Figures morales

Erwin Panofsky, Hercule à la croisée des chemins

Le dernier livre allemand de Panofsky

Par Alain Cueff · Le Journal des Arts

Le 30 avril 1999 - 455 mots

Dans ce livre qui précède de quelques années les Essais d’iconologie, Erwin Panofsky traque les avatars picturaux et littéraires de la figure d’Hercule à l’heure du choix entre le Vice et la Vertu. Cette enquête magistrale, qui embrasse le thème de la mythologie grecque à la peinture de la Renaissance, est le dernier que l’historien rédigea en allemand.

L’origine de la principale étude de ce livre est un petit tableau de Raphaël, connu comme Le songe du chevalier (Londres, National Gallery), que Panofsky assimile d’emblée au thème d’Hercule à la croisée des chemins, avant d’en apporter irrésistiblement la preuve. Selon Prodicos, qui passe pour avoir été le maître de Socrate, et dont le récit a été souvent repris et altéré dans la tradition gréco-latine, Héraclès songe dans son sommeil à la vie qu’il lui faut choisir. Deux dames “de belle stature”, rapporte Xénophon, viennent à sa rencontre : l’une démontre une noble et chaste nature, l’autre “respirait les plaisirs de la chair”. La seconde invite évidemment Héraclès aux jouissances faciles en multipliant les tentations, tandis que la première l’engage au contraire à œuvrer pour le bien de la Grèce, sans faire mystère des difficultés qui l’attendent sur la route aride. Le héros choisira enfin de se consacrer à sa patrie pour la libérer de ses démons. Cette structure narrative simple sera largement exploitée par la civilisation chrétienne, qui y trouve naturellement les éléments fondateurs de sa morale.

Si l’Église voulut engager les poètes et les peintres à substituer un autre héros à cette histoire, Hercule en est cependant demeuré la principale référence. Mobilisant un savoir considérable, Panofsky retrace les détails de l’adaptation du thème, qui connaît, depuis sa réapparition au XVe siècle, des variations significatives au fil du temps, jusqu’à ce qu’Annibale Carrache en forge une version canonique. Le maître de Bologne assoit en quelque sorte le thème dans la société chrétienne en enrichissant une composition vigoureuse d’une série d’attributs qui seront par la suite fréquemment repris. C’est à ce stade de l’enquête que la méthode panofskienne, qui ne perd jamais de vue le substrat philosophique de l’allégorie, se montre précieuse. L’iconologie n’est pas seulement une interprétation locale des figures, elle consiste surtout à élaborer des critères qui donnent à la peinture sa pleine signification historique et idéologique. Dans ce même volume est en outre reprise et développée une étude consacrée à l’Allégorie de la prudence de Titien, qu’avec la même exigence et la même pertinence, Panofsky rapproche du signum triciput de l’Antiquité, démontrant à nouveau le long travail de sédimentation des figures de l’art occidental.

Erwin Panofsky, Hercule à la croisée des chemins et autres matériaux figuratifs de l’Antiquité dans l’art plus récent, Flammarion, collection “Idées et recherches�?, 244 p., 195 F. ISBN 2-08-01-2622-9.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°82 du 30 avril 1999, avec le titre suivant : Erwin Panofsky, Hercule à la croisée des chemins

Tous les articles dans Médias

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque