Gillian Wearing s’en prend à Saatchi

Le Journal des Arts

Le 30 avril 1999 - 645 mots

Gillian Wearing envisage d’attaquer en justice l’agence de publicité M&C Saatchi. Selon elle, une publicité pour le bouquet de télévision numérique BSkyB réalisée par l’agence a volé l’idée centrale de son installation vidéo 10-16.

LONDRES (de notre correspondante) - Charles Saatchi connaît bien 10-16, la vidéo de Gillian Wearing dont il a acquis un exemplaire pour 30 000 dollars. Il l’a présentée dans l’exposition “Sensation” à la Royal Academy. L’artiste y met en scène des adultes dans des contextes quotidiens se livrant à des monologues intérieurs, doublés par des voix d’enfants. La publicité pour BSkyB reprend le même procédé et montre des adultes qui parlent comme des enfants avouant leurs fautes. “La technique et l’approche de ce spot publicitaire sont directement empruntées à mon travail, estime Gillian Wearing. Pourquoi Charles Saatchi, qui possède l’une de mes œuvres, ne m’a-t-il pas demandé l’autorisation de l’utiliser ? C’est me manquer de respect de ne pas l’avoir fait. Ce n’est même pas comme s’il avait voulu en développer le concept ; il a simplement utilisé l’idée et en tire maintenant des revenus. Aujourd’hui, en Grande-Bretagne, les idées les plus créatives sont produites par les artistes ; il est trop facile de les copier”.

Selon elle, M&C Saatchi a reconnu s’être effectivement inspiré de son œuvre pour réaliser cette publicité qui a coûté deux millions de livres (19,6 millions de francs). Mais l’agence s’est au préalable assurée auprès de son service juridique qu’elle n’en violait pas les droits. “Au début, ils désiraient coller encore de plus près à mon idée, mais leurs conseillers les en ont dissuadés”, poursuit l’artiste. Selon le Copyright, Designs and Patents Act de 1988 (loi de protection des droits d’auteur, modèles et inventions brevetés), on ne peut, en Grande-Bretagne, protéger que l’expression d’une idée, non l’idée elle-même. Évoquant cette différence entre le contenu et la forme, les spécialistes de la propriété artistique se réfèrent à la “dichotomie idée- expression”. La vidéo de Gillian Wearing tombe dans ce flou juridique pour deux raisons : d’abord, elle repose sur un concept ; il est donc difficile de prouver sa “substantialité”. Peut-on reconnaître que la copie est vraiment un plagiat de l’original ? Ensuite, il s’agit d’une vidéo, un médium qui ne figure pas dans la catégorie des beaux-arts reconnus par les agences de protection des droits des artistes, comme la Design and Artists Copyright Society (DACS) qui s’occupe des problèmes de contrefaçon d’œuvres d’art. “Ce serait un cas d’espèce très intéressant, souligne Umesh Mistry, porte-parole de la DACS. Actuellement, nous ne représentons pas d’artistes utilisant la vidéo, principalement à cause du médium. Le problème, c’est que la vidéo est une compilation de sons, d’images et d’idées. Pour l’instant, nous ne protégeons que les beaux-arts au sens strict du terme. La vidéo tombe dans la catégorie du film”. Ce contentieux n’est pas le premier à opposer l’artiste à un publicitaire. L’an dernier, elle avait déjà envisagé d’attaquer l’agence BMP DDP qui, dans sa publicité pour la Golf Volkswagen, avait utilisé le principe de son œuvre Signes : des gens photographiés dans la rue à qui elle avait demandé d’écrire leur opinion sur la pancarte qu’ils tenaient entre les mains. L’artiste avait finalement renoncé aux poursuites judiciaires en raison du coût de la procédure et de la difficulté de prouver, au moins au Royaume-Uni, la contrefaçon. Maureen Paley, sa galeriste londonienne, indique que “les lois sur le copyright sont plus strictes aux États-Unis. L’agence de publicité américaine Chiatt Day a ainsi négocié avec Gillian le droit d’utiliser l’idée de Signes dans une publicité pour Levi’s, pour lequel elle lui a versé plus de 100 000 dollars”. L’artiste était en négociation avec l’agence TBWA pour l’utilisation du concept de 10-16 dans un spot pour Nissan. Mais voyant la publicité déjà réalisée par Saatchi, l’agence s’est retirée. Aujourd’hui, Gillian Wearing envisage également de poursuivre M&C Saatchi pour ce manque à gagner.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°82 du 30 avril 1999, avec le titre suivant : Gillian Wearing s’en prend à Saatchi

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