bongiovanni ! On attend avec impatience l’ouverture d’une de ces antennes à Paris, ce qui prouve que son ambition, aux yeux de l’institution, a depuis longtemps dépassé le cap régional.

- CICV-Pierre Schaeffer, château Eugène Peugeot, 5 rue Pierre-Peugeot, 25310 Hérimoncourt, tél. 03 81 30 90 30, http://www.cicv.fr - Le Métafort, 4 av. de la Division Leclerc, 93300 Aubervilliers, tél. 01 43 11 22 33, www.metafort.com - CyberThéâtre, 5-6 avenue de la Toison d’Or, Bruxelles, tél. 32 2 500 78 10, www.nirvanet.com

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°76 du 5 février 1999, avec le titre suivant : Marier l’art et la science

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