Italie - Archéologie - Police

La Mafia en échec

Des trafiquants d’objets archéologiques ont été arrêtés

Par Cristina Ruiz · Le Journal des Arts

Le 5 février 1999 - 730 mots

Toute activité profitable est susceptible d’intéresser la Mafia, même le trafic d’objets archéologiques volés. Le démantèlement d’un réseau de trafiquants agissant à partir de la Sicile vient d’en apporter la preuve.

CATANE - Depuis quelque temps se dessinent des liens entre la Mafia et le trafic illicite d’antiquités. Une enquête menée à Catane, en Sicile, a ainsi mis en lumière un réseau international de trafiquants proche de l’organisation criminelle. Il écoulait en contrebande le matériel archéologique pillé dans les tombes de Sicile et d’Italie du Sud vers la Suisse, l’Angleterre et les États-Unis. Ces investigations ont permis l’arrestation en décembre de six hommes, qui doivent être jugés pour association de malfaiteurs et trafic de biens volés. Parmi eux, Vincenzo Cammarata, un collectionneur sicilien considéré comme l’un des cerveaux de l’opération, est aussi accusé d’association mafieuse pour avoir collaboré avec la Cosa Nostra. Un important fonds d’antiquités découvert dans sa villa sicilienne est actuellement inventorié par des agents du ministère de la Culture. Cammarata est également impliqué dans le litige opposant l’Italie et le collectionneur new-yorkais Michael Steinhardt à propos d’une assiette en or massif du IVe siècle avant J.-C., découverte en Sicile et peut-être acquise par Steinhardt à New York.

Au nombre des personnes arrêtées figurent deux assistants de l’Université de Catane : Giacomo Manganaro, du département d’histoire antique, et Salvo di Bella, de la section de géographie politique. Des pièces de monnaie et d’autres antiquités découvertes à leur domicile ont été saisies et sont à l’étude. Gianfranco Casolari, marchand de monnaies à Rimini et propriétaire de la maison de vente Aes Rude, en République de Saint-Marin, a lui aussi été interpellé.

Une villa plus riche qu’un musée
Ces arrestations font suite à celle de nombreux tombaroli – ou pilleurs de tombes – dans le cadre d’une opération anti-mafia, en mars dernier. Grâce au récit de ces hommes, les enquêteurs ont découvert un réseau de contrebande d’antiquités parfaitement organisé. Il est également apparu que de nombreux tombaroli étaient directement ou indirectement employés par la Mafia. Selon l’un d’entre eux, Maurizio Sinistra, à plusieurs reprises le collectionneur “Vincenzo Cammarata a participé à des rencontres de mafiosi au cours desquelles était négociée la vente d’objets pillés”. Les antiquités volées étaient apportées à Cammarata, qui était chargé de les écouler sur le marché noir ou de leur “arranger” des origines respectables afin de les introduire dans le circuit international traditionnel. Lorsqu’il a été arrêté, la police a découvert, dans sa vaste villa d’Enna, des centaines d’antiquités préhistoriques, hellénistiques, byzantines et romaines : des vases, des amphores, des pièces de monnaie et des couronnes étaient entassés sur des étagères, cachés dans les armoires et amoncelés dans tous les recoins possibles, jusque dans la salle de bains. Les objets de grande valeur étaient dissimulés dans le sol d’un des couloirs. “Il y avait beaucoup plus de pièces exposées dans cette maison que dans certains musées”, estime Maria Grazia Branciforti, de l’Office régional du ministère de la Culture à Catane, chargée par les magistrats de l’inventaire.

Après avoir été examinés, les objets étaient envoyés à M. Casolari à Rimini, qui apparemment fournissait de faux certificats d’origine. Parfois, ce dernier écoulait les antiquités volées par l’intermédiaire de sa maison de vente à Saint-Marin. Ce territoire étant une république indépendante, il n’est pas soumis à la stricte loi italienne sur l’exportation des biens culturels. Il semble que les antiquités étaient ensuite exportées soit vers la Suisse, soit vers Londres, d’où elles repartaient quelquefois pour les États-Unis ou le Japon. Selon le porte-parole du ministère de la Culture, certaines pièces pourraient même avoir été vendues à des musées occidentaux grâce à de fausses attestations.

La participation de la Mafia à ce genre de trafic n’est pas vraiment une révélation pour le général Roberto Conforti, chef de la Brigade de protection du patrimoine des carabinieri. “La Mafia recherche le profit, et le trafic d’antiquités est un commerce juteux. Nous avons donc toujours soupçonné leur implication. En 1969, une Nativité du Caravage a été dérobée, pour la Mafia, dans l’Oratoire de San Lorenzo, à Palerme. Ceci nous avait alerté sur leur intérêt pour les œuvres d’art. Cette enquête est importante, car elle donne des informations spécifiques sur tous les stades du processus, des fouilles à la création de faux certificats, et précise les routes de contrebande à partir de la Sicile vers les États-Unis, en passant par la Suisse et l’Angleterre”.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°76 du 5 février 1999, avec le titre suivant : La Mafia en échec

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