Sherman power

Sa rétrospective mondiale fait halte à Bordeaux

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 19 février 1999 - 707 mots

Réalisée par les Musées d’art contemporain de Los Angeles et de Chicago, la rétrospective planétaire Cindy Sherman fait une halte unique en France, à Bordeaux. Avec ses cent cinquante et une œuvres, l’artiste américaine trouve une consécration muséale après celle du marché.

BORDEAUX. Lorsque Cindy Sherman a bénéficié d’une rétrospective en Europe, en 1995-1996, à la Deichtorhallen de Hambourg, à la Konsthall de Malmö et au Kunstmuseum de Lucerne, ses œuvres n’avaient pas encore pulvérisé tous les records en ventes publiques. Du reste, l’exposition, qui réunissait cent vingt pièces, était une présentation classique du travail d’une artiste de quarante ans. Avec les sommets atteints par les photographies de l’Américaine – les quatre œuvres Untitled #97, #98, #99 et #100 ont été adjugées 123 500 dollars (680 000 francs) chez Christie’s à New York le 12 novembre –, la donne a quelque peu changé. Et l’événement bordelais semble tenir compte de son nouveau statut. Livrée clé en main par ses organisateurs, les Musées d’art contemporain de Los Angeles et de Chicago, l’exposition accrochée avec les bons soins de Cindy Sherman herself semble avoir été pensée dans une logique de monumentalisation et de consécration. Certes, les espaces majestueux du Capc ne sont pas sans incidence sur cette perception. Mais série après série, les œuvres se succèdent dans une même rigueur toute protestante, ce qui donne à la présentation une certaine raideur. Seuls les soixante-neuf Untitled Film Stills (1975-1980), montrés dans leur intégralité, sont présentés avec quelque fantaisie, les uns au-dessus des autres, mais sans que ce parti pris soit vraiment convaincant.

Un défi lancé au collectionneur
Cette série emblématique, dont l’une des dix complètes a été acquise par le MoMA à New York, dévoile d’emblée les multiples influences de Cindy Sherman : sa culture cinématographique, une certaine représentation de la femme cantonnée dans ses rôles traditionnels – la maîtresse de maison, la pin up, la starlette... –, sa propre image visitée et revisitée, ou sa propension à sans cesse changer de personnage. L’omniprésence du visage de la jeune femme n’est certainement pas étrangère à son succès commercial : ses photographies se reconnaissent entre toutes. Dans un défi lancé au collectionneur, elle disparaît pourtant de ses prises de vues à la fin des années quatre-vingt. Elle qui avait été jusque-là relativement sage, se lance alors dans des séries de vomis, de pourritures, jusqu’à des scènes de prothèses sexuelles. Cindy Sherman semble ainsi tout faire pour se détourner de l’image lisse que l’on accroche sagement au-dessus du canapé du salon. Les collectionneurs continuent pourtant d’acheter, même si c’est pour garder ces photographies hors de toute vision quotidienne. L’attitude de la jeune femme est également révélatrice de la société américaine contemporaine, en permanence tiraillée entre séduction et répulsion, entre rigueur morale et comportementale, et avec une attirance pour l’organique, voire le gore. Ses images témoignent également de ses constantes relectures de l’histoire de l’art, au sens général du terme. De ses History Portraits lourdement encadrés, qui renvoient directement aux portraits d’un Holbein, par exemple, aux Sex pictures inspirées des travaux surréalistes, dans la tradition d’un Bellmer, elle réussit néanmoins à toujours imposer son univers. L’exposition s’achève par une salle où des visages tuméfiés et colorés nous renvoient un même regard inquiétant. Au terme de la visite, l’amateur aura pu découvrir ou redécouvrir les principales étapes du travail de Cindy Sherman. Pourtant, il est fort dommage que le Capc n’ait pas pu diffuser le film Office Killer qu’elle a réalisé en 1997, non pas que ce long métrage soit un chef-d’œuvre, mais parce qu’il éclaire un peu mieux encore la personnalité de son auteur. Non distribué en France, une copie était pourtant disponible en Suisse pour un prix qui n’avait rien de scandaleux, surtout par rapport au coût total de l’exposition. Dans le même temps, l’organisation américaine a imposé certaines œuvres qui ont traversé l’Atlantique, tandis que des tirages identiques dormaient paisiblement dans des réserves bordelaises. Mais que n’aurait-on pas fait pour accueillir sur les bords de la Garonne la rétrospective de “cette artiste tout à fait exceptionnelle” !

CINDY SHERMAN, RÉTROSPECTIVE

Jusqu’au 25 avril, Capc-Musée d’art contemporain, l’Entrepôt, 7 rue Ferrère, Bordeaux, tél. 05 56 00 81 50, tlj sauf lundi 11h-18h, mercredi 11h-20h. Catalogue, Thames & Hudson (diff. Interart), 220 p., 285 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°77 du 19 février 1999, avec le titre suivant : Sherman power

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque