Livre - Ventes aux enchères

L’amour du bel ouvrage

La collection Skira est mise en vente à Genève

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 14 mai 1999 - 709 mots

L’éditeur Albert Skira et sa femme Rosabianca, bibliophiles passionnés, ont rassemblé tout au long de leur vie des livres de peintres, des autographes et des éditions originales du XIXe siècle qui seront mis en vente par Christie’s le 19 mai, à l’hôtel Richemond à Genève. Y figure les Métamorphoses d’Ovide illustré par Picasso, le premier livre édité par Skira.

GENÈVE - “Je songeais depuis longtemps à éditer de très beaux livres. Et avant tout – un rêve, une idée fixe – un livre illustré par Picasso. Seule difficulté : comment atteindre Picasso ?”, s’interrogeait Albert Skira, tout juste âgé de 25 ans. La veuve de Guillaume Apollinaire facilita la rencontre, permettant ainsi en 1927 au jeune éditeur de faire la connaissance de l’illustre Picasso, alors âgé de 48 ans. Suivant le judicieux conseil du fils de Matisse, Skira soumit certains passages des Métamorphoses d’Ovide au peintre catalan, en lui commandant, sans un sou en poche, diverses planches hors-texte et in-texte. Ce fut le premier livre édité par Skira, tiré à 145 exemplaires, signés et illustrés par Picasso. Un exemplaire avec trente eaux-fortes représentant des femmes se transformant en poisson et en divers mammifères sera proposé aux collectionneurs (20-30 000 francs suisses). Parmi les autres livres de peintres figure un ouvrage très recherché des bibliophiles, Jazz de Matisse (150-200 000 francs suisses), édité par Tériade en 1947, dans lequel il expose sa nouvelle méthode : “dessiner avec des ciseaux” ou “découper à vif dans la couleur rappelle la taille directe des sculpteurs”. Il y colorie lui-même à la gouache les papiers qu’il découpe et crée des rythmes à partir des couleurs en s’inspirant des accords du jazz. D’une grande fraîcheur et signé par le peintre, l’ouvrage fut offert en cadeau par Albert Skira à son épouse Rosabianca. Autre livre exceptionnel, Le cirque de l’étoile filante, illustré et signé par Georges Rouault (1938). Cet exemplaire sur papier Japon contient 17 eaux-fortes hors-texte en couleurs (120-180 000 francs suisses). Plusieurs ouvrages Dada et surréalistes comportant des dédicaces et des dessins originaux sont mis en vente, comme L’arbre des voyageurs de Tristan Tzara, initiateur du mouvement Dada, adressé à l’éditeur : “À Albert Skira de tout cœur, Tzara son ami de toujours.” Dans cet envoi, le mot cœur est remplacé par le dessin d’un cœur percé par l’index d’une main levée (4 500-5 500 francs suisses). L’immaculée conception d’André Breton et Paul Eluard est signé et dédicacé à Skira par les auteurs : “Il faut des légumes frais aux missionnaires, car l’anthropologie est contagieuse et l’on ne soupçonne que les sauvages. Ses amis Paul Eluard et André Breton.” Le frontispice est illustré par Salvador Dalí (5 500-7 500 francs). La collection personnelle des Skira comprend aussi des autographes, dont une lettre de Wassily Kandinsky (4 000-6 000 francs) dans laquelle il évoque Le Cavalier bleu et la difficulté pour un artiste disposant d’un budget limité d’exposer à Paris, ainsi qu’une émouvante lettre de Paul Gauguin à un lieutenant de gendarmerie, écrite quinze jours avant sa mort (6-9 000 francs suisses). Malgré la maladie qui l’affaiblit, il maintient sa lutte contre les autorités coloniales d’Atuona aux îles Marquises. Dans une autre lettre datée du 14 janvier 1885 et adressée à son fidèle ami Émile Schuffenecker (8-12 000 francs suisses), le peintre évoque sa conception de la peinture en concluant par ces mots : “Surtout ne transpirez pas sur un tableau, un grand sentiment peut être traduit immédiatement, rêvez dessus et cherchez en la formule la plus simple.”

La collection des Skira renfermait également des livres publiés par Henry Kahnweiler, très prisés par Rosabianca, comme l’Enchanteur pourrissant de Guillaume Apollinaire illustré par André Derain, une édition originale de 1909 signée par l’auteur et l’artiste (25-35 000 francs suisses), ou Le piège de Méduse, pièce en un acte d’Erik Satie ornée de gravures sur bois en couleurs exécutées par Georges Braque (8-12 000 francs suisses), mais aussi des livres d’André Malraux et de Max Jacob illustrés respectivement par Fernand Léger et Pablo Picasso. Parmi les éditions originales du XIXe siècle, on trouve notamment Les Illuminations d’Arthur Rimbaud avec une notice rédigée par Paul Verlaine (10-15 000 francs), et un exemplaire complet des Fleurs du Mal de Charles Baudelaire édité en 1857 (7 500-9 500 francs suisses).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°83 du 14 mai 1999, avec le titre suivant : L’amour du bel ouvrage

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