Des collections très variées

Montres, pendules, cartels, régulateurs...

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 16 avril 1999 - 1732 mots

Depuis trois ou quatre ans, la montre attire de plus en plus de collectionneurs et son marché est en plein essor depuis trois ou quatre ans. Quelques prix exceptionnels, se chiffrant en millions de francs, ont été enregistrés pour des montres-bracelets à Genève, comme à Paris et New York. Le marché des pendules connaît lui aussi une forte hausse pour les pièces haut de gamme, alors que les pièces peu importantes stagnent.

Plus de 2 millions de francs suisses (environ 8 millions de francs français) : c’est la somme qui a été déboursée par un collectionneur chez Antiquorum à Genève, le 20 avril 1996, pour une montre-bracelet Calatrava créée par Patek Philippe en 1939. Ce record mondial portait sur une pièce déjà vendue par la maison genevoise dix-huit ans auparavant : elle avait alors été enlevée à 185 000 francs suisses, un prix plus de dix fois inférieur. Voici, résumé en deux chiffres, l’évolution qu’a connu en vingt ans cette spécialité. La montre-bracelet, qui avait en 1929 détrôné pour la première fois sur le marché mondial de l’horlogerie la montre de poche, poursuit sa folle ascension. Plus d’un milliard de montres-bracelets sont aujourd’hui produites dans le monde ; 50 % d’entre elles sont mises en vente, les autres servent de produits publicitaires. Le boom de la montre-bracelet remonte à quinze ou vingt ans. C’est en Italie, à la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt, que sont apparus les premiers collectionneurs de montres-bracelets. Le marché mondial de la montre de collection est aujourd’hui en plein développement. En témoignent les résultats d’Antiquorum, principal auctioneer dans le domaine de l’horlogerie de collection et le premier à proposer des montres-bracelets en vente publique. Créée en 1974, la maison emploie aujourd’hui dix personnes et possède des bureaux à Genève, Paris, Milan, New York, et des représentants à Londres, Hong Kong et Tokyo ; en 1998, son chiffre d’affaires était de 42 millions de francs suisses (168 millions de francs français). Sotheby’s annonce de son côté un chiffre d’affaires de 40 millions de dollars (environ 240 millions de francs) pour son secteur horlogerie. En France, l’horlogerie-bijouterie a réalisé en 1998 un chiffre d’affaires de 31 milliards de francs, en hausse de 4 % par rapport à l’année précédente, dont 20 % (plus de six milliards de francs) pour les montres, en progression régulière depuis plusieurs années.

En France, une poignée de commissaires-priseurs parisiens organisent des ventes spécialisées d’horlogerie-bijouterie, les plus importantes étant le fait de l’étude Calmels-Chambre-Cohen, avec des résultats annuels d’environ 35 millions de francs dans cette spécialité. “Nos ventes spécialisées d’horlogerie-bijouterie à l’Hôtel Plaza-Athénée engrangent environ 17 à 18 millions de produit sur deux jours, 6 à 10 millions de francs relevant du secteur de l’horlogerie”, explique l’expert Camille Berthet. La vente organisée le 23 février 1992, à Drouot-Montaigne, par l’étude Loudmer, Le Quay (collection Arman et à divers amateurs), l’une des premières grandes vacations spécialisées, a rapporté 11 millions de francs et enregistré quelques très hauts prix. Une montre Patek Philippe à quantièmes et phases de la lune a été adjugée 355 000 francs, une montre Cartier Cabriolet des années trente 350 000 francs. Le record du monde pour une pièce Cartier – une montre de 1930 partie à 1,2 million de francs en 1994 – revient toutefois à l’étude Briest.

Plusieurs autres études (Millon et Associés, Chayette-Cheval, Coutau-Bégarie et Ader) organisent des ventes spécialisées, qui ne rivalisent cependant pas avec celles d’Antiquorum en Suisse. “Pour des raisons essentiellement fiscales, les plus belles pièces se vendent en Suisse”, déplore Geoffroy Ader. Au-delà de 100 000 francs, dans les ventes publiques françaises, les enchérisseurs sont le plus souvent étrangers : allemands, suisses, anglais, italiens. “Les plus importants collectionneurs de montres sont allemands et suisses, poursuit Geoffroy Ader. Le marché est porteur pour les montres anciennes, particulièrement pour les pièces créées par Patek Philippe, Rolex et Cartier. En revanche, la cote des montres modernes a tendance à baisser, car un nombre très important de pièces est déversé sur le marché. Le prix des montres modernes  en vente publique est de 30 % à 50 % inférieur à leur prix d’achat.”

Un marché sélectif
Le marché des montres est très international. Les collectionneurs n’hésitent pas à se déplacer ou à enchérir par téléphone pour acheter une pièce à l’autre bout du monde. Les places les plus importantes, pour l’horlogerie, sont Genève, Londres, New York, Paris et Monaco ; Amsterdam est en plein développement. Des ventes ont également lieu à Hong Kong. Genève, patrie de l’horlogerie de prestige, attire les collectionneurs qui s’intéressent à l’aspect technique, aux mécanismes, mouvements et complications, alors que les acheteurs londoniens privilégient le côté historique. Les clients parisiens semblent plus attachés à l’esthétique des pièces, à leur design.

“Le marché des montres est aujourd’hui plus sélectif qu’il y a dix ans, explique Aurel Bacs, directeur pour l’Europe du département des montres-bracelets et de poche chez Sotheby’s. Les prix des pièces de moindre valeur, peu connues, falsifiées, abîmées ou incomplètes, sont à la baisse. Les montres rares ou exceptionnelles de grandes marques comme Patek Philippe, Cartier ou Rolex atteignent en revanche des prix très élevés. Leur état est de plus en plus important. Les collectionneurs veulent des pièces qui soient comme neuves ; il y a un écart de prix de 100 à 200 % entre une pièce en très bon état et un modèle qui a été un peu abîmé.”

