Le choc des Indes

Bordeaux explore les échanges entre Inde et Europe

Le Journal des Arts

Le 5 février 1999 - 670 mots

Au XVIIIe siècle, le commerce maritime assure la prospérité de Bordeaux. Si la traite des esclaves occupe alors une place non négligeable, les armateurs et marchands s’intéressent aussi à la péninsule indienne, riche en tissus et en objets précieux. À travers 150 pièces, le Musée d’Aquitaine et celui des Arts décoratifs de Bordeaux illustrent les influences artistiques réciproques entre l’Europe occidentale et l’Orient, depuis les premières implantations portugaises, vers 1500, jusqu’en 1858, quand l’Inde devient colonie anglaise.

BORDEAUX - Lorsqu’en 1497, le Portugais Vasco de Gama établit la première liaison maritime directe entre l’Europe et les Indes, le pays présente un visage original où coexistent les cultures hindoue, sikh, musulmane, persane, arabe, et bientôt moghole pour le nord de la péninsule. Peu à peu, l’influence européenne se fait également sentir, par la voie des implantations et des comptoirs occidentaux qui se multiplient du XVIe au XIXe siècle, au gré des dominations commerciales successives.

Si le XVIe siècle est marqué par la suprématie portugaise, celle-ci bascule au profit de la Hollande dès le début du siècle suivant. Puis la guerre anglo-hollandaise de 1652 laisse aux Britanniques la maîtrise du commerce maritime. À la même époque, la France crée la Compagnie française des Indes et fonde ses premiers comptoirs. Sa concurrence avec l’Angleterre et la victoire de cette dernière l’amènent à céder une partie de ses concessions entre 1763 et 1783. Commence ensuite une période de grande prospérité pour les ports français impliqués dans ce commerce, tels Bordeaux et Nantes.

Du bidri aux “indiennes”
De ces relations intenses naissent d’importants échanges artistiques, que le Musée d’Aquitaine et les Arts décoratifs de Bordeaux étudient suivant un schéma général identique. Pour chaque catégorie d’objet abordée – pièces précieuses, mobilier, textiles et miniatures –, les deux établissements s’intéressent à la fois aux emprunts occidentaux des artistes travaillant pour les cours musulmanes, aux productions indiennes à destination des colons et à l’assimilation d’éléments exotiques indiens par l’art européen. Les créations sont ainsi systématiquement replacées dans le contexte de leurs marchés.

Du côté indien, les Européens ne resteront pas insensibles à l’art de vivre de leur pays d’adoption, suscitant la création de décors et de meubles spécifiques, comme les fauteuils indo-hollandais Burgomeister.

Parallèlement, en Occident, l’engouement pour les Indes se développe, jusqu’à son apogée au XIXe siècle. Si de nombreux colons ramènent au pays des cassettes richement ornées ou autres petits objets précieux, tels des poids à tapis damasquinés, certains commanditaires font importer à grands frais des pièces de mobilier étonnantes. Ainsi, un lit ovale en teck fut fabriqué à Negapatam, au début du siècle dernier, pour un client français. À mi-chemin entre le lit à baldaquin et le divan indien à coussins, il mêle hardiment les références esthétiques : néoclassicisme, style moghol classique et sculptures dorées en trompe-l’œil inspirées des décors navals. Mais les artistes et artisans européens ne sont pas en reste dans cette circulation des motifs et des savoir-faire. Au Portugal, par exemple, les répertoires floraux indiens et les entrelacs turco-persans sont parfois intégrés à des sujets sacrés, comme le montre un charmant devant d’autel en céramique.

Cependant, l’apport principal des Indes se manifeste surtout dans l’adoption de procédés particuliers, depuis le bidri – une technique de damasquinage – jusqu’à l’art textile. C’est en Inde, en effet, que l’Europe découvre le coton et apprend la maîtrise des teintures, dont témoignent plusieurs tissus rares – tapis, tentures, saris, châles brodés et imprimés –, prêtés par l’Association pour l’étude et la documentation des textiles d’Asie. La France imitera avec succès les toiles de coton peintes, une fois levée, en 1759, l’interdiction protectionniste d’en faire commerce ou d’en fabriquer. Plusieurs exemples illustrent cette industrie florissante des “indiennes”.

LA ROUTE DES INDES

Jusqu’au 14 mars, Musée d’Aquitaine, 20 cours Pasteur, Bordeaux, tél. 05 56 01 51 00, tlj sauf lundi 11h-18h, mercredi 11h-20h ; et Musée des arts décoratifs, Hôtel de Lalande, Bordeaux, tél. 05 56 00 72 50, tlj sauf mardi 11h-18h, mercredi 11h-20h. Catalogue coédité par Somogy et le Musée d’Aquitaine, 240 p., 200 ill. couleur, 195 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°76 du 5 février 1999, avec le titre suivant : Le choc des Indes

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