Quand la Russie s’ouvrait à l’Europe

Après Serge Lifar, la galerie de la Scala expose des dessins et aquarelles russes

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 19 mars 1999 - 693 mots

Quelques mois après l’exposition organisée par Nicolas et Alexis Kugel, qui réunissait des meubles et objets d’art de Pierre le Grand à Nicolas Ier, Hélène Bucaille et Marie-Christine Carlioz ont choisi, à la Galerie de La Scala, de s’intéresser à un aspect moins connu de l’art russe : des dessins et aquarelles exécutés entre 1790 et 1920 et provenant de collections privées occidentales. La dernière exposition de ce genre, en 1937, avait été organisée par Serge Lifar.

PARIS - Sous l’impulsion de Pierre le Grand (1672-1725), la Russie s’ouvre, se développe culturellement et adopte un langage pictural qui, tout en restant intrinsèquement russe, se mâtine de formes d’expression empruntées à l’Europe occidentale. L’Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg, fondée au milieu du XVIIIe siècle, s’habille aux couleurs de l’Europe, attirant sur les bords de la Neva des peintres français, suédois, italiens et autrichiens. Ce style international est illustré par un dessin à la plume à l’encre de Chine de 1795-1796 du peintre de silhouettes allemand Johann-Friedrich Anthing, représentant le Grand-duc Paul Petrovitch et Marie Feodorovna en promenade avec leurs enfants, Constantin et Alexandre, en train de planter un arbuste au pied du monument à leur grand-mère Catherine II. Au début du XIXe siècle, l’Académie de Saint-Pétersbourg  envoie, à son tour, ses pensionnaires en Italie pour copier des œuvres classiques. Parmi les “Italiens” russes figure Andrei Martynoff, dont on peut découvrir une petite aquarelle, Vue de Florence, exemple du Romantisme naissant imprégné de la richesse lumineuse de l’Italie.

Le portrait, qui occupe une place importante dans la production artistique de la Russie du début du XIXe siècle, est largement représenté sur les cimaises de la galerie, notamment des œuvres pleines de fraîcheur et de légèreté de Piotr Fiodorovitch Sokoloff. Ce dernier a laissé une vaste galerie de portraits de contemporains de Pouchkine, comme cette admirable Jeune mère avec son enfant. Le Portrait de la grande-duchesse Maria Nikolaievna par Vladimir Hau est, lui, empreint d’une perfection froide : la duchesse, le regard absent, est  assise sur une imposante chaise à côté d’une grosse potiche posée au pied de la cheminée. Autre portraitiste célèbre, Franz Krüger, peintre de la cour de Frédéric-Guillaume II, dont on remarquera un Cosaque (110 000 francs), a eu les honneurs du Musée de l’Ermitage qui lui a consacré une exposition l’an passé. Son dessin du Jeune tsarévitch Alexandre Nikolaievich, au crayon italien, a servi de modèle pour des représentations officielles. Élève de Krüger, Karl Piratsky est connu pour ses peintures de scènes historiques et militaires, telles une Scène de régiment (60 000 francs) ou une Vue de la galerie militaire du Palais d’hiver, qui affichent son souci des détails tant pour l’architecture que pour les uniformes et l’expression des visages. “Il ne s’agit pas de personnages fictifs, de manequins-supports d’uniformes, écrit Serge Essaïan dans son introduction, mais bel et bien de personnes vivantes ayant existé, et ceci apporte une dimension supplémentaire au réalisme de Piratsky. Nous sommes soudain saisis d’une émotion semblable à celle qui se dégage de l’observation de la peinture de têtes dans les œuvres telles que La reddition de Breda, de Vélasquez, où la tête du jeune homme qui se tourne vers nous reste inoubliable.” Arlequin amoureux de Konstantin Somoff, qui enlace une jeune femme sous un ciel bleuté parsemé d’étoiles, rappelle par le raffinement du dessin et la recherche des coloris les scènes galantes de Watteau, alors que Le Parc de Versailles (70 000 francs) évoque des croquis de voyage de Dürer. Deux œuvres de Zinaida Serebriakova, nièce d’Alexandre Benois, figurent dans l’exposition : un Autoportrait au crayon exécuté sous trois raccourcis, qui révèle toute sa sensibilité et sa sensualité, et un élégant Portait de la princesse Irina Youssoupov évoquant des représentations florentines du XVIe siècle. À noter aussi quelques paysages urbains, comme cette Vue de l’arc de l’État major à Saint-Pétersbourg, dans laquelle Alexandre Benois exprime son amour pour l’architecture de cette ville.

CENT DESSINS ET AQUARELLES RUSSES DE 1800 À 1920

Jusqu’au 15 avril, exposition-vente, Galerie de la Scala, 68 rue La Boétie, 75008 Paris, 01 45 63 20 12, tlj sauf dimanche 14h-19h. Catalogue édité par Stuart et Samarine et La Scala, 104 p., 150 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°79 du 19 mars 1999, avec le titre suivant : Quand la Russie s’ouvrait à l’Europe

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