Icônes d’une jeune nation

La République de Macédoine écrit sa longue histoire

Le Journal des Arts

Le 19 février 1999 - 748 mots

Jeune État proclamé en 1991, la République de Macédoine cherche à mieux se faire connaître en France en prêtant au Musée national du Moyen Âge une partie de ses trésors : une quarantaine d’icônes exécutées entre les VIIe et XVIe siècles. Rassemblées dans le frigidarium des anciens thermes de Cluny, ces pièces précieuses, parfois de grandes dimensions, ne peuvent manquer d’impressionner, compensant une scénographie un peu aride.

PARIS - Représentation d’une figure sacrée avec qui elle permet d’entrer en communication, dotée de pouvoirs miraculeux et salvateurs, l’icône est l’une des composantes essentielles de la religion dans l’Empire byzantin. La vénération des images se répand dans tous les territoires sous la domination de Constantinople, jusqu’aux confins balkaniques où l’influence croisée de la Serbie, de l’Occident et de Byzance produit des formes plastiques spécifiques.

La quarantaine d’œuvres prêtées par la République de Macédoine au Musée national du Moyen Âge ne saurait évidemment résumer toute cette histoire, qui commence au VIe siècle et perdure même après la conquête ottomane, vers 1380, puisque la ville d’Ohrid est autorisée à maintenir son évêché jusqu’au XVIIIe siècle. L’exposition offre néanmoins un bel aperçu, assez varié, de la production d’icônes dans la Macédoine médiévale. Le visiteur peut notamment découvrir, pour la première fois en France, neuf bas-reliefs en terre cuite remontant au tout début du christianisme, avant l’épisode iconoclaste (727-843) et la grande vague d’évangélisation des saints Clément et Naum d’Ohrid, disciples de Cyrille et Méthode. Ces tablettes moulées, proches des plaques qui ornaient les murs des sanctuaires tunisiens aux VIe et VIIe siècles, ont été retrouvées il y a une dizaine d’années dans l’est du pays. “Sans doute s’agit-il des rebuts d’un atelier de poterie, explique Viviane Huchard, conservatrice en chef du musée et co-commissaire de l’exposition, car elles ont été trouvées enterrées dans la même zone. L’une d’entre elles porte une empreinte d’animal et n’a donc certainement pas été utilisée”. Cela expliquerait également l’excellent état de conservation de ces pièces, dont les personnages ramassés et ronds sont restés étonnamment lisibles.

Somptueuses icônes peintes
Mais l’essentiel du parcours se compose de peintures sur bois, postérieures au XIesiècle. À part six icônes de procession, décorées sur les deux faces, les œuvres – portes royales et figures de dévotion – étaient uniquement destinées à l’iconostase, ce mur d’images sacrées qui sépare les fidèles de l’officiant.

La scénographie s’est efforcée de rendre compte de l’importance de l’iconostase et d’évoquer un sanctuaire. Les tableaux suivent autant que possible la disposition orthodoxe – le Christ à droite, la Vierge à gauche, les saints sur les côtés –, et les proportions des cimaises rappellent celles d’une clôture de chœur. Cependant, le polygone formé par les hautes cimaises noires, autour desquelles il faut tourner puisqu’elles portent des icônes de part et d’autre, complique la circulation et rend le parcours chronologique difficile à suivre. Peut-être n’est-ce cependant pas très grave. Les datations sont souvent incertaines, voire peu significatives, le statut éminent des icônes leur ayant valu d’être régulièrement restaurées et complétées. Aussi, pour Viviane Huchard, “il est moins important de dater les icônes que d’identifier leur prototype, d’apprécier leur pouvoir émotionnel et leur éclat esthétique”.

Si, dans le registre des émotions, ce sont surtout les œuvres tardives qui nous parlent, telles la Vierge de tendresse de Makarios (1421-1422) ou la très occidentale Vierge à l’Enfant de la Galerie d’icônes d’Ohrid (XIVe siècle), il est difficile de ne pas être séduit par le chatoiement et l’efficacité plastique de la Vierge et de l’Ange de l’Annonciation, exécutés au tournant des XIe et XIIe siècles. Ces deux pendants aux coloris contrastés paraissent d’autant plus somptueux qu’ils ont – fait rarissime – conservé leur revêtement orfèvré d’époque. Superbe aussi, le Saint Matthieu peint vers 1295 par les fresquistes grecs Michel et Eutychios, qui ont su insuffler à cette figure en pied et de trois quarts un dynamisme exceptionnel, assez éloigné des canons habituels de l’icône. Beaucoup plus classiques, la Vierge Psychosostria et le Christ Psychosostis – sauveurs d’âmes – n’en sont pas moins remarquables. Avec leurs coloris subtils et le doux modelé des visages, l’expressivité des figures et le graphisme serré des drapés, ces panneaux de procession réalisés par des artistes de cour grecs semblent un écho raffiné de l’art antique, à l’aube du XIVe siècle.

TRÉSORS MÉDIÉVAUX DE LA RÉPUBLIQUE DE MACÉDOINE

Jusqu’au 3 mai, Musée national du Moyen Âge, 6 place Paul Painlevé, 75005 Paris, tél. 01 53 73 78 00, tlj sauf mardi 9h15-17h45. Catalogue 112 p., 53 ill. dont 45 ill. couleur, 130 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°77 du 19 février 1999, avec le titre suivant : Icônes d’une jeune nation

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