L’actualité vue par Daniel Soutif

Directeur du département du développement culturel du Centre Georges Pompidou

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 5 mars 1999 - 884 mots

Agrégé de philosophie, Daniel Soutif, 52 ans, est directeur du département du développement culturel du Centre Georges Pompidou, après avoir été rédacteur en chef des Cahiers du Musée national d’art moderne, critique d’art à Libération et collaborateur à Jazz Magazine. Pour la réouverture de Beaubourg, il prépare une exposition sur le temps. Il commente l’actualité.

L’Association française d’action artistique (Afaa) et la Délégation aux arts plastiques (DAP) viennent de changer de responsables. Elles sont dorénavant dirigées respectivement par Olivier Poivre d’Arvor et Guy Amsellem. La première s’occupe, sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères, de “l’exportation” des artistes français, la seconde, pour le ministère de la Culture, du soutien à l’art contemporain. Quels devraient être leurs objectifs ?
Je constate que tous les pays proches de nous ont des structures du type Afaa : en Angleterre, c’est le British Council ; en Allemagne, le Goethe Institut... Comment agir ? La réponse n’est pas simple. Faut-il sélectionner un noyau d’artistes possédant un grand renom international et soutenir leur diffusion – ce que font souvent les pays étrangers – ou bien aider un plus grand nombre ? Dans le premier cas, on peut observer que les Buren, Lavier ou Boltanski se débrouillent déjà très bien sans l’Afaa ; dans le second, qu’il n’y a rien ou peu d’identifiable pour les pays d’accueil. La France a peut-être trop tendance à organiser des opérations commando où l’on déplace beaucoup de monde d’un seul coup, et puis les résultats sont décevants. Les actions en profondeur sont certainement plus efficaces et, selon moi, devraient s’appuyer sur le réseau des instituts culturels français à l’étranger. Il est très important de bien choisir leurs responsables, car c’est de leur intelligence, de leur compétence que dépendra une action sur place. La Délégation aux arts plastiques, elle, vient de vivre un long assoupissement. J’espère qu’elle va retrouver un sens ; elle en avait un, très fort, au début des années quatre-vingt, lors de sa création. Elle ne doit pas courber le dos sous les attaques courantes contre l’administration, “l’art officiel”, qui sont autant de raisons de ne rien faire. Je crois qu’il existe un potentiel en France que la DAP peut faire fructifier. Ses missions aujourd’hui ? Que faire des collections, comment créer des ponts intelligents entre ces collections et le public, quelle politique d’acquisition ? Il n’est pas certain qu’acquérir des œuvres soit une réponse adéquate à toutes les formes d’art contemporain. Dans beaucoup de cas, cela n’a pas de sens d’acheter des œuvres en tant qu’objets, il serait tout aussi intéressant de produire ces œuvres quand il est nécessaire. Le statut des pièces de théâtre, des films devrait être regardé avec plus d’attention, car sinon on en vient parfois des absurdités. Il faut éviter l’écueil du fétichisme d’un côté et du dénigrement de l’autre. Ces questions se posent à tous les responsables d’institutions ou de musées, pas seulement à ceux de la DAP.

Comment analysez-vous la décision du Guggenheim de New York de fermer son annexe à SoHo, plus particulièrement consacrée à l’art contemporain ?
Depuis un moment, j’entendais dire que Tom Krens avait l’intention de fermer SoHo, qui ne rapportait pas suffisamment d’argent à ses yeux. Pour certains responsables d’institution, comme Tom Krens, les expositions doivent être avant tout de grandes machines susceptibles d’attirer les foules. C’est un objectif particulièrement difficile à atteindre lorsqu’il s’agit d’art contemporain. Au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, l’ARC occupe une position exemplaire et joue très bien son rôle. On sait pertinemment que sa fréquentation ne peut pas être gigantesque. J’y ai découvert une exposition Gonzalez-Foerster, Parreno, Huyghe dont beaucoup d’aspects étaient très intéressants. J’y ai vu notamment une œuvre de Pierre Huyghe excellente, intelligente, inscrite dans un interstice de L’Ami américain de Wim Wenders. À New York, le Dia Center fait aussi très bien son travail. Je viens d’y voir une installation de Robert Irwin, une merveille absolue, ainsi qu’une remarquable présentation des Shadows de Warhol.

Qu’avez-vous pensé de la rétrospective Pollock qui, après New York, va être accrochée à Londres ?
Certaines formes d’art associées à des formes d’exposition peuvent provoquer des courts-circuits. Pollock est un grand artiste, mais très inégal. Il ne peut pas être traité impunément sur le mode habituel de la rétrospective, avec 130 tableaux accrochés sur des murs blancs devant lesquels défilent des spectateurs en rang d’oignons pour admirer le génie du dripping et être convaincus de la réalité magique de ce génie. Il y a une contradiction entre la position existentielle de cet art-là et la manière dont le voilà maintenant digéré. En revanche, “Degas photographe” – qui vient en juin à la Bibliothèque nationale – est une petite exposition très bien faite, remarquable. Degas était passionné par la découverte de ce nouveau médium ; certaines images sont des chefs-d’œuvre, d’autres ont servi comme matrices à des tableaux, d’autres encore offrent un intérêt documentaire. Autre exposition concentrée, vraiment impressionnante tant elle est bien faite : les “Portraits d’Ingres” à la National Gallery. À Londres, je recommanderai également l’exposition “Andreas Gursky” à la Serpentine Gallery. Cet élève des Becher est en train d’accéder au statut de grand artiste, par la précision mathématique du traitement du sujet, le choix des formats, l’art de la couleur. Pour moi, il n’y a pas de discussion sur le statut d’une telle photographie.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°78 du 5 mars 1999, avec le titre suivant : L’actualité vue par Daniel Soutif

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