Les collectionneurs privilégient soit l’esthétique, soit la technique, soit la marque. Parmi les collectionneurs de montres de poche, on trouve surtout des Suisses, des Allemands, des Hollandais, et quelques nouveaux clients qui ont fait leur apparition aux États-Unis, en Amérique du Sud et en Asie (à Hong Kong, surtout). Le collectionneur de montres de poche est discret et secret, à la différence de celui qui recherche les montres-bracelets, beaucoup plus exubérant et aimant paraître.

“On peut aujourd’hui se constituer une collection haut de gamme de montres de poche à des prix raisonnables (200-500 000 francs au total) et acquérir une belle montre XVIIIe pour 8 000 francs, explique Camille Berthet, installé au Louvre des antiquaire, qui possède un important stock de pièces de poche du XVIe au XXe siècle. Les prix ont eu tendance à baisser avec la crise du Golfe et le développement du marché des montres-bracelets. Pour 10 à 60 000 francs, il est possible de monter une collection dans ce domaine.” Des marques comme Audemars Piguet, Breguet, Cartier, Jaeger-LeCoultre, Patek Philippe, Vacheron Constantin et Rolex constituent à elles seules l’essentiel du marché de la montre-bracelet de qualité.

Le marché de la montre de collection est en plein développement, confirme Romain Réa, expert en horlogerie à Drouot, propriétaire d’un stand aux Puces et d’une galerie rue du Bac. En France, le phénomène est plus récent ; il se fait sentir avec un temps de retard par rapport aux États-Unis, à l’Italie et à la Suisse.

“Je suis très optimiste quant à l’avenir du marché de la montre-bracelet, souligne Aurel Bacs, car c’est le seul bijou qu’un homme puisse porter. En outre, le marché chinois, fort d’un milliard d’individus, devrait connaître un fort développement.”

5,8 millions de francs pour une pendule André Boulle
Comme les montres, les pendules peuvent constituer des collections très abordables. Après avoir connu un vif regain d’intérêt il y a une quinzaine d’années, le marché est aujourd’hui plus sélectif. “Le prix des pièces de moyenne et basse gamme a baissé depuis vingt ans”, explique l’antiquaire Pascal Izarn. Les pendules “portique” sont aujourd’hui revenues à leur niveau de prix du milieu des années quatre-vingt. Les pendules à colonnes XVIIIe, les pièces Charles X et les pendules “aux nègres” n’ont plus la cote. Les pièces exceptionnelles, aux prix élevés, ont en revanche énormément progressé. Ainsi, une pendule époque Louis XVI en bronze doré et patiné signée Lepaute, représentant une muse drapée à l’antique avec un amour symbolisant le temps, a fait 972 000 francs chez Sotheby’s à Londres en 1988, dans la vente du British Rail, alors qu’elle avait difficilement atteint 26 000 francs en 1976. De même, une pendule “au rhinocéros” époque Louis XV, exécutée par Saint Germain avec un mouvement signé Gilles l’Ainé, adjugée 1,1 million de francs en 1984 dans la vente Gould, chez Sotheby’s Monaco, est partie à 4,1 millions de francs en 1989 lors de la vente Roberto Polo par Sotheby’s à New York. Quelques très haut prix ont été enregistrés plus récemment à New York, à Genève et à Paris. Une pendule d’André-Charles Boulle, époque Louis XIV, représentant Vénus avec un amour, a été adjugée 992 500 dollars (5,8 millions de francs) par Christie’s à New York en octobre 1997. Ce même mois à Genève, chez Antiquorum, une pendule Breguet à trois roues datant de 1792 atteignait 925 500 dollars (5,4 millions de francs). À Paris, le 26 juin 1996, l’étude Binoche proposait une pendule dite “le concert de singes”, en porcelaine de Meissen, qui s’est vendue 3,5 millions de francs. Plus récemment encore, un collectionneur privé étranger vivant en France a emporté à 2,8 millions de francs un extravagant régulateur de parquet, mélange de style Louis XV et de rococo allemand, signé François Linke.

“Si le modèle est rare, s’il présente des dorures et des ciselures de qualité, s’il a une grande signature et une bonne provenance, il peut obtenir des prix exceptionnels,” souligne Pascal Izarn. Les Américains forment le plus gros bataillon de collectionneurs de pendules. Chaque nationalité a des attentes et des goûts spécifiques. Les collectionneurs suisses, connus pour la sobriété de leurs goûts, attachent plus d’importance au mouvement qu’à la décoration. Les pendules en bronze datant des années 1830 séduisent, elles, particulièrement les Italiens et les Espagnols, tandis que les Allemands et les Hollandais ont une prédilection pour les pièces des années 1650-1750. En France, les pendules passant en vente publique sont le plus souvent intégrées à des vacations de mobilier et d’objets d’art. Parmi les rares antiquaires spécialisés à Paris, Pascal Izarn et Michel Guérin (La Pendulerie) disposent d’un stock important de pièces. Beaucoup de pendules sont en revanche présentées chez des antiquaires proposant du mobilier et des objets d’art classiques. Pour sa part, Gilbert de Vries vend des pendules de la Renaissance, des cartels du XVIIIe ou des régulateurs du XIXe, aux côtés de montres contemporaines réalisées en séries limitées ou en pièces uniques par des horlogers indépendants comme Parmigiani, La Vallée, Philippe Dufour ou Daniel Aubert.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°81 du 16 avril 1999, avec le titre suivant : Des collections très variées

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